ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC SARKIS SHAHINIAN, PREMIER PRÉSIDENT DU CONSEIL DES ASSOCIATIONS ARMÉNIENNES ET ARMÉNOPHILES DE SUISSE

(Photo Jan Liechti, Berne)

Par un communiqué de presse du 24 mai 2024, nous avons été informés de la création du Conseil des Associations Arméniennes et Arménophiles de Suisse (CAAS)* dont l’assemblée générale constitutive a eu lieu le 7 mai 2024. Vous avez été élu le premier président du Bureau pour un mandat de deux ans. Pourriez-vous nous expliquer dans quelles circonstances cette organisation a-t-elle vu le jour?

 L’idée d’une structure qui chapeaute les organisations arméniennes et arménophiles de Suisse est née du silence et de la solitude politique et aussi militaire lors de la guerre au Haut-Karabakh en automne 2020. La nécessité de parler à l’opinion publique suisse, arménienne ou autre, de façon unitaire, reste fondamentale. Mais c’est surtout la volonté de créer une réflexion commune, non pas au sens de l’effacement des propres idées de chaque association, mais plutôt d’une ferme volonté de se développer, de s’ouvrir et d’avoir un certain poids d’un point de vue intellectuel et culturel d’abord et politique ensuite vis-à-vis des autres. La visite en Suisse du Haut-commissaire de la Diaspora M. Zareh Sinanyan, en mars dernier, nous a fait comprendre, si besoin était, qu’on est à des années-lumière de la compréhension du soutien concret de la part de la diaspora à l’Arménie mais aussi en sens inverse. Chacun pense avoir raison et nous n’avons même pas essayé de comprendre l’autre. Nous voulons juste le surpasser. La visite d’une délégation mixte d’Arménie, de Belgique et des États-Unis du 7 au 10 juillet 2024, dirigée par l’ancien ministre des Affaires étrangères Vartan Oskanian – président de la Commission pour la défense des droits fondamentaux du peuple du Haut-Karabakh – qui est intervenu lors d’un Side-Event du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève, et sa rencontre avec les responsables des organisations et des Fondations arméniennes de Suisse (recevant une invitation personnelle pour participer à la soirée du 9 juillet au Centre arménien de Genève) va dans cette direction, c.à.d. de pousser les gens en dehors de leur zone de confort et à réfléchir aux valeurs réelles notamment à ce que pour nous a une valeur inestimable: l’État arménien et le Haut-Karabakh. Moi, j’ai mes propres convictions par rapport à la manière dont le Premier ministre d’Arménie est en train de conduire son gouvernement. Elles ne sont pas positives. Mais mon  rôle, en tant que président du CAAS, est de garantir la pluralité des points de vue et de contribuer à créer une culture politique au sein de notre communauté, ce qui nous manque énormément, tant en Arménie qu’en Diaspora.

Quels sont les buts du CAAS et comment son fonctionnement sera-t-il assuré?

Le préambule de nos Statuts souligne le besoin des organisations arméniennes et arménophiles de Suisse d’avoir une représentation commune vis-à-vis des autorités fédérales suisses et de l’opinion publique suisse et internationale; l’importance de sauvegarder la sécurité de l’État arménien, ainsi que la sécurité et les droits du peuple arménien, où qu’il soit; l’importance de promouvoir la justice pour les Arméniens du Haut-Karabakh (Artsakh); l’importance de protéger les Arméniens des menaces nées avec le génocide de 1915 et sans cesse ravivées; l’importance de promouvoir la prospérité de l’Arménie; l’importance de disposer d’un moyen de réaction immédiate lors de situations nouvelles; l’importance de préserver l’héritage de la nation arménienne et du peuple arménien (là ou l’héritage n’est pas confiné à l’héritage matériel, mais aussi immatériel). Ainsi, nous défendrons les droits du peuple arménien en Arménie, ceux des Arméniens du Haut-Karabakh et de la diaspora, totalement majoritaires. Le CAAS ne sera pas le porte-parole du MFA d’Arménie: il donnera du poids à tous les niveaux nationaux et internationaux, à l’identité du peuple arménien, et non seulement d’Arménie. Nous poursuivrons toutes les possibilités ouvertes pour ne pas entrer dans le syndrome du Traité de Lausanne, dans lequel l’Azerbaïdjan et la Turquie essayent de nous pousser. De notre côté, nous avons le droit international: Il faudra le faire appliquer.

Quel rôle le CAAS jouera-t-il au sein de la communauté notamment compte tenu de l’existence d’un nombre d’organisations membres ou non-membres du CAAS qui déploient leurs propres activités en Suisse?

Pour ce faire, le Conseil représentera d’une manière commune et collégiale lesdites organisations vis-à-vis des autorités et de l’opinion publique suisse et internationale; il va concevoir et réaliser pour le compte de ses membres des projets politiques, médiatiques et humanitaires dans le but de préserver la sécurité de l’État d’Arménie, la sécurité et les droits du peuple arménien, et de promouvoir la justice pour les Arméniens du Haut-Karabakh. Il va promouvoir la prospérité du peuple arménien en général, préserver les intérêts historiques, actuels et futurs de la nation arménienne, coordonner la participation de ses membres aux projets lancés, promouvoir la préservation de l’héritage de la nation arménienne. Voilà ce que sera le CAAS.

Quelle relation le CAAS entretiendra-t-il avec les autorités de la République d’Arménie et de son ambassade en Suisse?

Fédérer mais aussi encourager la réflexion et l’action. Surtout avec le courage de pousser le dialogue au-delà de nos limites. Nous devons comprendre que le monde change beaucoup plus rapidement qu’il y a trente ans, alors qu’il changeait très vite par rapport aux 30 ans auparavant. Nous devons avoir confiance en notre capacité de penser et d’agir. Elle n’est pas secondaire, surtout tenant compte des expériences du passé. Pas toutes les organisations arméniennes et arménophiles de Suisse sont actuellement membres du CAAS, toutefois la grande majorité a compris l’importance du CAAS et est avec nous. Ce sera notre devoir de les convaincre avec notre travail qu’il est fondamental d’avoir une organisation faîtière. Le CAAS cultivera des relations ouvertes mais aussi sincères. Nous allons formuler nos points de vue et les transmettre à l’ambassadeur d’Arménie en Suisse, lui demandant des retours de son gouvernement. Et si nous n’en serons pas contents, nous réagirons en conséquence. Le CAAS fera peser toute son autorité. Elle n’est pas immense, mais elle n’est pas petite non plus. Nous savons comment bouger. Dans les deux cas.

 De quelle manière l’activité du CAAS contribuera-t-elle à une meilleure compréhension des problèmes de l’Arménie par les autorités cantonales et fédérales?

Par l’opiniâtreté, l’argumentation continue et le martèlement des faits, notre capacité de convaincre. Nous avons formé trois commissions internes: Politique, Media & Advocacy et Héritage culturel. Nous sommes prêts dans les trois contextes et les ferons valoir. C’est fondamental de travailler sur cela, sans avoir peur d’être un peuple qui n’a pas le vent en poupe. Vous-êtes vous posé la question pourquoi l’Arménie n’a pas rejoint la déclaration finale du Bürgenstock sur la paix en Ukraine? Il y a une raison, et je ne suis pas convaincu qu’elle ne soit pas visible…

Avez-vous déjà élaboré un premier plan d’action?

Nous avons besoin de comprendre notre vitesse de croisière. Une fois celle-ci fixée, le reste suivra. L’important est que les 13 associations du CAAS (et bientôt toutes les autres associations arméniennes et arménophiles de Suisse) comprennent l’importance de cette organisation faîtière et de ses buts. Ce sera fondamental que les trois commissions arrivent à travailler de façon indépendante et en même temps ensemble avec le Comité. Une fois que cette dynamique sera instaurée, le reste suivra.. L’importance du CAAS va bien au-delà des frontières de la Suisse. Lors du premier zoom de préparation de notre organisation en 2021, nous avons été rejoints par des collègues d’Allemagne et d’Italie. Ce n’était pas du tout anodin. Le courage de rendre cyclique le système de direction, permettant à chaque association – constituée selon le droit suisse – de diriger cette organisation faîtière, reste fondamental dans la philosophie du partage du pouvoir et de la pratique d’une vraie démocratie. C’est une valeur typiquement suisse. Et cela pourrait aider, même en Arménie.

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(*)Les associations constituantes du CAAS sont:

AGBU Young  Professionals Geneva, AGBU Young Professionals Zurich, Armenian General Benevolent Union (AGBU) – Switzerland, ArmenischerVerein Zürich (AVZ), Artzakank-Echo, Association Avetis, Association Santé Arménie Suisse, Association Suisse-Arménie (GSA), Ecole Arménienne de Lausanne, Hyestart, Komitas Action Suisse-Arménie (KASA), Miassine, Union Arménienne de Suisse (UAS).

 

2024-07-22T19:31:33+02:00 22.07.24|COMMUNAUTÉ, INTERVIEWS|