Le discours de Taline Garibian prononcé lors du vernissage l’exposition Fragments , le 15 septembre 2015
Mesdames et messieurs, chers amis,
«Nous redoutons la lassitude, puis le silence. Nous craignons le classement prématuré de la question arménienne dans les archives des États et dans celles de la société des Nations».
C’est avec ces mots qu’Anthony Krafft-Bonnard essayait en 1930 d’attirer l’attention de ces con-citoyens sur le sort réservé aux Arméniennes et aux Arméniens de l’Empire Ottoman pendant la Première Guerre Mondiale dans un texte intitulé Arménie. Justice et réparation. Fer de lance de l’œuvre suisse en faveur des Arméniens, le pasteur Krafft-Bonnard discerne déjà avec perspicacité ce danger, à la fois imminent et indistinct que représentent le silence et sa conséquence première: l’oubli.
Il faut dire qu’il avait déjà fait preuve d’une certaine sagacité quelques années plus tôt lorsqu’il écrivait, je cite, l’’«oubli des faits ne peut que fausser les esprits et compromettre définitivement la victoire du droit dans le tragique problème arménien».
Je pourrais ajouter à ces deux exemples un texte de 1935 appelé Pétrole, Arménie, Orphelins dans lequel, vous l’aurez compris, il dénonce l’industrie pétrolière et l’instabilité qu’elle engendre au Moyen-Orient et ce notamment au détriment du peuple arménien.
Au-delà des capacités quasi prophétiques du pasteur Krafft-Bonnard, je crois qu’il faut souligner la persistance de certains enjeux historiques et politiques. Parce qu’à l’extermination du peuple succède la politique du déni, celle qui, encore un siècle après, d’Istanbul à Genève, en passant parfois par Berne, s’acharne à imposer le silence et à empêcher méthodiquement qu’aucune lumière ne vienne éclairer l’histoire.
Le silence et l’oubli que redoute le pasteur et auxquels on peut rajouter aujourd’hui l’obscurité ne sont pourtant pas une fatalité et la multitude d’événements consacrés au Génocide des Arméniens en cette année de centenaire est là pour le rappeler. Et si la question arménienne peut sembler trop souvent enfouie dans les archives des Etats et dans celles de la Société des Nations, il ne tient qu’à nous de les en ressortir !
C’est, à mon sens, ce que doit montrer une exposition comme celle que nous vous présentons aujourd’hui.
Alors que la reconnaissance du Génocide des Arméniens rencontre un siècle après les faits une opposition encore vive et offensive et que les témoins de l’époque ne sont plus là pour raconter, les documents restent, parlent et suffisent à rapporter les faits.
Les articles de presse décrivent ce qui fait l’actualité d’une époque. Bien sûr la forme journalistique a bien changé. Le vocabulaire utilisé semble parfois désuet et les images sont extrêmement rares, pour ne pas dire inexistantes. Pourtant, hier comme aujourd’hui des dépêches de l’ATS tombent chaque jour et des comptes rendus précis des événements sur place paraissaient. Ces récits, souvent repris d’un journal à l’autre ont indéniablement, en leur temps, fait une sorte de buzz, si vous me permettez ce petit anachronisme, à l’image de la pétition qui en 1897 a réuni près d’un demi-million de signatures.
Alors au-delà du buzz qui ne dure que le temps d’un instant, nous souhaitons vivement que cette exposition permette de réfléchir à ce génocide bien sûr, à l’exil aussi et, peut être surtout, au vaste élan de solidarité et d’accueil qu’il a déclenché. Parce qu’il s’agit évidemment de l’histoire de ce qui fit, il y a un siècle, l’actualité suisse mais on doit aussi malheureusement penser à l’actualité de cette histoire.
Je vous remercie.
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