Le 2 avril 2017 l’Arménie tiendra des élections législatives, les premières après l’adoption par référendum en décembre 2015 d’une réforme constitutionnelle transformant le pays en république parlementaire. Cinq partis politiques et quatre blocs seront en lice pour les 101 sièges du Conseil national. Le président et son parti républicain (HHK) se disent déterminés à assurer des élections libres et équitables mais leurs opposants politiques sont sceptiques quant à ces promesses. Les États-Unis et l’Union européenne ont alloué environ 10 millions de dollars pour l’achat d’équipements appropriés afin d’empêcher la fraude électorale. Citizen observer, une coalition de groupes de la société civile arménienne, envisage de déployer quelques 3500 observateurs – dont un nombre d’Arméniens de la diaspora – dans les bureaux de vote à travers le pays. Ils s’ajouteront à la mission des experts et observateurs du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE.
Le 28 février, par un appel publié sur sa page Facebook (voir p. 3), le Premier ministre Karen Karapetyan a invité les professionnels arméniens du monde entier à se réinstaller en Arménie et à contribuer à la mise en œuvre des vastes réformes promises par son gouvernement.
Beaucoup dépendra sans doute du scrutin test du 2 avril prochain. Malgré les mesures annoncées par le nouveau Premier ministre après sa nomination en automne 2016, les réformes promises ne se font pas encore sentir sur le terrain. Si cela pourrait être partiellement compréhensible sur le plan économique, rien ne justifie les retards en matière de droits de l’homme et d’application de la justice. Des groupes de la société civile et des organisations internationales des droits de l’homme continuent à dénoncer des abus dans ces domaines. Le cas le plus flagrant est celui du « porteur de pain » qui a suscité beaucoup d’émoi durant ces deux derniers mois.
Artur Sargsyan fut surnommé « porteur de pain » depuis qu’il a forcé le 26 juillet 2016, un barrage de police au volant d’un camion de nourritures en soutien au groupe des « Sasna Tsrer » retranché dans la caserne de police d’Erebuni. Il est resté avec les membres du commando jusqu’à leur reddition le 31 juillet. Emprisonné et inculpé de participation à l’opération armée, il a été libéré conditionnellement le 30 décembre 2016 en raison de son état de santé incompatible avec la détention et cela, peu de temps après que la Cour Européenne des Droits de l’Homme eut adressé aux autorités arméniennes une série de questions le concernant. En effet, ce vétéran de guerre du Karabagh, blessé à plusieurs reprises, souffre de plusieurs maladies graves. A sa sortie de prison, il a donné une longue interview à la rédaction du site d’investigation Hetq dans laquelle il a expliqué son geste et les irrégularités judiciaires commises à son encontre. La vidéo a fait le tour du monde à travers les réseaux sociaux et nous a fait découvrir un homme digne, aux grandes valeurs humaines.
Le 9 février 2017, Artur Sargsyan a été replacé en détention préventive suite à une nouvelle expertise médico-judiciaire concluant que sa maladie était conciliable avec la détention. Pour protester contre cette nouvelle incarcération abusive, le « porteur de pain » a entamé une grève de la faim. Suite aux rassemblements de protestation de la société civile et à la requête de 27 parlementaires dont certains ont versé une caution, le procureur général a ordonné la remise en liberté conditionnelle d’Artur Sargsyan. Après 23 jours de grève de la faim, pendant lesquels il avait refusé tous soins et médicaments, ce dernier a été transporté le 7 mars 2017 de l’hôpital de la prison à l’hôpital civil dans un état critique.
Le traitement inhumain d’un homme comme Artur Sargsyan dont le courage et l’abnégation ont marqué les esprits tant en Arménie que dans la diaspora, porte incontestablement un coup dur aux efforts du Premier ministre Karen Karapetyan visant à rétablir la confiance envers les autorités. Ces pratiques, qui selon les ONG locales ne seraient pas des cas isolés, ne font qu’attiser la colère des citoyens et le mécontentement dans les communautés arméniennes à travers le monde. Elles jettent une ombre sur la bonne foi et la crédibilité de ceux qui tiennent les rennes du pouvoir, notamment en cette période pré-électorale.
Il est grand temps pour le gouvernement arménien de passer de la parole aux actes et d’assurer le respect des droits fondamentaux dans le pays. Cela contribuera à la cohésion nationale face aux défis majeurs auxquels est confrontée l’Arménie, dont la sécurité en particulier. Rappelons qu’au cours de ces deux derniers mois, des violations graves du cessez-le-feu et plusieurs tentatives d’incursion de la part de l’Azerbaïdjan ont été enregistrées tout au long de la ligne de contact faisant des morts et blessés parmi les soldats. Devant un adversaire de plus en plus arrogant et menaçant sur les plans militaire et politique, et à défaut d’une réaction appropriée de la part des instances internationales et des co-présidents du Groupe de Minsk, nous devons unir nos forces en Arménie et dans la diaspora. A cet effet, il appartient aux dirigeants de l’Arménie de combler rapidement le fossé entre les autorités et les citoyens en mettant en œuvre les changements promis.
Maral SIMSAR
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