QUAND L’ARMÉNIE ACCUEILLE UN CIVILISTE SUISSE

(Photo: Le Courrier d’Erevan)

Rencontre avec Fabien Krähenbühl, archéologue et historien de l’art, qui a passé neuf mois en Arménie entre 2011 et 2013 au sein de KASA comme civiliste suisse. Il a ensuite consacré huit autres mois à la rédaction d’un magnifique ouvrage intitulé Pierres sacrées d’Arménie, introduction au patrimoine architectural arménien en collaboration avec Patrick Donabédian

Comment vous est venue l’idée de choisir l’Arménie pour effectuer votre service civil ?

J’avais envie d’effectuer mon service civil à l’étranger. De plus, je souhaitais que ma formation d’archéologue et d’historien de l’art puisse être mise au service de projets de développement. Ayant entendu dire que l’association KASA prenait des civilistes en Arménie, j’ai tout de suite été intéressé. Avant d’y aller, j’avais déjà une petite idée de la richesse du patrimoine culturel de cette région du monde.

Quels étaient les lieux de votre affectation?

Gumri et Erevan.

Quel a été votre travail durant vos affectations?

Mes affectations ont toujours été divisées en deux grandes parties.
Au cours de la première, je participais à une fouille archéologique dans la région du Chirak sur le site de l’église paléochrétienne de Ereruyk.
Durant la seconde, je travaillais pour KASA sur des projets liés au développement d’un tourisme culturel en Arménie.

Vous avez eu la chance de participer à la mission archéologique franco-arménienne de Ereruyk dirigée par Patrick Donabédian.

Oui cela a été une réelle chance pour moi. Une expérience très enrichissante tant du point de vue scientifique qu’humain. L’équipe était dirigée par l’historien de l’art Patrick Donabédian et le directeur du musée régional du Chirak, Hamzasp Khachatryan. Elle comptait notamment un anthropologue, un géomorphologue et un topographe, ainsi que des étudiants en archéologie, parmi lesquels Arménouhi Magarditchian, suissesse d’origine arménienne de Genève. Les recherches entreprises sur ce site visent à mieux comprendre les imposants restes de la basilique d’Ereruyk (fin Ve-début VIe s. apr. J.-C.) et les vestiges environnants liés à cette église, notamment la zone funéraire avec ses nombreuses sépultures.

Quel a été votre rôle durant les différentes campagnes de cette mission ?

En 2011, j’ai surtout fait un travail de fouilleur. En 2012, par contre, le responsable d’opération français, Damien Martinez, ayant eu un empêchement de dernière minute, je l’ai remplacé tant sur le terrain que dans la phase rédactionnelle pour le rapport scientifique. En 2013 et 2014, j’ai été responsable de secteur.

Et l’autre volet de votre mission ?

Il a notamment consisté à élaborer une brochure touristico-culturelle sur la région du Chirak en collaboration avec un autre civiliste suisse, photographe, Yann André, et des membres de KASA-Gumri. Ce petit ouvrage présente une introduction à la géographie, à l’histoire et aux monuments de cette région d’Arménie trop souvent délaissée par les guides et les touristes. Des visites de sites et quelques randonnées y sont proposées.

A partir de là vous avez songé à rédiger un ouvrage plus important

En quelque sorte oui. On peut dire que la brochure sur le Chirak m’a fait mettre un pied dans le monde de la création de livres (rédaction, graphisme, mise en page, illustration, imprimerie, etc.). Mais c’est surtout au fil des discussions avec des guides arméniens, des membres de KASA, des touristes et des historiens de l’art, en particulier Patrick Donabédian, que cette idée a germé dans mon esprit. A la base, il devait s’agir d’un petit document sur l’architecture chrétienne d’Arménie, une sorte de glossaire, destiné à servir de support pour la formation de guides que KASA propose. Puis, de fil en aiguille, cet ouvrage s’est mué en un véritable petit livre à destination de toute personne désireuse d’approfondir ses connaissances sur le sujet. Cette transformation est surtout due au soutien des membres de KASA et en particulier de Monique Bondolfi, la présidente de cette organisation.

Il existe déjà de nombreuses publications sur l’architecture arménienne. Qu’est-ce que votre ouvrage peut apporter de plus que les publications préexistantes ?

Il est vrai que l’architecture chrétienne d’Arménie est un sujet passionnant qui a déjà engendré la parution, dans diverses langues, d’un grand nombre de livres tant généraux que spécialisés. Ces ouvrages sont le plus souvent de beaux grands livres de salon ou des monographies et des articles sur des thématiques spécifiques. Je dirais que l’ouvrage que j’ai réalisé avec Patrick Donabédian n’a pas la prétention d’apporter du nouveau d’un point de vue scientifique. Il s’agissait surtout de rassembler les principales informations et d’en faire une synthèse critique, bien illustrée, accessible à toutes les personnes intéressées – une accessibilité intellectuelle, mais aussi financière (beaucoup de livres occidentaux sur le sujet sont difficilement consultables en Arménie et leur prix est souvent prohibitif pour un porte-monnaie arménien moyen). De plus, j’ai essayé de concevoir ce petit livre de manière à ce qu’il soit un outil pratique, tant pour les touristes dans leurs découvertes des monuments arméniens que pour les guides dans leur travail. Le premier pas réalisé dans cette direction a été le choix d’un format A5 et d’un nombre limité de pages. Le second se traduit par la structure de l’ouvrage. La première partie est introductive. On y trouve des informations sur la géographie et l’histoire du plateau arménien, ainsi que deux pages consacrées à l’Eglise arménienne. Le corps de l’ouvrage présente les monuments chrétiens arméniens, à travers leurs plans et leurs élévations. Suit une petite partie, sur les monuments mineurs : stèles, croix, khatchkars, etc. Enfin, les dernières pages comportent notamment un glossaire-index, une bibliographie et des cartes de localisation.

Quel a été le processus de création de ce petit livre ?

Après avoir eu l’idée de réaliser un tel ouvrage, j’en ai parlé à Patrick Donabédian qui m’a directement proposé sa collaboration. Fort de ce soutien intellectuel – véritable filet scientifique pour le non-spécialiste que j’étais -, j’ai commencé mes recherches et mes lectures sur la question, tout en réfléchissant à une charte graphique qui ait un sens. Ce travail a été initié au cours de mon dernier mois de service civil. Mon obligation de servir terminée, nous avons lancé une souscription avec KASA afin de récolter un peu d’argent pour me permettre de continuer ce travail (défraiement des voyages, des assurances suisses, nourriture, etc.). C’est notamment grâce à la générosité de KASA, de mes parents et des souscripteurs que le livre a pu être imprimé dans un délai relativement bref au vu du travail qu’il y avait à abattre.

Maintenant qu’il existe, quel est l’avenir de ce petit livre ?

Cela, seul l’avenir nous le dira. D’un point de vue de la diffusion en Arménie, nous sommes en train d’œuvrer avec KASA pour qu’il soit présent dans le plus d’endroits possibles (musées, sites, librairies, agences de voyage). Pour ce qui est de la diffusion en Suisse et Europe, nous nous attaquerons à cette question à partir de septembre. Ce serait bien que cet ouvrage puisse avoir une certaine visibilité hors du monde arménien et peut-être ainsi donner envie à des personnes d’entreprendre un voyage en Arménie.
Nous envisageons également une traduction en anglais et probablement en arménien. Toutefois, il nous faut encore trouver des fonds pour ces projets et aussi des traducteurs compétents et motivés.

Et votre avenir à vous ?

Mon expérience en Arménie a été très enrichissante. J’ai beaucoup appris de choses, notamment avec ce projet de livre. Mon avenir est loin d’être tout tracé : à l’heure actuelle les opportunités professionnelles en archéologie et en histoire de l’art sont peu nombreuses en Suisse et en Europe.
J’ai néanmoins plusieurs projets en tête, en particulier l’organisation de voyages culturels à l’étranger et des journées de visites patrimoniales en Suisse, ainsi que la rédaction de documents similaires à celui réalisé pour l’Arménie pour d’autres périodes et régions du monde. Il reste à voir si ces projets intéressent suffisamment de monde pour que je puisse en vivre…

Et votre lien avec l’Arménie ?

Moi qui n’avais aucun lien particulier avec ce pays avant d’y venir, je dois dire que maintenant ce n’est plus le cas. Je vais y rester attaché et certainement y retourner !

(Propos recueillis par Monique Bondolfi)

2017-12-01T23:42:14+01:00 16.09.14|INTERVIEWS, SUISSE-ARMÉNIE|

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