PETITES CENTRALES ÉLECTRIQUES: L’ENVERS DU DÉCOR

La rivière Yeghegis (photo Levon Galstyan)

Dans le cadre de la stratégie du gouvernement arménien pour le développement des énergies renouvelables, la part de l’hydroélectricité dans la production d’électricité nationale est passée au cours de la dernière décennie de 20% à 30%. Cette augmentation est due en particulier à la prolifération des petites centrales hydroélectriques (PCH) privées d’une puissance maximale de 30 MW construites sur les rivières à courant rapide.

Une PCH est une centrale électrique utilisant l’énergie hydraulique pour produire de l’électricité à petite échelle. Le principe de fonctionnement consiste à transformer l’énergie potentielle produite par une chute d’eau en énergie mécanique grâce à une turbine, puis en énergie électrique au moyen d’un générateur.

Le programme approuvé par le gouvernement arménien en 2009 prévoit la construction de 320 PCH – dont 169 existent déjà – alors que le pays ne compte qu’environ 200 rivières. Depuis quelques années, les écologistes et les riverains dénoncent les effets dévastateurs de ces PCH dus à une exploitation abusive des eaux et le non-respect des normes environnementales et exigent des mesures législatives pour un meilleur contrôle du secteur.

« Il est vrai que les installations hydroélectriques sont censées être moins nuisibles à l’environnement que les centrales thermiques ou nucléaires, mais la stratégie de développement adoptée par le gouvernement arménien a entraîné de sérieux problèmes sociaux et environnementaux » dit Levon Galstyan, membre du conseil de coordination d’Armecofront (www.armecofront.net) et de poursuivre: « Le nombre des PCH à construire est déjà trop élevé pour un petit pays comme l’Arménie vu leur impact sur l’écosystème. Normalement les installations hydroélectriques doivent respecter certains critères environnementaux et conserver le débit minimal dans le lit naturel de la rivière. Cependant, les exploitants des PCH en Arménie se permettent souvent de prélever jusqu’à 95% de l’eau des rivières et de ne laisser qu’un petit ruisseau qui ne peut plus garantir la vie, la circulation et la reproduction des espèces aquatiques. De surcroît, l’insuffisance de la quantité d’eau pour l’irrigation donne lieu à des conflits entre les villageois ».

Les conséquences de la perturbation des éco-systèmes aquatiques pour les communautés locales représentent aussi un danger pour la sécurité alimentaire de l’Arménie car la quasi-totalité de la production agricole (environ 20% du PIB) provient des petites exploitations fermières. L’assèchement des cours d’eau et les autres dégâts environne-mentaux (inondations, glissements de terrain etc.) dus au non-respect des normes règlementaires contribueront à l’exode massif de la population rurale.

Des études de terrain ont été menées sur une trentaine de sites par des équipes d’Armecofront et le constat est accablant: « La plupart des installations ne répondent pas aux exigences fixées par la loi et les rivières sont presqu’asséchées suite à l’installation des PCH » dit Levon Galstyan. « Il existe d’ailleurs plusieurs vidéos sur le site d’Armecofront qui montrent la situation sur le terrain » ajoute t-il.

Et qu’en est-il des communautés locales directement concernées par l’implantation des PCH? Selon M. Galstyan, ces dernières années on constate une certaine prise de conscience de leur part. « Nous avons eu plusieurs cas où les habitants des villages se sont mobilisés pour bloquer les routes et empêcher la construction des PCH. Rappelons que c’est grâce à la résistance des riverains, soutenus par les mouvements de la société civile, que la cascade de Trchkan a pu être sauvée. Parmi les autres cas de résistance, je peux citer celles des villages de Marts, de Geghahovit et de Yenokavan. Bien entendu, ces actions ne sont pas toujours couronnées de succès. Il arrive que les villageois subissent des pressions et baissent les bras. Dans d’autres cas, le propriétaire de la PCH obtient le soutien du chef du village en lui promettant, par exemple, de goudronner les routes, de construire un jardin d’enfant, etc., ce qui suscite davantage de conflits entre les différents acteurs. »

(Photo Levon Galstyan)

Les PCH représentent un investissement lucratif en Arménie dans la mesure où le secteur est soutenu au niveau national sous forme de prêts à faible taux d’intérêt accordés par des banques de développement telles la KFW allemande, la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Une autre mesure qui encourage la participation du secteur privé dans l’industrie hydroélectrique est l’achat de l’électricité aux exploitants des PCH par le réseau de distribution électrique à des prix supérieurs à ceux de l’électricité produite par d’autres moyens. Il n’est dès lors pas surprenant de savoir que selon des informations non démenties, la plupart des propriétaires des PCH seraient des hauts fonctionnaires, oligarques ou leurs proches, dont certains en possèderaient plusieurs.

Selon Levon Galstyan, « il faudra arrêter de délivrer des autorisations pour la construction de nouvelles PCH et ne pas permettre la mise en place de plusieurs PCH sur une seule rivière. Il faudra aussi faire adopter et appliquer une législation plus restrictive favorisant l’intérêt public, ce qui nécessite une volonté politique de la part du gouvernement ».

Maral Simsar

2017-07-22T16:28:04+02:00 15.09.15|ARMÉNIE & ARTSAKH|

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