Le 8 juillet dernier à Erevan, le Premier ministre Nikol Pashinyan a assisté à une rencontre internationale de football (Legends’ Match) réunissant des ex-stars du ballon, venant des pays européens et de l’Amérique latine. À la fin du match, c’est vers M. Pashinyan que les jeunes fans du foot se sont tournés pour demander un autographe! Deux mois et demi après la Révolution de Velours et son élection au poste de Premier ministre, la popularité de Nikol Pashinyan reste intacte non seulement en Arménie mais aussi dans la diaspora. En effet, les rencontres que le Premier ministre a eues avec les communautés arméniennes ces deux derniers mois en marge de ses visites officielles à l’étranger ont suscité beaucoup d’enthousiasme et ses déplacements à Sotchi, à Moscou, dans les villes et villages de Javakhk et à Bruxelles ont donné lieu à des scènes de liesse spontanée sans précédent.
Cette popularité n’est pas étonnante compte tenu de l’impressionnant travail accompli par le nouveau gouvernement en si peu de temps. Les consultations entre les différentes fractions parlementaires sur la réforme du Code électoral sont déjà bien avancées en vue des élections législatives anticipées. D’autre part, les ministres annoncent la prise de mesures visant à limiter les dépenses publiques et à assurer une gouvernance transparente et plus efficace. M. Pashinyan et certains membres de son gouvernement font régulièrement recours à l’utilisation de la vidéo via Facebook pour communiquer leurs messages, annonces, appels et comptes-rendus. Leurs pages sont suivies par des dizaines de milliers d’utilisateurs et l’intérêt du public reste toujours vif.
Dans un temps record, M. Pashinyan a réussi à surmonter plusieurs obstacles avec beaucoup de tact et de fermeté. Quelques évènements marquants de cette période méritent d’être mentionnés. Ainsi, malgré les manifestations des familles et proches des Sasna Tsrer (le groupe armé qui avait pris en otage un commissariat de police à Erevan en juillet 2016) et des opposants à l’ancien régime détenus dans les prisons, il a refusé de faire pression sur les tribunaux pour les faire libérer, en insistant sur la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Les juges des tribunaux de différents degrés ont fini par commuer les peines, accorder des sursis ou des libérations conditionnelles ou casser les verdicts de culpabilité d’un certain nombre de détenus considérés comme prisonniers politiques. Plusieurs personnes dont Garo Yeghnukian, Jirayr Sefilian et Guevorg Safaryan ont recouvert la liberté moyennant des cautions fournies par des députés alors que d’autres attendent encore leur tour.
Dans le cadre de l’engagement du Premier ministre pour déraciner la corruption endémique qui a miné le système politique et économique du pays depuis l’indépendance, des inspections ont été réalisées dans l’administration en commençant par les douanes, l’armée, les écoles, et d’autres services de l’État, pour continuer auprès des grandes entreprises. Grâce aux efforts conjoints du Service de Sécurité National (SSN) et de la Police, un certain nombre de procédures pénales ont été ouvertes et ont permis à l’État, selon M. Pashinyan, de récupérer 20’622 milliards de drams (environ USD 42 millions de dollars) en taxes non-payées et d’autres abus financiers. Il a promis d’attribuer 10 milliards de drams (environ USD 21 millions) en subsides aux régions en dehors de la capitale.
Un des cas les plus médiatisés fut celui de la chaîne des supermarchés « Yerevan City » appartenant au député et oligarque Samvel Aleksanyan où l’on a découvert un mécanisme de détournement de la taxe sur le chiffre d’affaires et de la TVA. Ce même mécanisme aurait fonctionné chez d’autres entreprises. Les menaces de ces chaînes de supermarchés d’augmenter les prix en cas de pénalités ont été neutralisées par M. Pashinyan, qui a fait appel à la population via sa page Facebook de boycotter « les voleurs et les corrompus qui essayent de prouver avec ces augmentations que l’illégalité est mieux que la légalité », suivi d’un autre message dans lequel il montrait que le supermarché Carrefour n’avait pas augmenté ses prix. Les grosses chaînes de distribution ont cédé en moins de 24 heures et ont annoncé la fin des augmentations!
Mais l’affaire la plus choquante a été l’arrestation, le 16 juin, du député républicain et président de l’Union des volontaires « Yerkrapah » Manvel Grigoryan suite à la découverte, lors de la perquisition de ses proprié-tés, d’un arsenal et d’une collection de dizaines de véhicules anciens et modernes y compris des véhicules et une ambulance destinés à l’armée. Des stocks de conserves militaires, de médicaments et d’uniformes militaires ainsi que de différents types de produits alimentaires issus des aides envoyées par les écoliers aux soldats stationnés en première ligne en Artsakh pendant les jours de guerre d’avril 2016 ont également été trouvés chez lui.
Parmi les hauts fonctionnaires et personnalités de l’ancien régime qui se trouvent dans le collimateur de la justice, citons Levon et Alexander (Sashik) Sargsyan, les frères de l’ex-président Serge Sargsyan, et leurs enfants. Ils sont soupçonnés d’enrichissement illégal, pour le premier, et de détention d’armes et de stupéfiants pour le second. Les enquêtes sont en cours et les intéressés ont été entendus par le SSN et relâchés à l’exception de Hayk, fils d’Alexandre, qui est soupçonné de tentative de meurtre.
L’autre évènement majeur de ces derniers mois fut la démission, le 9 juillet, du maire d’Erevan Taron Margaryan sur fond de l’investigation sur la légalité de ses possessions et de la découverte de la fraude financière au sein de la Fondation Erevan dont il présidait le conseil d’administration. Cette démission vient après tant d’autres au niveaux municipal, administratif et judiciaire avec parfois des révélations surprenantes.
La guerre contre la corruption suit son cours, les figures de l’ancien régime s’éloignent graduellement et le gouvernement essaye de promouvoir les investissements étrangers, de trouver des solutions à de nombreux problèmes hérités de l’ancien régime et de faire face aux menaces de guerre azerbaïdjanaises sur les plans militaire et diplomatique. Une autre étape plus longue et ardue commence maintenant, celle de la mise en œuvre des réformes déjà annoncées dans tous les domaines, tout en poursuivant la Révolution de Velours en termes de valeurs sociales et citoyennes notamment au niveau individuel. À ce stade, les efforts de chacun(e) comptent pour qu’on ressente enfin une amélioration du niveau de vie et des services publics. Cette révolution nous a montré que le peuple arménien est capable de prendre son destin en main et de réaliser ses rêves. Il suffit d’en avoir la volonté!
Maral SIMSAR
Laisser un commentaire