par Philippe DERSARKISSIAN
Le taxi arrive, nous sommes à Erevan, le ciel est un peu lourd: Cette fois-ci nous n’y échapperons pas: il va pleuvoir.
Notre chauffeur me précise que ce n’était pas la bonne météo pour aller aussi haut, mais qu’au moins il n’y aura pas beaucoup de touristes…
Nous roulons d’une vitesse soutenue, et notre chauffeur quitte la voie rapide et s’engage sur une route relativement droite mais qui devient rapidement ascendante et sinueuse, pour atteindre, à 2’300 mètres d’altitude, la citadelle d’Amberd.
Malgré la distance de quelques 52 km depuis Erevan, il faut tout de même prévoir au moins une heure pour atteindre la forteresse, suspendue aux flancs du mont Aragatz, le point culminant de l’Arménie.
J’imagine la joie et l’excitation de Robert, notre cher oncle, parti trop tôt, alors que dans sa onzième année, au tout début des années 50, il effectuait ce même voyage avec d’autres enfants d’Erevan, pour rejoindre son camp de vacances, non loin de ce qu’il appelait son «château».
Notre excursion est donc, tout à la fois, mémorielle et touristique.
Le ciel est encore plus bas, gris-noir même, et la pluie redouble. La massive citadelle, sombre, s’impose, au premier plan, sur son piton rocheux. Au loin, comme un contraste à l’édifice militaire, la petite église de Vahramashen qui domine la vallée, se détache sous une lumière très blanche, dans cette nature grandiose et infinie, et m’apparait presque fragile, dans l’immensité de ce paysage qui laisse voir à la faveur de la météorologie la plaine d’Erevan et de l’Ararat.
Nous sommes effectivement seuls, ici, le chauffeur avait raison. Le ciel qui s’obscurcit, ajoute au mystère et participe finalement à l’esthétique des photos et nous nous engageons sur un petit chemin qui nous mène vers l’imprenable citadelle, construite en massives pierres de basalte.
Il pleut à verse et il vente! Mais qu’importe la météo! Nous faisons le tour de l’édifice, passons sous un porche, la porte principale, et suivons le chemin un peu glissant, tout de même. Nous arrivons dans une des tours, avec une meurtrière, petite ouverture étroite et verticale qui permettait d’observer l’envahisseur et surtout de nous abriter un peu. Nous continuons et sommes maintenant en contrebas de la citadelle et suivons le chemin jusqu’à l’église.
Étymologiquement Amp signifie «nuage» car Amberd est perché à 2’300 mètres d’altitude, et berd signifie «la forteresse» et je vous confirme qu’avec la météorologie que nous subissons ce 13 septembre 2023, Amberd porte bien son nom de «citadelle dans les nuages»!
Forteresse imprenable et digne témoin de l’Arménie médiévale, sa construction en basalte avec parfois des murs de plus de 4 mètres d’épaisseur, s’est réalisée sur plusieurs siècles et domine le confluent des rivières Amberd et Arkashen.
Un promontoire, la jonction de deux rivières, et la construction de remparts aux points les plus vulnérables: un lieu conçu par Dame Nature mais magnifié par le génie de l’Homme par le choix de ce site car la configuration du terrain réduit les fortifications en nombre et en taille.
Par ailleurs, les fouilles archéologiques ont révélé que l’édifice avait un approvisionnement en eau par un système ingénieux de citernes.
L’architecture est simple et efficace, et avec le temps, cette demeure royale devint un avant-poste et enfin une forteresse bien protégée.
Effectivement, Il apparait que ce fut, tout d’abord, une résidence royale au VIIème siècle, construite par la famille Kamsarakan, qui revendiquait un statut de «prince de sang» dont le dernier descendant mourut en 785.
Il y avait donc ici des salles de réception et des appartements privés, dans les niveaux supérieurs.
Et Amberd devint propriété des Pahlavouni au Xème siècle par ordre de Grigor Magistros (990-1058), un érudit et un homme d’État de la famille princière des Pahlavouni qui en fit sa résidence.
Son fils, Vahram, Grand Commandeur ou «sparapet» un titre héréditaire qui le désignait comme «Général-en-chef», ordonna la fortification d’Amberd et la construction d’une église, un peu plus bas, à flanc de montagne, d’où le nom de cet édifice: Église de Vahramashen (construite par «Vahram»).
Cette église fut donc édifiée en 1026 et n’a subi aucune destruction. Parfaitement conservée dans son état d’origine, elle est relativement petite et d’une architecture simple, aussi en basalte. J’ai même lu -sur internet – le terme «d’architecture ascétique» (stricte, austère) pour la qualifier.
Cette église a deux entrées, une par le nord (fermée et non praticable), l’autre au sud, avec son accès assez haut (mais facilité par une marche d’escalier), sa superbe entrée est encadrée par des colonnades élancées et une porte plus récente, à la fois massive et magnifique. Les remarquables toits-parasol furent aussi restaurés.
À l’intérieur, juste cette «chaude» austérité comme on l’aime pour se recueillir, face à soi-même, et cette foi qui rejaillit par la simplicité du site. Un plan carré simple: Le concept du carré qui exprime le fini, lui-même s’inscrivant dans un cercle qui indique l’infini, le tout surmonté par une coupole, évocation de la voute céleste laquelle par son axe zénithal indique la tension entre la terre et le ciel. Rien de plus.
L’église n’a pas de fenêtre mais seulement quatre petites ouvertures étroites en bas (nord-sud-est-ouest) et encore quatre autres ouvertures sur le tambour du dôme (d’après mon évaluation, d’une hauteur de 12 mètres).
Malgré son ingénieuse fortification, le site d’Amberd fut envahi par les Seldjoukides venus d’Asie centrale à la fin du XIe siècle. Plus tard, au 13ème siècle, les Mongols ont annexé et détruit cette belle forteresse en 1236. Par la suite Amberd fut reconstruite et a servi d’avant-poste pendant plusieurs centaines d’années.
Seule l’église est restée intacte, comme une forte symbolique, dans ce site de combats et d’invasions barbares au fil des siècles.
Robert a 11 ans, nous sommes en 1950 et dans son camp de vacances, il remarque une fille de son âge, appelons-là Anahit. Alors prenant de quoi écrire (et son courage à deux mains!) il lui écrivit un petit mot, une petite missive pour lui signifier sans doute, un peu maladroitement, qu’elle ne lui était pas indifférente. Avait-il essayé de faire passer son mot par un copain? et comment cette lettre se retrouva dans les mains du moniteur?
L’histoire ne le dit pas mais cet imbécile ne fit rien d’autre que de la lire à haute voix, face à l’assemblée des enfants, sous les moqueries et autres quolibets que dut subir le pauvre Robert. Alors muni de sa forte personnalité, de sa fierté et tout de même… de quelques vivres, il partit conquérir son «château», seul, et tant qu’à faire, et pour ne pas faire les choses à moitié, s’autoproclama le «comte d’Amberd» (rien que cela) et il dormit durant 3 jours dans l’église de Vahramashen, en contrebas…
Rude expérience pour un gamin qui comprit peut-être trop tôt, qu’un cœur qui émerge au-dessus des nuages, est parfois plus compliqué à prendre qu’une citadelle.
—————————————-
Lire aussi:
