TROIS SOMMETS ET UN POINT CULMINANT

par Philippe DERSARKISSIAN

Nous sommes en septembre 2008. Clairement, mon arménien s’améliore et comme je l’avais écrit ici il y a quelques mois, je ne vais pas apprendre en me taisant! Finalement l’immersion et donc cette obligation de communiquer ne serait-ce que pour me diriger, ici à Erevan, me fait aussi beaucoup progresser.

Et si je communique autant pour me diriger c’est parce que j’ai naturellement une vision «très personnel» et donc peu fiable du sens de l’orientation. Nous sommes en 2008 et les smartphones et Google map n’existent pas encore.

J’affirme donc que mon sens de l’orientation – très discutable – contribua aussi grandement à l’acquisition de notre langue.

Je suis dans le métro et descends à la station «Place de la République». J’adore ce métro, je suis un usager heureux qui certes se paume souvent en surface mais la seule et unique ligne du métro d’Erevan rend impossible l’erreur: ici pas de changement: c’est tout droit !

Je vais à Vernissage (marché ouvert les jours de week-end de 9h00 jusqu’à 18h00) Vernissage! À la rencontre de l’artisanat, de l’ambiance, des couleurs, de cette joie de vivre, entre les livres, les doudouks, les objets en obsidienne, les bijoux divers et variés, aussi de petites boites merveilleusement ouvragées en marqueterie, de peintures très inspirées et parfois moins, je suis à la rencontre de la musique, de cette foule, de ce microcosme humain qui vient de tous les continents à la fois et qui se réunit ici pour acquérir un souvenir en tissus, en pierre, en bois, en verre, en cuir, en or, en argent, et j’en oublie … Une combinaison des traditions artisanales avec l’art contemporain. Ils sont venus ils sont tous là (oui lecteur cela te rappelle quelqu’un) mais dans la joie, là, autour d’un café, on marchande, on négocie, on mange, on rit et vous êtes ici au cœur des traditions arméniennes, de son esthétique, et même de sa culture!

Quand vous viendrez ici, car vous viendrez forcé-ment, ici, dites-vous que c’est un peu comme chez Ikea: vous n’en repartirez pas les mains vides !

Je m’arrête devant un étal. Des pièces de monnaie sont exposées: une pièce de l’an 1188 attire particulièrement mon regard.

«Elle est à toi pour 45’000 Drams», le marchand ne sait pas encore qu’il vient de me la vendre car je n’affiche aucune attention particulière mais je sais fondamentalement que je vais craquer.

Je ne marchande pas, je lui tends l’argent. Frappée sous le règne de Levon II, le thème de cette pièce est le mariage de ce monarque avec Isabelle, le 3 février 1188 (source Wikipédia). Ce roi d’Arménie régna de 1187 à 1199.

J’étais venu pour quelques objets sans inspiration particulière, mais comme il est touchant, comme il est réconfortant, de repartir avec un bout d’histoire dans le creux de ma main.

L’histoire d’une pièce qui aurait pu être refondue ou perdue au fil des siècles et qui finalement brille à Vernissage un dimanche matin en 2008.

Cela m’a permis indiscutablement de m’intéresser à notre histoire et cette petite pièce aura finalement générée cette curiosité d’aller encore plus loin.

Vernissage c’est cela aussi.

Maintenant je repars pour rejoindre l’Ararat, en tout cas à l’endroit où lorsque la météo le décide, il apparait dans toute sa majesté. Je suis tout en haut des 572 marches, sur 302 mètres et 78 mètres de dénivelé, de Cascade. Définir Cascade comme un large escalier en travertin serait clairement réducteur. Des fontaines de style art déco et autres jardins superbement agencés et encore de nombreuses sculptures ponctueront votre ascension, vous aurez aussi le choix de prendre les successions d’escalators qui vous mèneront presque jusqu’en haut, à la place de la Victoire.

Cet édifice est un trait d’union entre 2 quartiers: celui de l’Opera en bas et celui de Zeytoun et d’Arabkir en haut.

Alexandre Tamanyan, l’architecte, en débute la construction en 1970 et c’est finalement un peu comme la Sagrada Familia à Barcelone, car nous n’en voyons pas la fin: Les travaux seront ralentis à cause du séisme en 1988, pour repartir en 1991, jusqu’en 2009. Mais la construction est pour l’instant ajournée, et la partie manquante se situe tout en haut.

Néanmoins vous pourrez sans problème vous y rendre, quand bien même l’agencement ne soit pas finalisé.

La vue sur la l’Ararat, la place Tamanyan et son jardin de sculptures (œuvres de Botero, Flanagan, Chadwick, Plensa) la ville tout autour, l’Opéra: Munissez de votre objectif grand angle pour quelques clichés.

Depuis Cascade vous êtes à 500 mètres du Matenadaran (merci Google map) et je sais que bon nombre de touristes font une impasse sur ce Matenadaran qui est le creuset de notre culture avec ces quelques 17’000 manuscrit et encore 300’000 documents. Matenadaran (bibliothèque), un lieu de conservation de manuscrits rares. À mon sens cet endroit se visite obligatoirement avec un guide (anglais ou arménien) qui vous apportera des précisions essentielles à la compréhension, car, tous les domaines sont traités ici: La religion, la géographie et l’histoire, la philosophe, la médecine, le droit, les mathématiques, la littérature…

C’est l’un des endroits les plus documentés au monde et inscrit au registre international mémoire du monde de l’UNESCO.

L’autre nom du Matenadaran est «Institut Machtots de recherches sur les manuscrits anciens».

Alors oui c’est encore l’un de ces endroits situés un peu plus en hauteur à Erevan, mais pour le coup votre effort sera récompensé: il y a aux pieds du Matenadaran une pâtisserie. Il s’agit de l’arcade qui se trouve sur une allée parallèle à la montée qui nous conduit au pied de la statue de Machtots. Une toute petite pâtisserie discrète mais que les amateurs connaissent bien.

Ne trichez pas, hein ! La culture passe avant la gourmandise !

 

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2023-09-12T18:53:44+02:00 16.05.23|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL|

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  1. DES PLAISIRS SIMPLES – artzakank-echo.ch 12 septembre 2023 at 18 h 36 min

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