COMME LE NEZ AU MILIEU DE LA FIGURE

Statue du compositeur Arno Babadjanian à Erevan (Crédit photo: Iris Molenaar pour Eurasianet)

par Diana ZARGAROVA

Les curiosités

Lorsque j’étais petite et que nous allions en famille à l’aéroport, je me souviens que ma maman identifiait un à un les Arméniens parmi la foule. Intriguée par ce don, je lui avais alors demandé son secret. Elle m’avait répondu: le nez, bien sûr!

Le fameux «nez arménien», proéminent, recourbé, couronné d’une bosse, véritable objet de fierté nationale, n’est pas sans rappeler les imposants massifs montagneux de notre pays, comme eux grand, fier et pur. Ne dit-on pas avec humour que si l’on lui coupait le nez, l’Arménien tomberait sur son dos, perdant son équilibre? Ce bel attribut nous vient en réalité des conditions naturelles et climatiques dans lesquelles nous avons évolué par le passé: c’est le «facteur de montagne». En effet, l’air raréfié des cimes a influencé des changements génétiques et ainsi contribué à mieux développer nos fonctions respiratoires. Le rapprochement avec nos massifs n’apparaît alors pas si anecdotique.

Héritage de nos ancêtres, il nous distingue et constitue, en plein milieu de nos visages, un vestige de notre histoire millénaire dont nous aimons nous gonfler d’orgueil, et pour cause. A notre époque pourtant, où la dure loi des canons de beauté fait la part belle aux nez slaves, discrets et élégants, il n’est pas tous les jours facile de porter un nez différent. Il semblerait que nous soyons toujours aussi fiers d’être Arméniens, mais plus autant de nos caractéristiques physiques… Et à ce jeu, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne: pas tous les Arméniens possèdent un nez typique, et les nez typiques le sont à des degrés divers. Tandis que les hommes auraient tendance à le porter tel un drapeau de la patrie, la question se fait plus délicate pour les femmes, pour lesquelles l’on craint encore qu’un nez développé entache leur apparence ou les empêche de trouver un époux. C’est ainsi qu’en Arménie, trois opérations de chirurgie plastique sur quatre sont des rhinoplasties; dont peu se justifient par un impératif de santé…

Je crois qu’il n’est jamais inutile de rappeler que ce qui fait la beauté en chacun de nous réside sûrement dans cette coexistence entre appartenance et particularité. Lorsque je me regarde dans le miroir, je vois d’abord un individu aux yeux trop grands, au nez trop allongé, et encore ci et encore ça; mais c’est en y regardant de plus près que se révèle à moi ce que je vois vraiment: un visage aux mille significations, dont chaque trait raconte une histoire bien au-delà de mon entendement.

Enfin, pour ce qui est de l’aéroport, la meilleure manière d’identifier un compatriote reste encore… d’aller à sa rencontre. Mais pour les fois où le courage me manque, j’ai trouvé le signe qui me met sur la voie. De grands yeux rieurs, sombres et profonds, intelligents, un regard captivant. Et un sourire qui malgré moi me prend.

2024-03-13T23:21:56+01:00 13.03.24|GÉNÉRAL|