La nouvelle est tombée le 31 août dernier comme un couperet: le gouvernement hongrois a extradé Ramil Safarov à Bakou, où celui-ci a été immédiatement gracié et remis en liberté par llham Aliev. Suite à sa réintégration dans l’armée azerbaïdjanaise, Safarov a été promu au rang de major et s’est vu offrir une maison et une voiture et a obtenu le paiement de son salaire pour les huit dernières années, passées en Hongrie.
Les images de sa glorification et son accueil en héro national dans son pays d’origine ont choqué et profondément marqué les Arméniens à travers le monde. En 2006, cet officier azerbaïdjanais avait été condamné à perpétuité par la justice hongroise, dont une peine incompressible de 30 ans, pour avoir décapité, à coups de hache, le 19 février 2004, un officier arménien, Gourgen Margaryan, suivant comme lui des cours d’anglais à Budapest dans le cadre du programme «Partenariat pour la paix» de l’OTAN. Safarov avait expliqué que le meurtre sauvage de Margaryan était un acte de «vengeance» contre l’Arménie et que sa «seule motivation» pour s’être engagé dans l’armée azérie était de se «battre contre des Arméniens et d’en tuer autant que possible au combat».
Suite à une session extraordinaire du Parlement, le Président Serge Sargsyan a annoncé la suspension des relations diplomatiques avec la Hongrie devant les Ambassadeurs des pays de l’ONU accrédités en Arménie et les dirigeants d’organisations internationales convoqués à cet effet. «Cela s’est produit parce que le Gouvernement hongrois, a conclu un marché avec l’Azerbaïdjan. Nous avons suivi de près tous les développements de l’affaire relative à ce criminel. Il en a été discuté lors de chaque rencontre avec le Président de la République, le Président du Parlement, le ministre des Affaires étrangères et /’Ambassadeur de la Hongrie, et on nous a assuré à plusieurs reprises qu’un transfèrement du criminel en Azerbaïdjan était exclu. Nous avons reçu cette même réponse à nos demandes lors de nos contacts il y a encore quelques jours avec les représentants du ministère hongrois des Affaires étrangères et du Parlement. Mais en raison d’évolutions des plus perfides, le meurtrier a été remis à Bakou et retrouvé de suite la liberté. Par leurs actions conjointes, les autorités de la Hongrie et de l’Azerbaïdjan ont ouvert la porte à la répétition de tels crimes. Par cette décision, ils véhiculent un message clair aux assassins; ceux-ci savent désormais qu’un meurtre pour motifs ethniques ou religieux peut rester impuni. Je ne peux le tolérer. La République d’Arménie ne peut le tolérer. Le peuple arménien ne le pardonnera jamais.» a déclaré le chef de l’Etat arménien.
Le gouvernement hongrois, quant à lui, a convoqué l’ambassadeur d’Azerbaïdjan pour protester contre la grâce «inacceptable» accordée au prisonnier en dépit d’assurances donnée par Bakou à Budapest selon lesquelles l’officier purgerait sa peine.
L’affaire a provoqué une série de réactions sur le plan international que les autorités arméniennes ont qualifiées de trop indulgentes envers les actions de l’Azerbaïdjan. En effet, le Président américain Barack Obama et le Secrétaire général de l’ONU Ban Kimoon ont fait part de leur «préoccupation» par cette grâce présidentielle, tout comme la Maison blanche, le Département d’Etat américain, le Haut commissariat des droits de l’Homme de l’ONU et, entre autres, les trois co-présidents français, américain et russe du Groupe de Minsk en charge, dans le cadre de l’OSCE, de la recherche d’un règlement négocié du conflit du Haut-Karabagh. Tout en s’inquiétant de la libération de l’assassin, ils ont appelé l’Arménie et l’Azerbaïdjan à faire preuve de retenue afin d’éviter une escalade de la situation, dans une tentative d’assimiler les parties arménienne et azerbaïdjanaise dans cette affaire. D’autre part, le Parlement européen a voté une résolution d’urgence qui condamne l’accueil triomphal fait par les autorités de Bakou à Ramil Safarov.
La nouvelle de la remise en liberté de l’assassin de Gourgen Margaryan a naturellement suscité une vive émotion en Arménie et au sein des communautés arméniennes de la diaspora, donnant lieu à une vague de manifestations devant les ambassades de Hongrie dans différentes villes à travers le monde.
Le 8 septembre, l’Association Suisse-Arménie (ASA) et la communauté arménienne de Suisse ont organisé une manifestation à Berne contre la décision du gouvernement hongrois d’extrader Ramil Safarov. Une délégation de représentants de la communauté, accompagnée par le Conseiller national Ueli Leuenberger, co-président du Groupe parlementaire Suisse-Arménie, a présenté une lettre de protestation à l’ambassade hongroise de Berne, exhortant le gouvernement de Budapest à reconnaître publiquement son erreur, à condamner la grâce accordée à Safarov par le président Aliev et à rappeler son ambassadeur de Bakou.
Dans son communiqué de presse du 9 septembre, l’ASA a fait part de sa conviction «qu’il est dans l’intérêt de la Suisse de condamner cette violation de la justice internationale et d’exiger du président Aliev qu’il honore l’engagement du gouvernement azéri de respecter les normes du Conseil de l’Europe» et que «sans une prise de position claire sur cette affaire, la Suisse porte atteinte à sa propre crédibilité pour de futurs services de médiation.»
Le 17 septembre, à l’heure des questions de la séance du Conseil national, en réponse à l’interpellation du Conseiller national Ueli Leuenberger (Verts/GE), co-président du Groupe parlementaire Suisse-Arménie, le Conseiller fédéral Didier Burkhalter a indiqué avoir abordé l’affaire Safarov avec le ministre des Affaires étrangères hongrois Janas Martonyi le 3 septembre lors du passage de ce dernier à Berne, et avoir proposé l’aide de la Suisse «pour faciliter la compréhension entre la Hongrie et l’Arménie, pour autant que les parties impliquées le souhaitent». Il a ajouté que la question de l’extradition de Safarov serait abordée avec l’ambassadeur de l’Azerbaïdjan lors d’une rencontre prévue le 19 septembre et que l’occasion serait saisie pour «lui rappeler les obligations communes des Etats membres de l’OSCE et du Conseil de l’Europe.» Quant à la question de savoir pourquoi la Suisse ne prendrait-elle pas une position claire publiquement, M. Burkhalter a fait remarquer que lorsque la Suisse offre ses bons offices, «il y a absolument nécessité de ne pas faire de déclaration publique pour ne pas mettre en danger les efforts.
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Par cet acte, l’Azerbaïdjan a démontré une nouvelle fois qu’il constitue une menace à la sécurité des Arméniens et que le retour de l’Artsakh sous sa juridiction, quel que soit le degré de son statut d’autonomie, conduirait à l’extermination pure et simple de sa population. Nul ne peut exiger des populations arméniennes qu’elles vivent sous la coupe d’un Etat, où le meurtre d’Arméniens est non seulement encouragé mais également récompensé au plus haut niveau, valant à son auteur le traitement d’un héro national.
M.S.
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