Théotig (Théotoros Labdjindjian)* est né à Üsküdar, faubourg de Constantinople, en 1873. De famille modeste, Théotig fut contraint d’interrompre ses études à l’âge de dix-huit ans, prit un emploi de comptable dans le quartier de Péra, au centre-ville de Constantinople ; là se trouvaient les bouquinistes de la ville qu’il fréquenta assidûment. Il dévorait les livres, il lisait tout ce qui lui tombait entre les mains. Par ailleurs, il se lia d’amitié et établit une correspondance régulière avec les bibliothécaires des grands centres d’arménologie, tel le Patriarcat arménien de Jérusalem. Très vite, il devint un bibliophile averti.
C’est en écrivant des nouvelles que Théotig entra en littérature. Doté de fortes convictions concernant les inégalités sociales, les thèmes qu’il a abordés étaient la misère, l’exploitation des enfants par les boutiquiers, les enfants abandonnés, la vie des révolutionnaires arméniens risquant la prison.
Puis vint le temps des publications, dès le début du XXe siècle, à une époque où la vie littéraire arménienne était particulièrement riche mais où la situation des Arméniens était gravement menacée – les massacres de 1894-1896 étaient présents dans les mémoires et ceux d’Adana auront lieu en 1909 ; le génocide aura lieu en 1915 et 1916 et les massacres de Smyrne en 1922. Avec son épouse Archagouhie, Théotig a publié tout d’abord Bolsso Hayevare, un ouvrage de 2500 pages sur la langue et les us et coutumes des Arméniens de Constantinople. Puis de 1907 à 1929, Théotig, en collaboration avec Archagouhie, a fait paraître chaque année sans interruption, son œuvre maîtresse Aménoun darétsouytse (l’Almanach de tout un chacun). La publication d’almanachs était en vogue en Europe à cette époque-là et il en était de même chez les Arméniens de Constantinople. Pour Théotig, il s’agissait de publier, une fois par an, un ouvrage sur la littérature et l’art avec pour but d’éduquer le public car la dimension sociale de l’almanach était d’importance. Cette publication permettait à Théotig de gagner sa vie tout en exerçant une activité intéressante et utile.
A l’occasion du 400e anniversaire de l’imprimerie arménienne et du 1400e anniversaire de l’invention de l’alphabet arménien, Théotig a publié en 1912 un étonnant livre-dictionnaire, Dib ou Dar **, recensant les pays et villes où les premiers livres imprimés sont parus, en commençant, bien sûr, par l’Italie avec la publication de l’Ourpathakirk (Livre du Vendredi) par Hagop Meghapart à Venise en 1512 et en terminant par Genève, Lausanne et Stockholm. Nous vous présentons ci-dessous la traduction des entrées 460 (Genève), 461 (Lausanne) et 258 (biographie de Garabed Nercessian qui fut l’imprimeur de Droschak de 1903 à 1906). Théotig a dû effectuer d’innom-brables recherches pour la rédaction de cet ouvrage impressionnant ; il a aussi écrit de no-breuses lettres à l’étranger pour recueillir des renseignements et effectué des voyages lorsqu’il fallait consul-ter des documents sur place.
Au prix d’une intense activité, Théotig a beaucoup publié jus-qu’en 1915. De 1915 à 1921, ce seront des années de prison et d’exil. En 1919, est paru Houchartsan Abril 11in (Mémorial du 11 avril), qui dresse la liste et comporte la biographie des intellectuels victimes du génocide. Le Patriarcat arménien de Constantinople lui a ensuite demandé d’écrire un ouvrage qui s’intitulera Goghgotha terkahay hokévoraganoutian yev ir hodin aghédali 1915 thevaganin (Le Golgotha du clergé arménien de Turquie et de ses fidèles lors de la Catastrophe de 1915). En 1921, Théotig reviendra à Üsküdar avec Takouhie***, sa sœur, ainsi que la famille de celle-ci, alors que son épouse atteinte de tuberculose se rendra, accompagnée de leur fils, dans un sanatorium à Leysin, dans le canton de Vaud, où elle mourra.
Les almanachs de Théotig des années 1921, 1922, 1923 furent les derniers à être publiés à Constantinople. Ils rendaient compte de la situation désastreuse et des préoccupations des Arméniens après le génocide. En 1924, l’Almanach fut publié à Paris – rendant compte notamment des massacres d’Izmir – alors que Théotig s’était exilé à Corfou. Les almanachs de 1925 et de 1926 furent respectivement publiés à Vienne et à Venise. Théotig s’établit à Chypre en 1927 ; en 1928, encouragé par des amis réfugiés, il les rejoignit à Paris. C’est en travaillant sur l’édition de 1929 de l’Almanach que Théotig meurt à Paris dans le plus complet dénuement.
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* Sources
M.L. Atamian, Théotigui « Aménoun darétsouytse », Académie des Sciences de la RSS d’Arménie, Erevan, 1981
- Soulahian Kuyumjian, Teotig : Biography – Teotig, Monument to April 11, Gomidas Institute and Tekeyan Cultural Association, Taderon Press, London, 2010
** Dib ou Dar : Caractères (typographiques) et lettres (de l’alphabet). La traduction française ne rend malheureusement pas l’allitération si plaisante en arménien.
*** Mère de l’écrivain Chahan Chahnour (1903-1974)
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