par Artush YEGHIAZARYAN
Ndlr: Intervention prononcée dans le cadre de la conférence-débat organisée le 25 novembre 2016 à l’occasion du 30ème anniversaire d’Artzakank.
La nation arménienne
L’histoire récente de l’Arménie explique bien notre situation actuelle: Au début du XXe siècle la nation arménienne était divisée entre deux empires. Le génocide et la perte d’une bonne partie des terres en Anatolie ont marqué le début d’une nouvelle époque. La partie orientale a été soviétisée et a perdu son indépendance politique acquise seulement deux ans auparavant et la partie occidentale a subi le génocide et a donné naissance à la diaspora. L’Arménie orientale a par conséquent évolué sous l’influence de la civilisation russe alors que la partie occidentale est devenue la diaspora déracinée et a évolué en s’imprégnant des cultures des pays d’adoption. Cette tournure majeure a redessiné la forme et la nature de notre nation.
A la fin des années 80 et au début des années 90, nous avons assisté à une nouvelle vague de nationalisme avec le mouvement Karabagh et à une guerre avec l’Azerbaïdjan. Cela a abouti à l’indépendance de l’Arménie orientale (1991), reconnue par la communauté internationale, et à la libération de l’Artsakh. Ce triomphe a succédé à une période de 700 ans sans victoire majeure et sans Etat souverain. C’est de cela que provient probablement le manque de conscience étatique qui est une condition préalable pour construire un Etat fort.
Ainsi nous avons aujourd’hui ces trois sphères – l’Arménie, l’Artsakh et la diaspora – qui, en gros, constituent la nation arménienne. La question qui surgit alors concerne le rapport et les liens entre ces trois entités. Est-ce qu’il y a vraiment un facteur qui nous unit tous? Mis à part le génocide, y a-t-il un point commun qui fera converger nos regards sur l’avenir?
La République d’Arménie
Certains clament que l’Arménie a obtenu son indépendance seulement sur papier car elle est toujours sous la domination russe. Cet argument peut être soutenu par des faits tangibles. En effet, la plupart des représentants de la classe politique actuelle de l’Arménie fonctionnent dans leurs têtes et dans leurs actions selon le modèle de la défunte URSS. Presque toute l’infrastructure nationale a été vendue à la Russie pendant les 20 dernières années par les gouvernements successifs. Les élites politiques de l’Arménie n’ont pas pu construire un Etat de droit respectueux des droits de l’homme car les clans dirigeants ont été guidés par des motivations économiques personnelles et non pas par des intérêts nationaux. Ainsi, un système oligarchique hautement inégalitaire a été instauré en faisant accroitre la pauvreté. Le système électoral ne fonctionne pratiquement pas car toutes les élections nationales à partir de 1996 ont été manipulées. Un gouvernement qui n’a pas la légitimité de son peuple devient dangereux pour la sécurité nationale car il ne fait que servir les forces exogènes qui l’ont légitimisé. Ceci explique pourquoi toute la richesse nationale est exploitée par des forces externes alors qu’un tiers de la population vit officiellement sous le seuil de pauvreté.
L’appauvrissement de la population et l’exode massif qui en résulte ont considérablement affaibli l’Etat et notre armée nationale en subit les conséquences. L’Azerbaïdjan profite de cette faiblesse et lance des opérations militaires sans relâche contre l’Arménie et l’Artsakh en fauchant beaucoup de jeunes vies.
La Diaspora
En raison de la divergence des priorités, la Diaspora et la République d’Arménie n’ont pas pu créer des liens forts après l’indépendance. La première priorité de la Diaspora à faire reconnaitre le génocide a fait qu’elle a ignoré l’importance vitale du développement socio-politique de l’Arménie. Certes, depuis son indépendance l’Arménie a reçu beaucoup d’aide de la part de la Diaspora, mais cette aide a essentiellement été de nature caritative, qui ne résout pas les problèmes et ne contribue pas à construire un Etat viable. Cela est dû probablement à l’absence d’une pensée politique et d’un sentiment d’appartenance. La Diaspora ne s’identifie pas forcément avec l’Arménie orientale car sa patrie et ses terres ancestrales sont en Anatolie. En y regardant de plus près, très souvent on parle de la Diaspora comme une entité homogène, bien structurée avec un centre de coordination global qui ressemble à celui d’un Etat. Ce n’est pas du tout le cas. Elle est tout sauf homogène; elle n’a pas de coordination; elle est fondamentalement multiculturelle, multicommu-nautaire, d’origines variées et avec des priorités et des buts distincts. Les différents groupes qui constituent une communauté de la Diaspora viennent de différentes parties du globe, chacun apportant avec lui sa propre culture d’origine avec ses coutumes et les éléments culturels propres à la civilisation locale. Tous ces éléments influencent naturellement et fixent les priorités et objectifs de chacun.
Une autre question se pose: Est-ce que la Diaspora peut survivre et garder son arménité sans une patrie, sans un territoire où l’on peut puiser pour se nourrir de la culture de notre origine? Il y en a qui pensent qu’il est tout à fait possible de continuer à exister et à évoluer sans une patrie et un Etat. Cette hypothèse a le droit d’exister, rien que pour les débats. En revanche, beaucoup d’autres, y compris moi-même, pensent qu’une Diaspora est condamnée à une assimilation sans un noyau qui la nourrit. Cette assimilation est un processus qui prend du temps, donc on ne s’en rend pas compte dans un espace de temps limité.
Le processus de la reconnaissance du Génocide a été et est toujours la priorité de la Diaspora. Elle a fait un travail gigantesque. On peut néanmoins constater deux choses: le génocide n’est toujours pas reconnu universellement et nous avons une Arménie dangereusement affaiblie. N’y a-t-il donc pas quelque chose qui ne va pas si l’on considère que nous sommes une même nation? Est-il normal d’avoir autant de pauvreté en Arménie alors que tant de ressources humaines et financières ont été dépensées sur le processus de la reconnaissance? Il ne s’agit pas de dire que la reconnaissance du génocide n’est pas importante, tout au contraire, cela doit demeurer un objectif majeur pour nous tous, mais il y a simplement une question de priorités et de stratégie globale sur laquelle nous devons nous pencher.
Quelle solution?
Quelle perspective ou cause peut nous réunir aujourd’hui et mobiliser nos ressources de manière cohérente selon les priorités? La reconnaissance du génocide ou la guerre au Karabakh peuvent-elles jouer un rôle rassembleur à long terme? Je ne crois pas, car les faits historiques nous démontrent le contraire. Bien que nous puissions nous mobiliser de manière efficace pour une cause très spécifique pendant une durée très courte, comme la guerre de quatre jours (avril 2016) l’a montré, nous perdons l’envie et l’énergie de travailler de manière conséquente, sans pouvoir résoudre les problèmes majeurs.
La reconnaissance du génocide reste une mission très concrète mais elle ne doit pas nous faire oublier l’essentiel. Nous devrions plutôt prendre soin de nos vivants, de nos enfants et de nos seniors qui sont en danger et dans la misère en Artsakh, en Syrie, en Arménie ou ailleurs. La logique voudrait donc qu’il n’y ait pas une autre alternative que celle de construire une Arménie saine et forte qui pourra non seulement se protéger elle-même et l’Artsakh et créer un environnement qui renversera l’émigration en immigration, mais aussi de prendre soin de la Diaspora et de résoudre la question du génocide en collaborant avec des Etats puissants. L’Armée azerbaïdjanaise dopée par la propagande de haine est entrée dans un village en Artsakh en avril 2016 et a commis des atrocités sur la population civile. Des images vidéos montrent la tête coupée d’un jeune soldat yézidi de l’Armée nationale arménienne qui circulait dans des villages azerbaïdjanais. C’est donc la preuve qu’un nouveau génocide peut se produire et nous devons pouvoir protéger les citoyens de l’Arménie et de l’Artsakh. Pour cette raison j’insiste sur l’importance de fixer des priorités.
Pendant très longtemps, nous avons inconsciemment adopté une position de victime. Certes, le monde autour de nous comprend notre douleur et compatit; il y en a même qui reconnaissent le génocide, mais ça reste là. Le monde est gouverné par le principe du réalisme qui est renforcé par le langage de la force. Il faudrait donc se mobiliser autour d’une idée et monter en puissance afin de se faire écouter.
La solution est donc la construction d’un seul Etat arménien fort dans la région avec l’Artsakh rattaché à l’Arménie orientale. Avoir un Etat sain et puissant est une condition préalable pour assurer la sécurité nationale. Un Etat puissant implique une population en bonne santé physique et morale, vivant dans un Etat de droit qui assure l’égalité des chances et sert la population avec une justice séparée du pouvoir. Ce sont les conditions vitales pour assurer le développement de l’économie. Les Arméniens sont un peuple travailleur et créatif. Par conséquent, si les conditions décrites ci-dessus sont réunies, l’on observera en peu de temps une forte immigration vers le pays et une montée en puissance de la nation d’un point de vue globale. La reconnaissance du génocide suivra en peu de temps. Je me permets de citer ici la phrase de Kirk Kerkorian: «La meilleure vengeance pour nous serait d’être bien vivants, être heureux et de construire un Etat puissant sous le nez de la Turquie.» Tout y est dit!
Pour résumer: Penser aux vivants. Vivre au lieu de souffrir! Sortir de la position de victime et devenir acteur, celui qui influence plutôt que celui qui subit ou celui qui réagit. Nous devrions donc acquérir une conscience politique nationale et nous tourner vers l’Arménie et l’Artsakh. Démocratiser les institutions de la Diaspora et de l’Arménie; réussir des élections nationales justes en Arménie et fonder un gouvernement qui représenterait les intérêts de tous les Arméniens. Cet état pourra jouer le rôle de coordinateur au niveau national et se battra sur le plan international pour notre cause!
Comment s’investir en faveur d’une Arménie forte?
Nous pouvons agir dans plusieurs domaines de la société: la politique, la culture, le civisme, l’éducation et l’économie.
- Participer à la surveillance des élections aux niveaux municipal et national. La loi le permet et un certain nombre de représentants de la diaspora ont déjà participé à ce processus.
- Créer des ONG afin de soutenir la société civile ou soutenir les ONG existantes qui font un très bon travail. S’organiser dans les communautés en créant des groupes de travail et de réflexion.
- Ne pas soutenir des projets gouvernementaux qui sont douteux.
- Sur le plan économique, identifier les organisations, comme le BAF (Building and Alternative Future) par exemple, qui créent des emplois durables en Arménie et s’y investir d’une manière ou d’une autre.
- Fonder sa propre organisation (entreprise privée, ONG ou autre). Les coûts de travail et autres dépenses sont minimes par rapport à la Suisse et aux autres pays occidentaux; fonder des start-up est très avantageux. Réalisez vos rêves en créant des entreprises en Arménie!
- Culture civique: Participer comme bénévole aux différents programmes mis en place par l’Etat ou les ONG. Par exemple, des programmes pour la rénovation des sites culturels (églises ou autres), la construction de maisons, hôpitaux, écoles etc.
- Education: Camps d’été comme TUMO; Universités française, américaine, étatiques; Stages; auto-formation etc.
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