LE MÉMORIAL DU GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS

Musée d’Ariana

Le 19 septembre passé, les agences de presse du Moyen-Orient ont annoncé le dynamitage par les forces de l’Etat Islamique (EI) de l’Eglise arménienne des Saints Martyrs de Deir Ez-Zor en Syrie. Dans les jours qui ont suivi, les photos du mémorial  détruit ont fait le tour du monde, suscitant l’indignation des Arméniens et notamment des descendants des rescapés du génocide de 1915. Cet acte de vandalisme a été condamné par des personnalités et instances politiques à travers le monde. Malgré le contexte d’une guerre qui se caractérise par des actes de violence insoutenables et de destruction délibérée des lieux de culte, certains analystes voient l’implication de la Turquie derrière l’atteinte portée à ce haut lieu de la mémoire arménienne.  Erigé sur les lieux des camps de la mort, destination finale des centaines de milliers d’Arméniens, pour la plupart des femmes et des enfants, ce mémorial était l’équivalent d’Auschwitz pour les Arméniens.

A peine une semaine après cet acte ignoble, le projet du mémorial arménien à Genève a fait l’objet de plusieurs articles dans la presse suisse. Accepté en 2008 par le Conseil municipal de la Ville de Genève, le projet «Les Réverbères de la Mémoire» dont les frais seront en grande partie pris en charge par la communauté arménienne, ne cesse de subir de multiples pressions turques exercées tant sur Berne et l’ONU que sur la Ville et le Canton de Genève. Il suffit de lire les titres évocateurs de la presse romande du 2 octobre: « Genève ne veut pas de mémorial arménien dans le quartier de l’ONU » (La Côte), « Les «Réverbères» arméniens divisent toujours l’Etat et la Ville de Genève » (Tribune de Genève), « Le Conseil d’Etat ne veut pas d’un mémorial arménien près de l’ONU » (Le Temps), « Pas de mémorial arménien près de l’ONU » (20 minutes).

Jean-François Mabut écrit dans la Tribune de Genève que le 2 octobre  une délégation du Conseil d’Etat avait redit à la communauté arménienne à Genève et en Suisse son opposition à l’édification du mémorial dans le parc de l’Ariana.

Contacté la veille par Le Temps, le président du Conseil d’Etat François Longchamp avait confirmé la position du gouvernement: «Sur le principe, nous sommes favorables à l’édification d’un tel monument, d’autant que le parlement suisse et le parlement genevois ont reconnu le génocide arménien. Notre soucis concerne la localisation retenue, qui ne préserve pas la neutralité des abords immédiats du Palais des Nations».

Olivier Francey fait remarquer dans Le Temps que: «Même si le ton du gouvernement se veut péremptoire, le Conseil d’Etat n’a aucun moyen coercitif pour contraindre la municipalité à choisir un autre emplacement, si ce n’est d’agir sur la délivrance des autorisations de construire. Or tous les services cantonaux sont favorables au projet. « Il est évident que le canton joue la montre. Il espère que la municipalité ou les Arméniens renonceront au projet », murmure-t-on dans les coulisses du Palais Eynard, siège de l’exécutif municipal».

Pour ce qui est de la position de la Ville, selon Sami Kanaan, le parc de l’Ariana reste le meilleur endroit et le maire d’ajouter: «A moins que le Conseil d’Etat nous propose l’une de ses parcelles, nous n’avons pas d’alternative».

Quant aux Réverbères de la Mémoire qui arboreront des inscriptions en plusieurs langues, ils ne feront pas explicitement référence au génocide arménien. «L’objectif du projet selon la Ville de Genève, est de contribuer à la lutte pour la mémoire des violences collectives dans un esprit d’ouverture et de dialogue. Le monument édifié vise à rendre hommage aux droits des peuples, aux mémoires blessées et à l’exil».

Le correspondant du Temps fait état également de la réaction de la communauté arménienne: «Il n’y a pas deux versions de l’histoire; il y a un fait historique incontestable, qui est la destruction de la présence arménienne en Anatolie durant la Première Guerre mondiale» a adressé le président de l’association « Les réverbères de la Mémoire » au Conseil d’Etat, en ajoutant: «L’évocation de la neutralité s’agissant de la mémoire arménienne est donc assez troublante de la part du Conseil d’Etat, auteur par ailleurs en 2001 d’un des plus beaux textes de reconnaissance du génocide jamais écrits».

La version en ligne de l’article de la Tribune de Genève a suscité quelques réactions de la part d’internautes. Indépendamment de l’importance que l’on veut accorder à ces commentaires, il serait intéressant d’avoir une idée sur les sentiments que l’histoire du mémorial arménien suscite chez les lecteurs non-arméniens. Voici deux avis qui reflètent bien le pragmatisme de nos concitoyens par rapport à un sujet d’une importance majeure pour nous, descendants des rescapés du génocide:

S’il s’agit de trouver un lieu de commémoration et de recueillement, la meilleure solution est l’église arménienne de Troinex. Si l’on cherche par contre un lieu de propagande, le parc de l’Ariana est parfaite!

Il finira dans le dépôt de la Ville près du Lignon. Pensez donc, on ne va quand même pas risquer de se fâcher avec la Turquie et son puissant allié azerbaïdjanais, dont le bras financier Socar est en train de devenir un sponsor culturel d’importance en Suisse Romande (Montreux Jazz). Au moment où les infrastructures culturelles genevoises à la dérive ont un cruel besoin de fonds privés.

Ce n’est probablement pas le dernier épisode de «La saga» des Réverbères, pour reprendre le terme de la Tribune de Genève. La communauté arménienne, quant à elle, est choquée par ces tractations pour un mémorial qui, d’après la Ville de Genève, ne devra pas comporter de référence directe au génocide arménien.

Dans quelques mois, le jour du centenaire du génocide de 1915, les descendants des rescapés vivant à Genève et dans les environs se réuniront encore une fois dans la cour de l’Eglise Saint Hagop de Troinex devant le khatchkar qui, selon certaines sources serait un « rescapé » des khatchkars de Djougha au Nakhitchevan, victimes du génocide culturel perpétré par les Azéris. Ils se recueilleront devant ce mémorial hautement symbolique pour commémorer dignement leurs victimes, en toute sérénité et humanité, loin de tout tumulte ou chantage.

M.S.

2017-07-31T16:25:58+02:00 15.11.14|COMMUNAUTÉ, ÉDITORIAL|

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