par Philippe DERSARKISSIAN
Allez, à chaud, une question simple: Citez trois noms d’Arméniens illustres qui vous viennent à l’esprit, là, maintenant…
Bon, pour moi-même, et dans l’ordre chronologique inversé: Aznavour, Machtots, Saint Grégoire l’Illuminateur.
Un jour de septembre 1973 mon père m’annonça souriant «je t’ai inscrit à l’école arménienne».
Je crois avoir ressenti à l’époque que c’était «trop souriant» et un peu «mal vendu» de la part de mon père.
Un peu comme les parents qui accompagnent la toute première fois leur enfant à l’école en lui expliquant que «c’est l’école, que c’est nouveau, et qu’il ne faut pas avoir peur».
Et puis, pour le gamin que j’étais, c’était surtout et malheureusement, une étude de quelques heures en plus, et en plus de l’école traditionnelle: Je sacrifiais mes mercredis de repos scolaire, sur l’autel de Machtots!
Les pavés de la découverte ne sont jamais lisses mais le chemin en vaut la peine.
J’y allais à reculons à cette école, puis en trainant des pieds, et ensuite avec plaisir à cette «école arménienne» dont les cours était dispensés par notre prêtre et comme je le remercie aujourd’hui, et aussi Mesrop Machtots (ses dates 362-440): Son alphabet apparait en 405 juste au moment crucial (c’est le cas de le dire!) de la traduction de la Bible pour convertir l’Arménie au christianisme et propager la foi.
Machtots, qui était alors moine, s’était attelé à cette tâche avec son disciple Isaac et le roi Vram Chapouh, aussi Koryun, l’un des disciples les plus proche de Machtots, son traducteur (traduction du grec et syriaque en arménien) et son biographe.
Koryun forma également une génération de scribes et de traducteurs car à cette époque les Arméniens utilisaient des alphabets comme le grec, le syriaque ou le perse, mais la langue parlée retranscrite dans un alphabet étranger reproduit très mal ou trop approximativement le son de nos mots, d’où le principe et le génie de Machtots de créer un alphabet de 36 lettres c’est-à-dire: 28 consonnes et 8 voyelles + 3 autres lettres ajoutées plus tard, le «o» le «f» et le «ev ou yev» sur le principe suivant: «une lettre pour un son» et donc aucune de ses lettres n’a un double usage. Ainsi la prononciation de la langue parlée était retranscrite très exactement.
Cet alphabet est le creuset qui a permis de faire de l’Arménie une nation libre, de préserver notre langue, d’enrichir notre culture et pour nous tous, Arméniens: d’exister encore et toujours, bien au-delà des incultes Azéris qui détruisent aujourd’hui encore nos églises et nos lieux saints en Artsakh en songeant à annihiler tout ce qui nous construit, comme notre foi, notre culture, nos légendes, notre mythologie, notre épopée: Notre Liberté.
Au nom de tout cela, je vous invite donc à visiter un site idéal et imposant et surtout, récent. Il est situé dans le village d’Artashavan (31 kms d’Erevan – 40 minutes en voiture).
Le monument de l’alphabet arménien qui célèbre le 1’600ème anniversaire de notre alphabet et qui fut inauguré en 2005. Ce site est l’œuvre de l’architecte Jim Torossyan.
Vous pourrez contempler des sculptures en tuf et ses nuances chromatiques de rouge, de jaune, de brun, disposées en arc de cercle, chaque lettre faisant 1,5 mètre sur des bases de motifs floraux, animalier ou géométrique.
La statue de bronze de Machtots de 5 mètres apparait entourée de 4 colonnes qui symbolisent les 4 évangélistes avec l’un de ses disciples, Koryun sans doute, tenant un parchemin avec les premiers mots de la Bible en arménien.
Au-delà de ce monument vous pourrez admirer une splendide chaine montagneuse dont le point culminant est le mont Aragats. Ajoutez à cela et pour une sortie d’une journée, une petite randonnée, dans une splendide nature environnante intacte et préservée.
Photographes, ici encore vous pourrez jouer de votre imagination entre ces sculptures assez atypiques et cette nature sublime…
… Cette nature sublime vous la retrouverez ensuite sur la route qui mène à Tatev, déjà évoqué dans nos colonnes, en un lieu superbe dont je vais vous conter la légende.
Pour échapper à un envahisseur qui tomba immédiatement sous son charme, une très belle jeune fille préféra s’échapper. De nombreux prétendants fascinés par cette jeune beauté avaient déjà été éconduits.
Le conquérant, très épris, voulut en faire son épouse. Mais la belle ne l’entendait pas ainsi et fit le choix de la liberté au lieu de la contrainte, plutôt l’indépendance que la soumission.
Alors elle s’enfuit dans la montagne cherchant vainement un refuge où se cacher alors que les hommes du conquérant étaient à ses trousses…ils la poursuivirent sans relâche et la localisèrent enfin. Elle courut dans la rivière, jusqu’à se retrouver au bord d’un piton rocheux assez haut et dans un acte désespéré et d’ultime courage, elle sauta, et comme éclairée par la grâce un miracle se produisit: sa large robe devint cascade et cette eau pure devint les larmes de Shaki puisque c’était son nom, une chute d’eau qui symbolise le désir d’une jeune femme qui préféra la mort à la servitude.
Sa liberté.
Nous nous y sommes rendus en voiture et j’avoue humblement que nous avons découvert la chute de Shaki comme Shaki la découvrit, elle-même, dans la légende.
Me fiant à mon GPS étant donné le peu de crédibilité que me donne mon sens de l’orientation, je suivis ce que cet appareil m’indiquait, et donc «il» me demandait de prendre la première route à droite … Je m’exécute, me retrouve sur un chemin carrossable, puis … Un peu moins «carrossable», pour me retrouver en pleine nature avec un GPS qui m’annonçait fièrement: «vous êtes arrivé». Certes, mais où ??? Pas de chute, quelques arbres…Et un pré et Naira qui avait plutôt envie d’en rire.
Nous descendons de notre véhicule et, au loin, nous voyons une rivière qui devenait plus large à 200 mètres de nous, nous décidons de la suivre pour arriver en aplomb, et parvenir juste au bord de ce piton rocheux, juste à l’endroit où la pauvre Shaki préféra un saut dans le néant. Me concernant, mon choix fut de retourner à mon véhicule sous le rire de ma femme.
Et moi-même de lui rétorquer pour ma défense: «Bon, on l’aura découverte aussi depuis en haut cette chute! Maintenant allons en bas! ». Merci la techno!
Cette fascinante cascade de Shaki est vraiment un incontournable sur la route de Tatev, une belle chute d’une hauteur de 18 mètres proche de la ville de Sisian et surtout très impressionnante par sa largeur qui est variable en fonction du débit de la rivière. Depuis le village de Shaki, vous trouverez des sentiers de randonnée menant à la cascade. Une multitude de grottes dont certaines ont une importance archéologique (découverte d’outils en pierre, de poteries.) aussi avec des inscriptions en araméen et en grec et encore d’autres grottes de lave formées par le refroidissement du magma.
Nous sommes dans la province de Syunik proche de Goris. Juste avant l’expérience du téléphérique de Tatev, l’un des plus beaux endroits d’Arménie.
Et avec un GPS: c’est encore plus festif et imprévu!
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