LA FIERTÉ D’APPARTENIR À UN PEUPLE QUI A 1600 ANS DE LITTÉRATURE

par Maral SIMSAR

Le dimanche 21 novembre 2010, après la messe célébrée en l’église St. Pierre de Cornaux (NE), les fidèles assistent à une cérémonie inhabituelle. Un homme reçoit le sacrement du baptême des mains du Père Shnorhk Tchekidjian, curé de l’Église apostolique arménienne de la Suisse alémanique et de Neuchâtel-Jura. Lorsque ce dernier pose la question de savoir ce que demande l’enfant, c’est le baptisé lui-même qui répond avec émotion à trois reprises et en arménien : « la foi, l’espérance, la charité et le baptême ». Il reçoit le baptême sous le prénom d’Aram.

Qui est Aram ?

Alexandre-Aram Vikol est un médecin-dentiste né à Budapest dans une famille arméno-hongroise. Son parcours remarquable vers l’appropriation de l’identité arménienne pourrait servir d’exemple à beaucoup d’Arméniens en proie à l’assimilation qui touche de plein fouet nos communautés de la diaspora.

« Je savais depuis tout petit que la famille Vikol avait des origines arméniennes. Nous avons eu quelques contacts avec l’association des Arméniens de Budapest mais sans plus. Plus tard, pendant mes études à Genève, j’ai eu des amis arméniens qui m’ont fait ressentir une vraie amitié arménienne. Mais à l’époque j’étais concentré sur mes études et probablement je n’étais pas encore assez mûr.

Mon hobby c’est l’histoire. Un jour je suis tombé sur un livre écrit par un Arménien de Transylvanie. Il s’agissait d’un recueil de tout ce que les historiens arméniens avaient écrit sur le peuple hongrois. Je me suis dit : « mais je suis d’origine arménienne, je vais continuer mes recherches sur les Arméniens ».

C’est lors d’un voyage à Venise qu’Alexandre Vikol apprendra l’histoire de sa famille d’une manière complètement inattendue. Dans le bateau qui le mène à l’ile de St-Lazare, un moine arménien demande les noms des passagers et lorsqu’il entend le nom d’Alexandre Vikol, il lui raconte spontanément l’histoire de sa famille. Originaires de la ville d’Ani, les Vikol auraient quitté l’ancienne capitale des Bagratides après sa prise par Tamerlan à la fin du XIVème siècle pour s’établir à Gaffa au Nord de la mer Noire. Chassés par les Ottomans, ils auraient vécu par la suite en Moldavie avant d’y être chassés par les Tatars. Ils auraient alors demandé l’asile au prince de Transylvanie, Mihaly Apafi, en 1680.

Le prince Mihaly Apafi

«J’ai appris que mes ancêtres avaient été reçus à bras ouverts et qu’ils étaient devenus des patriotes hongrois. Cette fraternité m’a frappé et j’ai décidé de retrouver l’autre moitié de mon identité. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé la quête de mon arménité», explique Alexandre Vikol.

En 1986, il se rend en Transylvanie avec sa mère à la recherche des Vikol. Il les retrouve et constate que la moitié d’entre eux parle encore l’arménien. Un jour, il parle de ses découvertes à une connaissance arménienne de son village près de Neuchâtel. Cette personne l’encourage à venir dans son cercle et à aller de l’avant dans sa quête de ses racines arméniennes.

« Et le déclic s’est produit Après cette expérience de plusieurs dizaines d’années, il est arrivé un moment où les choses sont parties toutes seules. C’était la dernière étincelle. Je me suis dit qu’il me fallait absolument avoir des notions de la langue arménienne. »

C’est ainsi qu’Alexandre Vikol franchit un pas important et se met à l’apprentissage de la langue de ses ancêtres paternels. Pendant deux ans, il travaille tous les jours avec les CD de la méthode Assimil et prépare patiemment son premier voyage en Arménie. « Il faut dire que ce que j’avais appris était suffisant pour établir le contact avec les habitants du pays », dit-il.

Dans son mot de remerciement adressé à Aratours, l’organisateur du voyage, il écrira sur le site de ce dernier : « Les souvenirs de ce voyage de découverte merveilleux sont inoubliables. Ayant accompli ce premier pas pour me rapprocher de mes ancêtres paternels, l’expérience s’est révélée conclusive en ce que je me suis senti, tout au long de cette visite, encouragé et aidé dans ma démarche. Enchanté par la gentillesse flatteuse devant mes essais linguistiques je me suis senti non pas un touriste mais plutôt un participant à une visite familiale. Ainsi c’est avec une fierté d’Arménien que je découvrais, jour après jour, les monuments les plus significatifs de la culture arménienne … »

Puis, un jour, il se demande pourquoi il n’irait pas, lui aussi, embrasser la Bible après la messe comme les autres fidèles arméniens, pourquoi il ne ferait pas partie de cette communion. « Ici dans la diaspora le ciment qui nous réunit c’est la foi apostolique arménienne. J’ai pensé que je devais embrasser la foi apostolique, faire partie de l’église apostolique pour être accepté dans la communauté arménienne de la diaspora. Pour moi, il s’agit de la confirmation de mon arménité et je suis très heureux d’avoir accompli le sacrement du baptême. Ce n’était pas un coup d’humeur mais un retour vers mes racines », explique t-il.

En quoi ce retour aux racines a-t-il transformé Alexandre Vikol et qu’a-t-il trouvé au bout de sa quête?

«J’ai découvert que les histoires de mes deux origines, hongroise et arménienne, étaient intimement liées. J’ai été reçu dans la communauté arménienne à bras ouverts exactement comme mes ancêtres avaient été reçus en Hongrie, il y a quatre siècles, et j’ai trouvé cela très beau. Ainsi, mes deux origines peuvent coexister sans aucune contradiction. Pour moi, l’appartenance au peuple arménien se fait par le baptême et par la langue que je suis en train d’apprendre. Au bout de ma quête, j’ai trouvé la fierté de faire aussi partie d’une culture et d’un peuple dont les origines se perdent dans le temps, la fierté d’appartenir à un peuple qui a 1600 ans de littérature.»

2017-12-02T00:20:03+01:00 20.03.11|COMMUNAUTÉ, GÉNÉRAL|

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