SOS SANTÉ VILLAGES, RÉGION DE SYUNIK

Goris 2022: Inauguration de l’équipe mobile
De gauche à droite: Dr Shake Bashkhyan (Belgique), Dr Aida Djoulfayan (France), Dr Leda Cilacian (Suisse), Dr Tatevik Bazinian (France), Dr Hakob Khachyan (Arménie)

INTERVIEW AVEC DR. LEDA CILACIAN

« SOS Santé villages, région de Syunik » est un projet de l’organisation Santé Arménie* porté par trois jeunes médecins généralistes: Tatevik Bazinian (France), Leda Cilacian (Suisse) et Shaké Bashkhyan (Belgique). Il vise à soutenir les structures médicales dans les villages de Syunik à travers une équipe mobile de médecine générale permettant d’assurer les soins de première nécessité aux populations locales, de repérer et de dépister les malades chroniques, de les suivre ou accompagner vers les filières adaptées. En parallèle, des cours de formation sont proposées aux médecins généralistes des régions rurales.

Née à Genève, Dr. Leda Cilacian Ray est spécialiste en médecine interne générale et travaille au sein d’un cabinet à Fribourg où elle est domiciliée avec son époux et leurs deux enfants. Artzakank l’a rencontrée pour en savoir plus sur ce projet et son engagement en faveur de l’Arménie.

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Comment avez-vous décidé de vous investir en Arménie et comment ce projet a-t-il été conçu?

Je voulais m’impliquer en Arménie dans le domaine médical depuis plusieurs années, mais je ne savais pas comment m’y prendre ne connaissant pas suffisamment le système de santé arménien. J’en ai parlé à Sahakanush Maloyan, originaire de Gyumri, qui vit dans mon quartier à Fribourg. Nous avons décidé d’axer nos efforts sur la sensibilisation à « vivre sainement » dans les écoles. Après une étude de terrain en octobre 2019, nous avons élaboré un projet pilote dans une école à Gyumri et avons engagé une personne pour débuter la prévention dans les écoles. Malheureusement, ce projet n’a pas pu être poursuivi à cause la pandémie et de la guerre de 44 jours.

Lors de notre visite en Arménie en avril 2021, j’ai remarqué que les personnes sur place avaient besoin de soins urgents et que la prévention était devenu un concept inutile à ce stade. Par ailleurs, la région de Syunik était la plus touchée par la guerre et avait besoin de plus d’aide. En raison de la volonté de poursuivre des projets et de l’arrêt de nos projets au sein de notre association (AAF), j’ai décidé de rejoindre Santé Arménie.

L’état des routes dans les villages frontaliers de Syunik

Nous avons rencontré des médecins de la région de Syunik et avons constaté des difficultés à plusieurs niveaux : formation insuffisante des médecins sur place, accès limité aux soins dans les villages reculés, infirmières des dispensaires isolées dans les villages. Suite à ces constats, le projet « SOS Santé, villages de Syunik » est né.

Quels sont les buts visés par ce projet et à quel stade de réalisation se trouvent-ils?

Ce projet que nous avons élaboré avec mes consœurs de Santé Arménie, Dr. Tatevik Bazinian et Dr. Shaké Bashkhyan comprend deux axes: Une équipe mobile intervenant dans les villages frontaliers de Syunik et la formation de médecins généralistes par le biais de cours par webinar et sur place.

Le but de l’Équipe Mobile, composée d’un médecin, est d’aller au plus proche des populations locales, en collaboration avec les infirmières locales des dispensaires et les structures médicales existantes, pour assurer les soins de première nécessité, mais également repérer, dépister les malades chroniques, les suivre ou les accompagner vers les filières médicales adaptées, assurer le suivi des enfants ou leur déplacement vers les centres pédiatriques, assurer le suivi médical des patients grabataires.

Actuellement, un médecin recruté en octobre 2021 effectue de 50 à 60 consultations par semaine dans les dispensaires des villages frontaliers en étroite collaboration avec les infirmières locales. Les villages concernés sont: Khnatsakh, Khoznavar, Vaghatour, Verishen, Kornidzor, Hartashen, Vorotan, Shour-noukh et Bardzravan, représentant ensemble entre 4000 et 5000 habitants. Il a été formé à l’échographie et à l’utilisation des appareils de laboratoire. Nous assurons une surveillance par zoom chaque semaine pour l’aider à poursuivre sa formation et discuter de cas cliniques complexes rencontrés sur le terrain. Nous avons également effectué plusieurs missions de consultations sur le terrain avec lui.

Quant aux cours de formation en médecine générale, nous les avons créés en collaboration avec deux médecins arméniens d’Espagne, un pneumologue †††et un généraliste. Nos partenaires Dr. Lusine Sahakyan et Dr. Lusine Antonyan de COAF (Children of Armenia Fund), qui connaissent bien le terrain, nous ont beaucoup aidées pour le choix des thèmes et la mise en place du programme des cours. Le premier cycle de formation (14 cours) qui a réuni 25 médecins a eu lieu d’octobre 2021 à juin 2022. Les cours sont validés par des crédits de formation délivrés par le département de la santé de l’Arménie. Un deuxième cycle est prévu de janvier à juin 2023 pour un nouveau groupe de 50 participants.

Au dispensaire de Vorotan, de gauche à droite, Tatevik, Sveta Mkrtchyan (infirmière du dispensaire), Shake, Leda et Vahé Mournet (époux de Tatevik).

Quels sont les thèmes des cours de formation et pourquoi les avez-vous choisis?

A travers nos discussions avec différents acteurs du domaine médical en Arménie, nous avons appris que la formation des médecins et infirmiers à la Faculté de médecine générale en Arménie était basée sur l’apprentissage des maladies et était principalement théorique. Les jeunes médecins diplômés n’avaient que peu l’occasion de mettre en pratique leurs connaissances. Nous avons dès lors axé les cours sur des cas cliniques en fonction des symptômes les plus courants et non pas des maladies. Il s’agit des principales pathologies rencontrées par les médecins généralistes telles que les céphalées, les douleurs abdominales, la petite infectiologie, les problèmes dermatologiques en cabinet, etc.

Quels sont vos projets d’avenir?

Nous souhaitons pérenniser l’activité de l’équipe mobile avec un accent particulier sur les maladies cardiovasculaires. L’idée est, dans un premier temps, de comptabiliser les personnes diabétiques dans les villages à l’aide d’un dosage d’hémoglobine glyquée et aussi les personnes avec hypercholestérolémie; et dans un second temps, de permettre à cette population d’avoir un meilleur équilibre de leur état de santé avec l’intervention du médecin de notre équipe mobile. Nous espérons trouver des internes en formation qui seront d’accord de prendre part au projet.

Nous aimerions éventuellement faire délivrer des cours par des infirmières aux infirmières des villages sur la gestion des patients diabétiques et aussi aux patients eux-mêmes sous forme de conférences.

S’agissant de la formation, nous avons l’intention de créer une université virtuelle avec des modules de cours qui seront mis en ligne sur une plateforme. Ces modules sont en cours d’élaboration et des professionnels en pédagogie médicale vont nous aider.

Quel bilan tirez-vous de vos activités à ce jour?

Le bilan est globalement positif. Nous avons réussi à mettre en application nos objectifs durant 2021-2022. L’équipe mobile lancée il y a neuf mois permet aux populations vulnérables des villages frontaliers de Syunik d’avoir accès aux soins de première nécessité. Quant aux cours de formation, les participants de notre premier cycle ont été satisfaits de leur expérience. Ces cours leur ont permis d’enrichir leur pratique en se basant sur les expériences de leurs collègues et en essayant d’appliquer les principes de « evidence based medecine ». Cependant, nous sommes seulement trois à assumer toutes ces tâches à titre bénévole et de ce fait nos projets n’avancent pas aussi vite que nous l’aurions souhaité.

(Interview réalisée par Maral Simsar)

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(*) Santé Arménie (www.santearmenie.org) est un collectif de professionnels de la santé regroupant plus de 300 médecins et chirurgiens de différentes spécialités: des kinésithérapeutes, des ostéopathes et des infirmiers ainsi que les représentants de nombreuses associations médicales françaises, actives depuis plusieurs années en Arménie et au Haut-Karabagh. Le collectif s’est réuni sous l’égide du Professeur Arsène Mekinian dès le début de la guerre de 44 jours dans le but d’apporter une aide médicale à l’Arménie aussi bien dans le contexte d’urgence d’après-guerre, que dans le moyen et le long terme.

2022-11-22T17:37:10+01:00 22.11.22|INTERVIEWS, SUISSE-ARMÉNIE|