LE LION D’OR POUR LE PAVILLON NATIONAL D’ARMÉNIE À LA BIENNALE DE VENISE

(Photo HETQ)

Adelina Cüberyan von Fürstenberg nous raconte

Le 9 mai 2015, le Pavillon d’Arménie Armenity/ Haiyutioun obtenait le très prestigieux prix du Lion d’or de la 56e Biennale de Venise, exposition internationale d’art contemporain qui est considérée comme la plus ancienne et la plus prestigieuse manifestation artistique dans le monde. En cette année symbolique de 2015, le pavillon d’Arménie installé dans le Monastère Mekhitariste sur l’île San Lazzaro degli Armeni était consacré aux artistes de la diaspora arménienne.

La commissaire de l’exposition n’est autre que la genevoise Adelina von Fürstenberg, née Cüberyan, qualifiée de « lionne d’Arménie » par Elisabeth Chardon dans un bel article paru dans Le Temps du 23 mai 2015. Elle a d’ailleurs été récompensée par une médaille du Président de la République d’Arménie pour ses efforts visant à « dûment présenter la culture arménienne à la communauté internationale et pour développer et renforcer relations Arméno-suisses ». Commissaire d’exposition de renommée internationale et l’une des pionnières du champ d’élargissement de l’art contemporain par son approche multiculturelle, Adelina est la fondatrice et l’ancienne directrice du Centre d’Art Contemporain de Genève, l’ancien directrice du MAGASIN – Centre National d’Art Contemporain de Grenoble. Elle est actuellement la fondatrice et la directrice de ART for the World, une ONG basée à Genève portant sur l’art contemporain, le cinéma et les Droits humains.

Selon le communiqué de presse distribué le  5 mai 2015 à l’occasion du vernissage du Pavillon national d’Arménie, «Armenity» renforce le concept de déplacement et territoire, de justice et réconciliation, de ethos et de résilience. Ainsi, indépendamment de leur lieu de naissance, les artistes sélectionnés de la diaspora arménienne, expriment la mémoire et l’identité de leurs origines. Un ensemble «transnational sous la bannière d’une identité morcelée, reconstruite avec talent par ces artistes, petits-enfants des survivants du Génocide arménien. Leur préoccupation enracinée de l’identité, de la mémoire, de la justice et de la réconciliation, chevauche habilement les notions de territoire, de frontière et de géographie. Qu’ils soient nés à Beyrouth, à Lyon, à Los Angeles, ou au Caire, et où qu’ils vivent, ces citoyens du monde remettent constamment en question et réinventent leur arménité. »

 Adelina von Fürstenberg ne cache pas sa joie en évoquant ce prix auquel elle ne s’attendait pas. L’émotion est perceptible dans sa voix lorsqu’elle parle des différentes étapes de l’organisation de l’exposition.

Anna Boghiguian, Ani (photo armenity.net)

« En mai de l’année passée j’ai été contactée par Mme Hasmik Poghosyan, Ministre de la Culture d’Ar-ménie, qui m’a invitée à travailler sur ce pavillon en tant que curatrice. Le ministère avait décidé de donner la parole aux artistes de la diaspora sur fond de centenaire du génocide d’où le choix d’une curatrice issue de la diaspora. Je rappelle que je suis née à Istanbul, j’ai vécu en Italie et je suis suisse.

Bien entendu, il n’était pas possible de proposer un seul artiste parce que la diaspora est dispersée dans le monde entier. Après des recherches, mon choix s’est porté sur 16 artistes qui viennent de plusieurs pays. J’ai sélectionné ces artistes car j’ai remarqué que leurs travaux étaient d’une manière ou d’une autre très inspirés de leur être arménien. J’ai alors donné à cette exposition le titre « Armenity » qui vient du français « arménité ». J’ai trouvé que c’était la nouvelle perception des jeunes Arméniens d’aujourd’hui dans le monde, une volonté d’exorciser le génocide en parlant de leur expérience personnelle et en faisant face aux tragiques vécus de notre peuple. Évidemment au début on m’a dit que le mot exact en anglais serait « armenianness »  qui n’a pas le même sens. Finalement, j’ai gardé « Armenity » qui est devenu depuis une nouvelle définition de notre être arménien dans le monde pas seulement en cette année de centenaire mais pour toujours, qui on est, d’où on vient, comment notre diaspora a été formée. Chacun des artistes a été invité à regarder à l’intérieur de soi-même dans le cadre de sa famille, de son expérience, de ce qu’il a entendu pour créer ses œuvres.

Un rôle important fut réservé au monastère Mekhitariste sur l’île San Lazzaro qui est un haut lieu culturel et spirituel de la diaspora. Le choix de l’île pour accueillir le pavillon d’Arménie faisait partie de notre projet général et les artistes se sont beaucoup inspirés des trésors du monastère. L’hiver passé, les artistes sont venus visiter Venise. Nous nous sommes rencontrés et avons travaillé ensemble sur les œuvres du monastère. Les moines nous ont ouvert leur bibliothèque et montré les manuscrits ainsi que des livres rares de la période du génocide. Il est évident que le génocide est présent partout dans cette exposition sans être agressif. Cette présence est plus réflexive, très sincère et réelle. Par ailleurs, ce qui est intéressant dans ce projet est que malgré la diversité des pays de provenance de ces artistes de plusieurs générations (entre 28 et 72 ans) qui ne se connaissaient pas tous et malgré les parcours très différents les uns des autres, ils étaient unis par l’arménité. Malgré les influences des cultures dont ils étaient imprégnés, leur arménité était restée intacte. Et je pense que le jury de la Biennale a été très sensible à cet aspect de l’exposition. »

Mekhitar Garabedian (Gurgen Mahari, the world is alive, Venice) (photo armenity.org)

Quant aux difficultés liés à l’organisation d’une exposition de cette envergure, Adelina les a rencontrées à différents niveaux: « D’abord, c’était un immense honneur pour moi d’être invitée à organiser le pavillon d’Arménie. Mais je n’avais jamais eu l’occasion, dans mon parcours professionnel, d’affronter de près la question du génocide arménien, malgré qu’à la maison avec mes parents dans mon enfance à Istanbul ce sujet était présent quotidiennement. La question qui se posait était de savoir comment  transmettre la problématique du génocide à un public si vaste et international comme celui de Venise, tout en restant fidèle à son identité arménienne, mais aussi tout en se servant de l’outil extraordinaire qui est le langage universel de l’art. Je pense que nous avons réussi à relever ce défi et notre manière de faire de l’art a été appréciée par le jury(*). Pour moi, les échanges avec les artistes sur nos passés respectifs et nos regards sur le génocide ont été les moments les plus intéressants de ce projet.

 J’ai été confrontée à une autre difficulté: Il n’y avait pas suffisamment de fonds. La participation de l’Arménie couvrait la publication du catalogue et certains frais logistiques. Parallèlement à mon travail avec les artistes, j’ai dû prendre mon bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des communautés arméniennes de la diaspora pour solliciter des fonds. Je dois dire que j’ai eu des moments très pénibles et douloureux. Finalement la situation s’est débloquée vers fin février, début mars. Hormis la Fondation Bullukian de Lyon, qui est le partenaire privilégié de Armenity, nous avons bénéficié de l’aide de quelques proches amis arméniens à Genève et à Bruxelles qui ont cru dans le projet et qui, non seulement m’ont donné leur soutien, mais aussi m’ont aidée à sensibiliser d’autres organisations de la diaspora arménienne de Genève, de Bruxelles et de New York.

 Je suis très satisfaite du succès de Armenity/ Haiyutioun ainsi que de très nombreux articles de la presse du monde entier et des messages de félicitations. Le Lion d’or a contribué à augmenter le nombre de visites sur l’île et de notre pavillon et a sensibilisé davantage le public au génocide des Arméniens. Même des journalistes  turcs ont visité et écrit sur notre exposition étant donné que Sarkis, le célèbre artiste originaire d’Istanbul établi en France, qui à participé, avec quatre œuvres au Pavillon d’Arménie, avait été choisi en même temps par la Turquie pour représenter le Pavillon turc. »

L’exposition peut être visitée jusqu’au 4 novembre 2015 (voir www.armenity.net pour les détails) et il est prévu qu’une sélection des œuvres sera présenté à mi-janvier 2016 à la Fondation Bullukian à Lyon puis très probablement au Brésil  en automne 2016.

Signalons la publication par Skira, Milan, d’un catalogue comprenant, entre autres, des pages dédiées à chacun des artistes, des textes écrits par ces derniers ou des critiques d’art arméniens et internationaux, ainsi que le livre  «La Poésie Arménienne», sur 12 poètes arméniens traduits en français par Vahé Godel.

Toute en continuant ces nombreuses activités en tant que directrice de ART for The World, Adelina Cüberyan von Fürstenberg souhaiterait poursuivre ces projets arméniens également à Genève afin de faire mieux connaître l’art et le cinéma arméniens à la communauté et aux genevois. «Depuis  toujours,  les artistes, les poètes, les cinéastes arméniens à travers leur profond engagement, sont les porte-paroles de notre culture, de nos traditions et de notre présent dans le monde» dit-elle.  Ainsi le 10 décembre prochain, à l’occasion de la Journée mondiale des Droits de l’Homme, il est prévu une journée de cinéma indépendant arménien au Grütli en collaboration avec le Festival international de cinéma d’Erevan, le Golden Apricot Yerevan International Film Festival  – GAIFF.

M. S.

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(*) Le jury qui a décerné le Lion d’or de la meilleure participation nationale à la République d’Arménie, pour «Armenity/Haiyutioun»: «Sur l’île de San Lazzaro degli Armeni, une dizaine d’artistes arméniens issus de la diaspora se sont penchés sur la résilience, la force et la capacité de trouver un nouveau souffle vital, en cette année de commémoration du génocide arménien de 1915

 

 

2018-03-12T16:09:56+01:00 15.09.15|SUISSE-ARMÉNIE|

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