Une exposition qui se tient à St-Gervais Genève le Théâtre du 15 septembre au 26 octobre 2015
Entre 1895 et 1925 les journaux romands ont publié plusieurs milliers d’articles sur le sort que connaissent les Arméniens de l’Empire ottoman. Ces articles révèlent l’écho que rencontre le Génocide – qui ne porte évidemment pas encore ce nom – depuis les premiers massacres perpétrés par le Sultan Abdul Hamid II jusqu’au traitement de la question arménienne lors des Traités de la fin de la première guerre. Au fil des dépêches d’agences, des chroniques de journalistes ou des comptes-rendus des témoins sur place, il est possible de suivre le déroulement des faits, la mécanique des massacres et les jeux de pouvoir entretenus par les Puissances. Parallèlement, l’aide suisse se met en place et les journaux relaient largement les appels à l’aide et font état des différentes initiatives mises en place. Ce sont ces récits journalistiques que l’exposition Fragments souhaite restituer.
Les articles exposés sont regroupés par période dans quatre espaces différents. L’exposition suit un ordre chronologique et est ponctuée de quelques explications et repères historiques. Dans chacun de ces espaces, les visiteurs et visiteuses pourront s’asseoir et lire les reproductions imprimées de l’ensemble des pages exposées. Un dernier espace est consacré à l’orphelinat de Begnins.
Un important travail de recherche documentaire a permis de sélectionner une trentaine d’articles tirés de cinq quotidiens représentant différentes tendances politiques: le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne, L’Express, L’Impartial et La Sentinelle. Chacun de ces articles, qui sont parfois très brefs ou au contraire enrichis de nombreux détails, rapportent un fragment des événements qui se produisent en Turquie pendant la Première Guerre mondiale. Si aucun ne délivre une vision globale ou panoramique du drame qui se joue alors, leur lecture permet néanmoins de saisir l’histoire à un niveau «micro». Ici ou là, on perçoit déjà les grands enjeux de l’extermination des Arméniens. En 1895, par exemple, un journaliste de la Gazette de Lausanne juge utile de répondre aux informations mensongères qui circulent sur les massacres et révèle, par la même occasion, l’importance que revêt l’établissement des faits.
«Certaines personne croient qu’il y a de l’exagération dans les récits des massacres arméniens, ou bien elles en font retomber la responsabilité sur les Arméniens eux-mêmes qui les auraient provoqués par leurs velléités d’indépendance, et en partie même sur les missionnaires américains qui travaillent parmi eux et les exciteraient contre le gouvernement turc.
Voici une liste détaillée de faits qui ont eu lieu depuis le 1er octobre. Ces indications précises, communiquées par le secrétaire de la branche anglaise de l’Alliance évangélique, portent en elles-mêmes la garantie de leur vérité et répondront à la première objection que nous venons de rappeler, nous les donnons dans leur éloquente monotonie […]».
Outre les massacres, la destruction du patrimoine arménien de Turquie est elle aussi relatée. Le Journal de Genève publie en 1922 un texte tiré d’un journal arménien d’Istanbul dans lequel l’effacement des traces arméniennes de l’Anatolie apparaît comme l’une des étapes de l’extermination.
«Déjà pendant la guerre, quelques-uns des plus beaux monastères de l’Arménie turque avaient été dynamités par les Turcs. […] Si les Turcs croient, par les massacres de monuments enlever tout caractère arménien à ces contrées qui ont été la patrie de notre race depuis des siècles, s’ils pensent tuer dans le cœur des Arméniens l’amour de ce sol sacré où dorment des millions de nos ancêtres et où s’est accomplie notre histoire que l’on ne peut supprimer, ils se trompent. Une pareille destruction n’est qu’un crime contre la civilisation ».
Lorsqu’au château d’Ouchy ont lieu les négociations qui aboutiront au traité de Lausanne (1923), la presse ne manque pas de faire état de l’avancement des travaux. Certains comptes-rendus publiés à l’époque résument parfaitement les enjeux diplomatiques soulevés par le Génocide des Arméniens. Ainsi, un article publié le 7 janvier 1923 dans le Journal de Genève résume l’attitude des grandes puissances face aux exigences turques et ses conséquences.
«L’incident provoqué par Riza Nour Bey, qui a quitté brusquement ce matin la séance de la commission, a démontré une fois de plus l’absolue intransigeance des Turcs dans la question du foyer arménien. […] On n’exigeait plus d’Angora aucune garantie touchant la création et le statut du futur foyer; on lui demandait simplement de prendre en considération les revendications de ses victimes et de leur accorder une vague autonomie administrative et municipale. […] En repoussant par avance ces suggestions, Riza Nour a donc prouvé que les Turcs se refusaient à faire la moindre concession, et qu’ils n’hésiteraient pas, au cas où les Alliés persisteraient, à provoquer une rupture de la conférence. Or, il paraît douteux que, dans les circonstances actuelles, les Alliés veuillent s’exposer à une pareille menace, […] il est donc à peu près certain que la question arménienne sera désormais écartée».
Ce bref passage détaille non seulement les arcanes des négociations d’après-guerre, mais expose aussi de manière exemplaire les origines des obstacles diplomatiques que rencontre la reconnaissance du génocide des Arméniens depuis un siècle.
En proposant une lecture du Génocide des Arméniens à travers les articles de presse, l’exposition Fragments permet d’une part de montrer que ce Génocide, encore nié par les autorités du pays qui en est responsable, est largement connu et exposé au moment même de son exécution. D’autre part, en utilisant des sources suisses et en rappelant le vaste élan de solidarité que cette tragédie a provoqué dans le pays, Fragments souhaite montrer que ces événements s’étant déroulés il y a un siècle à plus de deux mille kilomètres peuvent être appréhendés aussi à partir d’une perspective locale et ce d’autant plus que leur portée raisonne ici même aujourd’hui encore.
Association Fragments
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