INTERVIEW AVEC ANAHIT MINASSIAN, DIRECTRICE DE KASA ARMÉNIE

«Les  jeunes Arméniens ont vraiment un énorme potentiel pour contribuer au développement de l’Arménie… s’ils y rêvent !»

Anahit Minassian fait partie de la nouvelle génération d’Arméniennes et d’Arméniens qui se fait remarquer par son dynamisme, son ouverture d’esprit et son engagement pour l’environnement, les valeurs démocratiques et le renforcement de la société civile en Arménie.

Profitant de son passage en Suisse à l’occasion de l’Assemblée générale de KASA, Artzakank l’a rencontrée pour un tour d’horizon des défis auxquels sont confrontés actuellement les jeunes en Arménie.

Vous êtes impliquée dans plusieurs programmes destinés aux jeunes en Arménie. Pourriez-vous nous en parler brièvement en nous expliquer quels sont les buts recherchés ?

Très tôt, vu que j’ai participé à un échange international de jeunes, j’ai compris que, en dehors des études il y avait plusieurs façons d’apprendre sur soi-même et sur ​​la société environnante. Et cela m’a incitée à le réaliser pour d’autres. Aujourd’hui je me considère comme une travailleuse pour les jeunes, qui accompagne leur développement individuel et social à travers l’éducation, les conseils, l’information et d’autres activités.

Les jeunes d’Arménie se trouvent actuellement  dans une situation difficile et ils ont besoin de beaucoup plus que d’un diplôme officiel. Leur pays est certes indépendant, mais l’héritage complexe du patrimoine soviétique de l’Arménie et les problèmes liés à sa transition vers le capitalisme ne les incitent pas à s’engager dans la vie économique, sociale, politique et culturelle du pays. Selon CIA Factbook l’Arménie connaît  le plus haut taux de chômage des jeunes du monde à 57,6 %, et la situation économique de monopole étouffe l’essor économique, la créativité et l’esprit d’entreprenariat des jeunes. Les deux derniers rapports sur les jeunes mettent également en triste lumière un manque d’esprit d’initiative (75% des jeunes considèrent «que l’État devrait fournir de l’emploi à ses citoyens»), une faible activité civique (3,8% sont membres d’ONG, 46 % ne savent pas ce qu’est une ONG) et de  fortes intentions de migration (51 % prêts à quitter le pays dans l’espoir de construire ailleurs  un avenir meilleur).

Avec mes collègues nous organisons des activités éducatives non-formelles.  Leur principal objectif  est la création d’une plate-forme de discussion où nous essayons de réaliser ensemble que l’émigration n’est pas la bonne solution à nos problèmes. La méthodologie de ces activités est tout à fait unique, elle permet aux jeunes d’apprendre à partir de l’expérience. Afin de développer leur autonomie, leur créativité et leur esprit de participation ou leur sens de la citoyenneté nous leur proposons différents exercices pratiques. Quitte à échouer parfois, les jeunes doivent  essayer de trouver des réponses  concrètes, dont ils pourront ensuite s’inspirer  dans leurs activités quotidiennes. Cette façon de se former s’inscrit dans un certain cadre (par exemple, travailler dans la nature, dans un  groupe régional, voire international), ce qui crée des conditions favorables pour que  les jeunes puissent s’observer eux-mêmes, mieux comprendre l’autre et ébaucher des processus de collaboration.

 Vous êtes active dans ces programmes depuis huit ans, quel a été leur impact sur les jeunes d’Arménie à ce jour ? Concrètement, des changements réels de mentalité, de comportement ou de regard sur le monde sont-ils déjà visibles dans la société arménienne ?

 Les changements existent, mais prennent du temps,  surtout en termes de mentalité. Un de nos plus grands défis aujourd’hui est la création d’un sentiment positif d’appartenance envers notre pays. Évidemment, nous ne sommes pas les seuls à y viser. Reste que nous œuvrons à encourager et développer la prise de décision et d’initiative des jeunes Arméniens. Et je suis vraiment fière de dire qu’il y a de plus en plus de jeunes en Arménie qui peuvent servir de modèles positifs dans différents domaines.

Un autre défi  à mes yeux, c’est le sérieux besoin d’une pensée critique. Les possibilités dont les jeunes d’Arménie disposent  aujourd’hui en termes d’activité et de mobilité internationale leur ouvrent de nouveaux horizons, de plus en plus d’entre eux tentent de construire une vision plus globale, de repenser l’identité et la  place de l’Arménie. Un autre aspect important est le développement de la capacité de travailler en équipe, au lieu de toujours viser la concurrence. On y arrive doucement mais sûrement, des jeunes mettent en place diverses initiatives civiques pour se battre ensemble pour une cause.

La jeunesse est l’avenir d’un pays. Comment voyez-vous l’avenir en Arménie ? Pensez-vous que les différentes actions menées par des jeunes Arméniens engagés dans des mouvements de la société civile contribueront à créer l’Arménie de nos rêves.

Tout d’abord je considère que la jeunesse n’est  pas seulement l’avenir mais déjà le présent,  et surtout que l’Etat doit le comprendre et le prendre en compte. Sur le papier existent beaucoup de mécanismes de participation démocratique des jeunes, il faut les concrétiser et les jeunes sont tout à fait capables d’y contribuer positivement.

Quant à l’Arménie de nos rêves… pour la créer, il faut tout d’abord  y rêver, et  ça, c’est  l’essentiel de notre travail… Je m’engage avec plusieurs centaines de jeunes de partout dans le monde chaque année et, croyez-moi, les  jeunes Arméniens ont vraiment un énorme potentiel pour contribuer au développement de l’Arménie… si ils  y rêvent !

(Propos recueillis par Maral Simsar en collaboration avec Monique Bondolfi)


Anahit Minassian est  née en 1986 à Arkhangelsk, Russie, dans une famille arménienne, ukrainienne et allemande. Elle a suivi le lycée  Anania Shirakatsi à Erevan et la dernière année elle a gagné un concours académique qui lui a  permis de terminer ses études secondaires aux Etats-Unis. Ensuite elle a continué à l’Université Européenne d’Erevan  dans le domaine de la gestion des entreprises en nouvelles technologies. Elle s’est également passionnée pour le rôle  des technologies de l’information dans le domaine de l’éducation.

Elle a très tôt travaillé dans le secteur privé pour la gestion de projets informatiques, ce qui lui a offert les moyens d’ouvrir ses horizons en voyageant. Elle s’est également fortement impliquée dans des activités sociales, dans la  direction de l’association des anciens élèves de son lycée,  du conseil étudiant de son université et  d’autres organisations de jeunesse en Arménie. En 2007 Anahit a été engagée à KASA en tant que coordonnatrice des technologies de NTIC, puis des programmes d’e-learning. Au vu de ses nombreuses compétences, KASA lui a proposé fin 2011 le poste de directrice d’une équipe de plus de 40 personnes, et se félicite de son choix.

En parallèle, Anahit s’investit depuis huit ans dans le secteur non gouvernemental, pour des activités de formatrice, consultante et chercheuse freelance de divers projets dans le domaine de jeunesse en Arménie et en Europe. A partir de 2010 Anahit est une des représentantes  officielles en Arménie du plus grand programme  de la jeunesse de l’Union européenne « Jeunesse en action » et elle accompagne l’engagement d’individuels et d’organismes de jeunesse. Elle est auteur et co-auteur de plusieurs articles de recherche et de manuels sur la situation des jeunes en Arménie et l’éducation non formelle.

2019-11-21T16:52:51+01:00 15.03.14|INTERVIEWS, SUISSE-ARMÉNIE|

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