Visite de Sa Sainteté Catholicos Aram 1er en Suisse
Hommage au Pasteur Krafft-Bonnard et aux orphelins arméniens – Témoignage personnel.
Serge Yéramian, Fils de Haïg, orphelin de Begnins.
Parev, bonsoir!
Merci à Mme Pirri Simonian et à Mme Névrik Azadian de m’avoir invité à prendre la parole ce soir … pour la première fois pratiquement!
Désolé de parler autant en « je » mais comme il s’agit d’un témoignage personnel …
1. Reconnaissance
Ma famille paternelle doit TOUT au Pasteur Krafft-Bonnard: l’accueil à Begnins puis au chemin du Velours à Genève, l’aide morale, spirituelle, matérielle (dans des conditions de grande précarité) … en fait la vie même! Il fut vraiment un père pour les orphelins. Une lettre de mon oncle Hrant (Yéram coiffeur, c’est lui) témoigne du très grand respect envers le Pasteur, le Père. « Je serais bien heureux de votre présence à la cérémonie, ainsi je sentirai moins l’absence de mon père. » (Lettre du 19/7/1938, pour son mariage le 6/8). De même, l’invitant pour le banquet: « Sous votre présidence, si j’ose ainsi m’exprimer. »
Une profonde émotion saisit la communauté arménienne lors des obsèques du Pasteur. Nous ne l’oublierons jamais!
2. Mon père
Qu’il est difficile de parler de soi … Mais pour mon père Haïg, il était impossible de parler du génocide! Etre Arménien représentait pour lui trop de souffrance, de malheurs, de misère. Son but a donc été de s’assimiler, de s’helvétiser. D’où le choix de sa femme (ma mère), Bernoise, qui, par amour, a perdu (provisoirement, mais quand même!) sa nationalité suisse en l’épousant … Voilà la première femme admirable! Mon père a toujours voulu nous protéger, ses trois enfants, quitte à couper nos racines arméniennes.
3. De la honte … (à la fierté … 50 ans après!)
En 1965, pour les 50 ans du génocide … le silence! Seul le journal Le Monde y consacre une page … Je me souviens de mon professeur d’histoire au Cycle d’Orientation de Budé (à Genève), M. Schwed. Désirant présenter aux élèves un exposé sur le génocide arménien, il avait rencontré mon père. Bien qu’âgé alors de 52 ans, Haïg était en pleurs. Des années après, mon prof en était encore impressionné. Quant à moi, j’avais honte … Je n’ai pas assisté à la présentation. Je voulais être comme les autres: Suisse, pas Arménien!
4. Traumatisme transgénérationnel
Récemment, une amie d’école primaire (Jacqueline Huber) m’a envoyé une photo de classe. Je vous affirme que je ne me suis pas reconnu dans ce garçon apeuré, recroquevillé … J’ai certainement dû être en communication non verbale avec mon père. Cette citation (dont je ne connais pas l’auteur) exprime bien: « Quand j’étais petit, j’ai senti que tu souffrais, alors j’ai pris un peu de douleur sur moi. »
5. Tentatives de reconnection
Quatre étapes, chronologiquement, m’ont amené à renouer le fil de mon arménité, dans les années 80.
– un exposé sur le génocide (à mon tour!), lors d’un stage au Collège Rousseau (décembre 1980)
– des cours d’arménien à l’Université de Genève, donnés par M. Minassian (83-84). Je n’étais pas sérieux!
– le voyage en Arménie (alors soviétique) avec mon père, en été 1987. Je me rappelle le bonheur ressenti par Haïg: tout le monde parle l’arménien … tout est écrit en arménien …! Mais je ne suis pas parvenu à le sortir de son silence quant à sa vie. Jusqu’à une soirée mémorable chez les parents d’Irène, à Erevan. Mon père parle enfin, la digue cède! Sans connaître les mots arméniens, ou si peu, je comprends tout! Je réalise ce qu’il a subi …
– la rédaction d’un Mémento arménien, avec Reine-Marie (1991), dans le cadre de mon enseignement d’histoire.
Malgré cela, je ne savais toujours ni lire, ni écrire la langue de mon père. Peut-être que je n’étais pas encore suffisamment mûr.
6. Avant de mourir!
A l’approche des 60 ans, j’ai (finalement!) ressenti le besoin impérieux d’apprendre réellement la langue arménienne. Trois phases préliminaires:
– les cours du curé arménien de Troinex, à Cornavin (début 2012). Niveau élémentaire …
– un dictionnaire arménien offert par ma femme Géraldine, peu après. Je panique! Je n’y arriverai jamais …
– les cours d’été à l’Université de Venise, Ca’ Foscari (août 2012). Cette fois, c’est le déclic. J’ai fait un effort terrible, à plus de 60 ans, sous la canicule … Il me fallait absolument décrocher ce diplôme. Ma motivation était totale: je m’étais juré de réussir … avant de mourir! Le soutien indéfectible de Géraldine y est pour beaucoup. Et voilà la deuxième femme admirable!
7. Nevrik
Elle est la troisième femme admirable dans ce témoignage: Névrik Azadian. Elle a été ma prof d’arménien, ces 3 dernières années. Je veux rendre hommage à cette personne exceptionnelle, ainsi qu’à son mari Grigor. Trop modeste, méconnue, mais sa compétence, sa patience, son dévouement, son amour pour la culture arménienne … et ses élèves méritent tous les éloges. Chnorhagal ém,Nevrik!
Je me suis découvert une passion pour l’écriture arménienne. Jai enfin maîtrisé les 38 lettres de l’alphabet … aïp-pén-kim ..! Mon soin minutieux, quasi religieux, m’a valu de Névrik le surnom de « miniaturiste »! J’ai passé des heures à écrire en arménien à raison d’une heure par jour en moyenne. Aujourd’hui, je suis capable de lire le Petit Nicolas en arménien occidental. Passion signifie aussi souffrance, mais cela m’a sans doute permis de renouer le contact spirituel avec mon père.
8. (De la honte à) la fierté
Le 24 avril 2015, j’ai organisé la manifestation sur la Place des Nations. « L’Arménien debout », c’est moi! J’ai réussi à dominer les souffrances et les peurs: je suis fier.
9. A ma mort, si je retrouve mon père, je serai capable de lui parler en arménien. Pour lui et tous les anciens élèves du Foyer arménien de Begnins, j’aimerais dire la dernière strophe du poème de Roupen Sévag: les derniers Arméniens, Vértchin Hayere. Avec notre reconnaissance éternelle au Pasteur Krafft-Bonnard.
Ոչ’, ոչ’: Արշալոյսն իրենց պիտի գայ…
Ու եթէ’ չի գայ աւօտն ապագայ՝
Պիտ՝ Կռուին: Մինչ երբ՞… Մինչեւ յաւիտեա՜ն:
Ու երբ դեռ երկրի վրայ Ազատութեան
Համար մեռնին ափ՜ մը մարդեր չնչի՜ն,
Անոնք պիտ ըլլան Մարդկութեան վերջ՜ին,
Վերջին Հայերը…
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