LE REPOS DES SOLDATS

par Philippe DERSARKISSIAN

La puissante voix envoutante d’Arthur Teboul chante «L’Affiche rouge» sur les paroles de Louis Aragon, en déchirant le silence de la nuit, la foule s’est tue, recueillie, il pleut sur deux des nôtres, une pluie diluvienne sur deux cercueils recouverts du drapeaux français sur le parvis du Panthéon à Paris, celui de Mélinée et de Missak Manouchian, deux résistants, deux soldats de l’ombre, de l’armée des ombres, vont entrer au panthéon.

En novembre 1943, Missak fut arrêté et torturé par la police française puis livré à la police secrète de l’armée allemande, jugé et ensuite fusillé au Mont-Valérien ainsi que 21 autres résistants. Il est mort «ivre d’un rêve de livre et de papier» lui le poète amoureux de belles lettres et des grands auteurs français, au point d’avoir suivi des cours à la Sorbonne comme auditeur libre.

Mort en amoureux de la France sans en être un citoyen, puisque la nationalité lui fut refusée par deux fois.

Un peu plus tard en février 1944 cette fameuse «Affiche rouge» est placardée à 15’000 exemplaires dans les villes et villages de France, un film est aussi diffusé dans les actualités cinématographiques, une campagne de propagande est lancée, pour justifier la condamnation à mort le 17 février 1944 de ces résistants, tous étrangers, et dirigés par Missak Manouchian, «le fameux groupe Manouchian».

Manouchian qui écrira une ultime et poignante lettre à «sa petite orpheline» (sa femme, Mélinée) avant d’être fusillé le 21 février 44 à 15:00 et signa sa lettre «Manouchian Michel», lui le poète lequel dans un café où ils avaient leurs habitudes, tendit un miroir à Mélinée, pour lui montrer de qui il s’était épris… Lui le poète, qui avait traduit Rimbaud et Baudelaire en arménien.

«Il est mort en français, par le cœur, et le sang versé» insiste l’Élysée.

80 ans après, mes yeux s’embuent, ce mercredi 21 février 2024, face à mon écran je lis «Aux grands hommes la patrie reconnaissante» sur le fronton du panthéon. Je suis fier que la France reconnaisse, même très, très longtemps après, l’un de ses héros.

Je déplore la récupération politique que l’on peut en faire et me désintéresse que parfois l’on mette trop en avant la couleur politique de Mélinée et Missak Manouchian:

Lorsqu’on se bat contre une oppression, alors ce combat est toujours juste!

Que l’on s’appelle Manouchian et que l’on combatte les nazis, que l’on s’appelle Ervand Kotchar et que ce sculpteur soit banni parce que son «David de Sassoun» (la sculpture en face de la gare d’Erevan) n’entrait pas dans les critères du «réalisme socialiste», que l’on s’appelle Paradjanov cinéaste, artiste plasticien, réalisateur condamné à des travaux forcés en Union Soviétique de 1973 à 1982…

Combien de Manouchian faudra-t-il pour combattre, de nouveau, les menaces d’un Erdogan, d’un Poutine, d’un Aliev sans que le monde ne bouge?

Combien de Paradjanov ou de Soljenitsyne faudra-t-il pour anéantir les extrémismes naissants ou à venir, en Europe?

Combien d’élections faudra-t-il pour que le peuple américain comprenne?

Combien de siècles encore ce panthéon va-t-il accueillir d’autres combattants?

Combien de temps encore les discours des hommes de paix seront vains, à l’image de Jean Jaurès qui dénonça le 3 novembre 1896 à la chambre des députés, à Paris, le sort qui était réservé aux Arméniens, par l’empire ottoman? (Lire «Il faut sauver les Arméniens» de Jean Jaurès)

Des combattants…

Je visionne de nouveau la vidéo sur l’Arménie, de Nicolas Pernot qui était venu à Perly nous présenter son film et le commenter, en novembre dernier et découvre l’église de Zorats située dans la région de Vayots Dzor et bâtie en 1303. Il s’agit de l’église Sourp Stepanos. Elle m’apparait avec cette vision «vue du ciel» dont seuls les drones nous donnent cette possibilité d’observation avec autant de facilité.

Dans le contexte, En 1303 l’Arménie sous la souveraineté des mongoles (de 1242 à 1344) voyait ses soldats réquisitionnés pour combattre les mamelouks et les tribus turques lesquels convoitaient -déjà- les terres riches du royaume arménien.

Sourp Stepanos est donc une église avec un autel (donc, jusqu’ici tout va bien!) mais dépourvue de nef et ceci est unique car cette église fut ainsi conçue car elle était uniquement destinée aux combattants et c’est bien à cheval que les soldats venaient prêter serment et recevoir la bénédiction d’un Père, avant la bataille.

Zorats signifie «Rends-moi fort» ou «donne-moi la force». L’autel est donc surélevé à une hauteur d’un cavalier en selle et cette église est donc dépourvue d’un espace fermé, aussi sans aucun dôme, ni hall et donc seuls la nef et l’abside ainsi que l’autel sont pourvues d’un toit.

L’Arménie, terre de convoitises diverses, et toujours au carrefour de différents intérêts, tout au long de son histoire et jusqu’à aujourd’hui, avait dès le début du 14ème siècle, construit et adapté un site religieux, comme une base arrière, avant le conflit.

Lorsqu’on se bat contre une oppression, alors ce combat est toujours juste!

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2024-03-13T23:42:02+01:00 13.03.24|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL|