LA POLITIQUE DE DÉVELOPPEMENT SUISSE EST UNE POLITIQUE DE SÉCURITÉ

(Photo: Werner THUT, DDC)

Le Conseil fédéral propose de porter le plafond des dépenses militaires de 21,7 à 25,8 milliards de francs pour la période 2025 à 2028. Le Conseil des États a décidé de le porter à 29,8 milliards. Pour compenser ces dépenses supplémentaires, le Conseil des États soutient la proposition du PLR glaronais Benjamin Mühlemann d’économiser 6 milliards de francs au sein du gouvernement fédéral, dont 2 milliards par des coupes dans la coopération au développement (DDC).

Dans ce contexte, M. Werner Thut, ancien chef adjoint de mission à l’ambassade de Suisse et responsable du programme de la DDC en Arménie, a signé une tribune dans le Südostschweiz du 6 août 2024 dans laquelle il utilise l’exemple de l’Arménie pour montrer qu’après le retrait de 1,5 milliard de francs du budget de la coopération internationale (CI) d’ici 2028 pour la reconstruction de l’Ukraine,  la proposition du Conseil des États, aurait de graves conséquences pour la coopération au développement. Une version plus longue a été publiée sur le portail de l’Association suisse de politique étrangère (sga-aspe.ch). Nous publions ci-dessous des extraits de cet article traduits en français.

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La paix, la sécurité et la démocratie en Europe ne se décident pas uniquement sur le champ de bataille ukrainien. L’instabilité sur le continent touche au moins cinq pays, des Balkans au Caucase du Sud. Plus c’est à l’est, plus c’est instable. L’importance de la dimension « sécurité » dans les programmes de la coopération suisse au développement dans ses pays prioritaires que sont l’Arménie, la Géorgie et la Moldavie est d’autant plus grande. En effet, la Russie mène une intense guerre de propagande pour gagner les cœurs et les esprits dans ces pays, ce qui sape la volonté d’auto-défense, les espoirs d’avenir et la stabilité des régimes dans ces pays.

Le programme arménien de la Direction du développement et de la coopération (DDC), qui fait partie d’un programme régional pour le Caucase du Sud, est un bon exemple de la manière dont les perspectives en matière de politique de sécurité sont intégrées dans la coopération au développement.

Dans le cadre d’objectifs principaux, celui-ci poursuit également des buts de prévention des conflits par: 1. la stabilisation et la transformation démocratique des conflits de politique intérieure en Arménie; 2. le maintien de perspectives économiques pour les habitants des régions frontalières; 3. le renforcement de la confiance et de l’attachement de la population, notamment des jeunes, à leur patrie; 4. la promotion à long terme de la coopération transfrontalière sur le plan technique.

Les projets de la DDC pour la promotion de la démocratie, la formation professionnelle, la coopération régionale en matière d’environnement ainsi que le développement économique des régions périphériques et frontalières soutiennent les efforts du gouvernement contre la propagande externe et les plans de renversement politique. Ils permettent également de lutter contre le désespoir et l’émigration permanente des meilleurs talents vers l’étranger. Des propositions de gestion internationale de l’eau doivent conduire à une coopération entre les parties en conflit. Par ailleurs, les engagements dans une région clé sur le plan géopolitique permettent d’assurer une protection civile à l’intégrité territoriale de l’Arménie avec des moyens non-militaires.

Le capital fondamental d’une telle politique est la crédibilité de la coopération suisse au développement, basée sur sa fiabilité, sa prévisibilité et son professionnalisme. Cependant, le facteur décisif pour sa mise en valeur est le leadership politique prévisible et fidèle aux principes de l’autorité supérieure.

Il serait également utile d’examiner le rapport coût-bénéfice des investissements dans la sécurité par le biais de la coopération au développement par rapport à l’armée. Ainsi, les dépenses de 20 millions de francs initialement prévues pour le programme arménien 2022-2025 correspondent à peine à un pour cent du montant qui serait transféré de la coopération au développement vers l’armée. Des modèles scientifiques montrent en outre un rapport coût-bénéfice extrêmement avantageux des investissements dans une politique de paix préventive. Un franc investi de la sorte permettrait à l’Arménie d’économiser un montant estimé à 16 francs pour la défense militaire.

Quels sont les résultats obtenus en Arménie ? Plusieurs projets ont été lancés, tandis que d’autres travaux ont dû être suspendus en raison de la réduction de la coopération au développement en faveur de l’Ukraine. Ce n’est pas un hasard, si en mai 2024, l’ambassadeur d’Arménie en Suisse a lancé un appel pressant à son pays hôte pour qu’il mette à profit sa position internationale respectée et continue à soutenir la jeune démocratie dans le Caucase du Sud déchiré par la guerre.

Que va-t-il se passer au Parlement? Il y sera décidé si le budget de la coopération au développement doit continuer à être sapé au profit de l’armée ou si, au contraire, les moyens nécessaires doivent être dégagés pour une politique de développement solidaire au niveau international. Une politique, qui défend efficacement ses propres intérêts en matière de sécurité, au lieu de renoncer de plus en plus à une participation globale, de se limiter en grande partie à la gestion humanitaire et matérielle des catastrophes et de saper finalement sa propre sécurité.

Werner THUT

2024-09-11T19:45:09+02:00 11.09.24|GÉNÉRAL, SUISSE-ARMÉNIE|