LES PILIERS DE LA CATHÉDRALE DE ZVARTNOTS

« Selon la légende, le dôme de la cathédrale de Zvartnots reposait sur 36 piliers. La cathédrale était splendide et on pensait que rien ne pouvait ébranler cette splendeur, ni un tremblement de terre, ni le vent, ni l’ennemi. Mais un jour, chacun des 36 piliers a pensé qu’il n’était pas seul et que les 35 autres étaient suffisants pour soutenir le dôme… Et ainsi s’est écroulé le dôme divin de Zvartnots parce que les 36 piliers ont eu cette pensée séparément et ont retiré leurs épaules de dessous du dôme… « 

VardgesPetrosyan (1932-1994) (« Esquisses arméniennes »)

C’est avec horreur et indignation que nous avons appris les nouvelles des attaques de grande envergure menées par l’Azerbaïdjan sur les frontières d’Artsakh en avril dernier et des crimes de guerre insoutenables qui les ont accompagnées. Accablés par la douleur pour la perte irréparable d’un grand nombre de vies humaines, nous avons constaté avec beaucoup d’amertume qu’un siècle après le génocide, le risque d’extermination existe toujours pour le peuple arménien. En effet, l’Azerbaïdjan n’a jamais caché son intention de reconquérir l’Artsakh par la force et notre expérience de la guerre de 1991-1994 nous rappelle que cela signifie des massacres et la déportation pour les Artsakhtsis. La récompense offerte récemment par Ilham Aliev au militaire qui avait paradé avec la tête décapitée d’un soldat arménien et le traitement de héros national ainsi que les autres cadeaux dont a bénéficié l’officier qui avait assassiné Gourgen Margaryan dans son sommeil avec une hache en 2004, ne laissent aucun doute sur les desseins de la politique azerbaïdjanaise. Le soutien indéfectible de l’Etat turc à l’Azerbaïdjan et les menaces ouvertes que M. Erdogan a proférées à l’encontre de l’Arménie ne font que renforcer les risques d’un nouveau génocide.

Aujourd’hui une page de l’histoire du peuple arménien est en train de s’écrire en Artsakh et il est légitime de nous poser des questions sur les causes de la situation fatale dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Durant les 25 ans qui ont suivi l’indépendance, les différents piliers de la nation ont-ils tous accompli leur devoir ou bien ont-ils agi comme les 36 piliers de la cathédrale de Zvartnots?

De toute évidence, l’armée de l’Artsakh a pleinement assumé son rôle de pilier en payant un prix trop fort. Grâce aux nombreux reportages réalisés par les médias arméniens en ligne sur les fronts, dans les hôpitaux et avec les familles des soldats tués, nous avons appris avec stupéfaction les actes de bravoure hors du commun des recrues, des militaires professionnels et des volontaires. Mais nous avons aussi été consternés par la situation dramatique et la pauvreté extrême dans laquelle vivent ces familles, souvent privées de leur unique source de revenus suite à la disparition de leur fils ou père tombé au front.

La solidarité populaire sans précédent avec l’armée qui s’est manifestée dès le début des opérations militaires représente incontestablement un des piliers importants de notre « dôme ». La réaction pres-qu’instantanée de toutes les tranches de la société civile arménienne mérite tout notre respect. Cette réaction s’est traduite par la collecte et l’ache-minement des produits alimentaires et ceux de première nécessité pour les soldats et les personnes déplacées ainsi que par la récolte des fonds destinés aux familles des soldats tués ou blessés.

Ces événements ont aussi mis en évidence des lacunes et déficiences au sein des institutions gouvernementales et les conséquences ravageuses de la corruption qui y règne. Il s’est avéré que la classe dirigeante n’avait malheureusement pas pleinement assumé son rôle pendant toutes ces années en se comportant un peu comme les 36 piliers de la cathédrale de Zvartnots. Les voix de plus en plus fortes se sont fait entendre pour dénoncer l’incapacité des politiques et des diplomates à trouver les mécanismes nécessaires pour éviter une nouvelle guerre. Ces derniers jours quelques hauts-fonctionnaires ont été démis de leurs fonctions et espérons que des mesures efficaces seront prises pour permettre l’assainissement du climat politico-économique.

Et dans la diaspora? Dans quelle mesure avons-nous soutenu notre « dôme » depuis l’indépendance de l’Arménie? Notre soutien a-t-il été suffisant sur les plans individuel et collectif? Ce sont des questions que toute personne qui se dit arménienne devrait se poser aujourd’hui face aux dangers qui menacent l’existence du peuple arménien. « Si nous perdons l’Artsakh, nous tournerons la dernière page de l’Histoire de notre peuple » avait dit Monté Melkonian au début des années 90 et cette phrase reste toujours d’actualité. Chacun de nous peut aider à soutenir le « dôme » par un engagement personnel en Arménie ou en Artsakh, par un travail de communication et de sensibilisation ou bien par des contributions financières.

Il y a un siècle notre peuple a failli disparaître de la carte mondiale. Après avoir survécu à de nombreuses épreuves, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser toute la charge de notre « dôme » aux forces armées arméniennes. Nous devons tous devenir des piliers et le jour viendra où nous verrons ensemble la résurrection de la cathédrale de Zvartnots encore plus resplendissante.

Maral SIMSAR

2017-08-02T14:22:06+02:00 15.05.16|ÉDITORIAL|

Laisser un commentaire