Alors que nous bouclons ce numéro, les 120 000 Arméniens d’Artsakh, isolés du monde, vivent une véritable descente aux enfers. Privés de produits alimentaires de première nécessité, de soins médicaux, de carburant et d’électricité, ils résistent avec beaucoup de courage et de dignité au blocus inhumain imposé par l’Azerbaïdjan. Les derniers stocks de farine et de blé sont presque épuisés et la famine frappe à la porte mais les acteurs internationaux se contentent d’exprimer leur inquiétude et de lancer des appels à la réouverture du corridor de Berdzor (Latchin). Les convois d’aide humanitaire envoyés par l’Arménie et la France restent bloqués à Kornidzor, l’Azerbaïdjan refusant toujours leur passage vers l’Artsakh. Aucune lueur d’espoir n’est à l’heure actuelle visible au bout du tunnel!
Ces derniers mois, l’étau s’est resserré davantage sur l’Arménie et l’Artsakh. Depuis l’interruption le 12 juillet dernier de l’acheminement des convois humanitaires, assuré jusqu’alors par le CICR, les évènements se sont précipités: Enlèvement au poste de contrôle illégal du corridor de Latchin de Vagif Khachatryan, 68 ans, transporté par le CICR de l’Artsakh vers l’Arménie pour y recevoir un traitement médical (29 juillet) ainsi que de 3 jeunes Artsakhiotes escortés par les forces de maintien de paix russes qui voulaient poursuivre leurs études en Arménie (28 août); tirs azéris répétés sur une usine métallurgique en construction à Yeraskh près de la frontière avec le Nakhijevan ainsi qu’en direction de l’aéroport civil de Kapan; tirs ciblés sur les avant-postes frontaliers arméniens notamment près de Sotk causant plusieurs morts et blessés; sans parler de tirs réguliers sur les paysans cultivant leurs terres et les véhicules agricoles en Artsakh.
Ce n’est pas un secret qu’en parallèle à la mise en œuvre de sa politique de nettoyage ethnique en Artsakh, l’Azerbaïdjan menace la viabilité économique et financière de la République d’Arménie. Ses frappes contre les installations et infrastructures stratégiques du pays et ses prétentions sur le soi-disant «corridor de Zangezur» ainsi que ses tirs fréquents sur les villages frontaliers ne laissent aucun doute sur son projet d’anéantissement de l’État arménien.
Face à ce danger existentiel imminent et au risque réel d’une nouvelle guerre, les élites politiques arméniennes restent honteusement divisées, incapables de mettre en place une stratégie réaliste de défense civile et militaire. D’autre part, les développements géopolitiques dans la région ne laissent guère présager une évolution favorable aux Arméniens.
Ce qui est tout aussi troublant, surtout dans le contexte actuel, c’est l’augmentation du nombre de morts pour des raisons non imputables à des circonstances naturelles. Après la guerre de 44 jours avec son terrible bilan de morts et de blessés, on aurait pensé que la sauvegarde de la vie humaine serait primordiale pour la société arménienne et ses dirigeants. Cependant, la réalité semble être toute autre.
Un des sujets les plus douloureux est celui des décès hors combats dans l’armée arménienne. Ces décès sont soit attribués aux suicides ou aux maladies, soit provoqués par des accidents ou des conflits relationnels. Depuis des années, plusieurs ONG de défense des droits humains tirent la sonnette d’alarme mais la situation reste inchangée. Les procédures pénales durent des années et très souvent les coupables restent impunis. Pour les 8 premiers mois de cette année, on compte déjà 60 morts hors combats dont 15 dans l’incendie d’une caserne. À noter que le bilan pour toute l’année 2022 était de 64.
Les accidents de la route représentent également une cause importante de mortalité en Arménie, qui occupe la 2ème place en termes de nombre de victimes parmi les 33 pays de l’UE et de son voisinage oriental. Entre 2017 et 2022, 24’129 accidents de circulation y ont été enregistrés, faisant 1’557 morts et 34’884 blessés, y compris un nombre considérable de mineurs et de piétons. Parmi les causes, on déplore l’état des routes, le manque de signalisation, le non-respect du code de la route mais aussi l’alcool au volant et la conduite sans permis, notamment par des mineurs. La presse fait état de temps à autre de cas de corruption liés à l’obtention de permis de conduire sans passer les examens requis.
Un autre phénomène inquiétant concerne les nombres de suicides et de tentatives de suicides qui ont augmenté ces trois dernières années en passant de 281 en 2021, à 312 en 2022 et à 302 jusqu’en juillet de cette année.
Un État qui a perdu un pourcentage non négligeable de sa population au cours des 30 dernières années du fait de l’émigration massive et des guerres, ne peut pas faire si peu de cas de la valeur de la vie humaine. C’est inadmissible! Les dirigeants arméniens assurent en toute occasion que «l’être humain est la valeur suprême en la République d’Arménie», faisant référence à la Constitution, mais les mesures de prévention annoncées par le gouvernement, ne donnent visiblement pas de résultats pour le moment.
L’Église, les institutions non-gouvernementales et la société civile ont aussi leur part de responsabilité. En effet, les défis et les menaces sécuritaires pèsent sur tous les habitants de l’Arménie et de l’Artsakh, ce qui devrait susciter davantage de compassion et de tolérance les uns envers les autres. C’est en adoptant collectivement une attitude respectueuse de la vie humaine dans leur quotidien qu’ils contribueront à la baisse du nombre de décès non naturels dans le pays.
La sensibilisation de la population à l’importance de son rôle dans la prévention de ces décès passe naturellement par l’éducation. C’est un domaine dans lequel la diaspora peut et doit s’investir si elle souhaite apporter sa pierre à l’édification d’un État arménien fort et sécurisé. L’éducation est un puissant facteur de changement et les professionnels de la diaspora en la matière peuvent prêter main forte à leurs homologues de l’Arménie.