UNE JOURNÉE SUR LE LAC

par Philippe DERSARKISSIAN

Septembre 2010, c’est mon deuxième voyage en Arménie.

Nous roulons assez vite sur cette voie rapide et j’observe une succession de montagnes relativement élevées et sans aucune végétation.

Certaines, d’un noir profond brillent au soleil, donnant cette impression que nous sommes devant une œuvre magistrale du peintre Pierre Soulages, un noir intense et luisant qui attire naturellement la lumière par ses aplats successifs et qui joue naturellement avec le soleil au gré des heures, comme une des œuvres de ce maître qu’il nommait «ses outrenoirs».

Il s’agit en réalité de gisements d’obsidiennes que les artisans locaux sculptent, et assemblent pour réaliser différents objets, une pierre volcanique vitreuse et riche en silice particulièrement difficile à travailler.

Nous roulons en direction de Sevan et Aida m’invite à observer la statue d’Akhtamar qui représente une jeune femme se nommant Tamar et qui lève les bras au ciel en les croisant, tenant dans ses mains une lanterne pour se signaler, amoureuse d’un jeune berger qui vivait sur son île au milieu du lac et qui rejoignait le continent, à la nage, chaque soir (saluons l’exploit!), pour la rejoindre avec comme seul repère, cette lumière intense qu’elle brandissait dans la nuit. Le père de Tamar souhaitant un parti tout de même plus intéressant pour sa fille, que ce pauvre berger, trouva donc à son habitude sa fille sur son promontoire et brisa sa lanterne. Le pauvre garçon, privé de ce phare qui lui indiquait l’amour, mourut d’épuisement au milieu du lac en criant «Oh Tamar» et donc en arménien «Akh! Tamar!».

Dès lors, la jeune femme se jeta à son tour dans le lac pour rejoindre l’être aimé et bien entendu perdit la vie…

Romeo et Juliette, Tristan et Iseult… Chaque peuple a ses mêmes légendes. Ce même hymne à l’amour.

Aida, la mère de ma compagne me raconte cette histoire, laquelle me fait sourire un peu et je précise à Aida: «Mais elle est où ton île? Celle qui est au milieu du lac Sevan? Elle a aussi été engloutie? Sergei, mon bon père, m’explique alors qu’en réalité cette légende se passe au lac de Van, mais comme l’histoire est belle, et que malheureusement Van est devenu turque…La pauvre Tamar est maintenant perchée sur les hauteurs du Sevan.

Nous arrivons au monastère de Sevanavank, en tout cas au bas de ses marches (plus ou moins 250 marches) je me remémore alors ce tableau que possédait mes parents et que ma brave Mémé (feu ma grand-mère maternelle et paix à son âme) leur avait offert en 1972 après son retour d’un long voyage «au pays».

On y voyait le Sevan, les deux églises noires qui se détachaient à l’horizon…

Enfin l’horizon…L’horizon…c’était surtout le mont Ararat que l’artiste avait librement peint, comme pour le ramener chez nous, en Arménie.

Sauf que la seule image définitivement imprimée dans mon esprit était cette toile qui avait fait partie de ma vie durant plus de 23 ans sur laquelle se détachaient ses 2 églises avec en fond notre Ararat. Mon père aimait cette œuvre, m’expliquant, alors que je n’étais encore qu’un enfant que l’artiste avait pris quelques libertés géographiques… Mais dans mon for intérieur j’espérais tout de même…Un peu…que mon père se soit trompé, juste pour le souvenir…

Pas d’île au milieu du lac et donc d’Ararat non plus!

Sevanavank a été bâti en 874. Il s’agit d’un complexe de deux églises Sourp Arakelots (Saints-Apôtres) et Sourp Astvatsatsin (Sainte mère de Dieu)  construites en tuf noir.

Au passage le nom de Sevan vient de la contraction «Sev vank» (monastère noir) qui deviendra au fil du temps «Sevan» par contraction.

Il s’agit déjà d’un deuxième monastère car le premier construit au IVème siècle fut entièrement détruit par les Arabes.

Celui que nous connaissons aujourd’hui est à l’initiative de Machtots et fondé par la princesse Mariam, épouse de Vassak V.

Machtots aurait observé les figures des douze apôtres qui lui seraient apparus au-dessus du lac Sevan, lui indiquant l’endroit où devait être construit ce monastère.

La première église que vous visiterez à un Khatchkar (croix sculptée dans la pierre) très particulier et surtout assez rare et que vous trouverez à l’intérieur de cette église (Sourp Astvatsadsin) représente le Christ en croix.

Une œuvre d’un style naïf datant de 1653 et sculptée par un certain Trdat.

L’ensemble des bâtiments fut restauré au XVIIème et XVIIIème siècles.

C’est en 1930 que le monastère fut détruit par les soviétiques pour ne garder que les deux églises restaurées durant les années 50.

Au XIXème siècle ce lieu était destiné aux moines pénitents d’Etchmiadzin.

Avec un régime un peu sec, tout de même: pas de vin, pas de viande, et aucune femme.

En cheminant, lorsque vous serez tout en haut et que vous aurez largement dépassé la deuxième église, munissez-vous de votre objectif grand angle pour réaliser une photo inratable et panoramique du lac. Et encore, ici, un curieux arbre avec autant de mouchoirs blancs, que nos contemporains nouent sur ces branches, il est le support d’autant de souhaits qui espérons-le, se réaliseront; Souvent ce sont les jeunes mariés qui se retrouvent ici.

Lorsque vous repartirez de ce site, vous croiserez au bord des routes des vendeurs avec une gestuelle particulière: Lorsqu’ils miment des ciseaux avec les doigts de la main gauche et de la droite: ils vendent des écrevisses, et lorsqu’ils tendent les avant-bras en modulant leurs deux indexes, comme s’ils vous indiquaient la longueur d’un poisson, ils en vendent!
Je vous rassure: vous trouverez ici quel-ques restaurants qui vous placeront sur une terrasse ombragée (et privative) au bord du lac, et qui savent particulièrement bien accommoder ces poissons et crustacés.

Et puis…Si vous voyez Tamar: Tendez-lui la main!

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2023-09-12T18:51:26+02:00 21.01.23|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL|

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  1. DES PLAISIRS SIMPLES – artzakank-echo.ch 12 septembre 2023 at 16 h 09 min

    […] UNE JOURNÉE SUR LE LAC […]

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