L’HISTOIRE D’UNE LUTTE

(Photos de Narek Alexanyan)

ARUSYAK ET SARA: DEUX FEMMES QUI ONT SAUVÉ GARNI

La lutte pour Garni avait commencé il y a 2 ans. Mais elle s’est intensifiée cette année le 16 mai avec l’entrée de la machinerie lourde et des équipements de construction dans la gorge de la rivière Azat.

Le fait est que la Banque mondiale avait octroyé un prêt de 30 millions de dollars au gouvernement de la République d’Arménie pour l’amélioration du système d’irrigation. De ce montant, 10.4 millions devaient être consacrés au projet «système d’irrigation par gravité de Kaghtsrashen» dont la réalisation est considérée comme désastreuse par Arusyak Ayvazyan et Sara Petrosyan, deux habitantes de Garni.

Le projet d’irrigation prévoyait de détourner l’eau de la rivière Azat vers 12 villages de la province d’Ararat. Les écologistes et les habitants de Garni pensent que si ce projet est réalisé, la rivière Azat serait asséchée et un désastre écologique frapperait le village de Garni et les régions avoisinantes.

Après avoir épuisé toutes les voies de lutte possibles, les habitants de Garni ont recouru à des méthodes extrêmes et le 21 mai, ils ont bloqué la route qui mène à Garni.

Deux femmes remarquables

Arusyak Ayvazyan, gérante d’une pharmacie, et Sara Petrosyan, journaliste d’investigation, sont toutes les deux nées et élevées à Garni. Ces braves femmes, conscientes de leurs droits, sont devenues, malgré elles, les porte-paroles de la lutte de la commune. Arusyak s’est occupée des efforts sur place alors que Sara a mobilisé les médias.

«En tant que journaliste professionnelle et membre de l’association des journalistes d’investigation, je me suis spécialisée dans les domaines des collectivités locales. Au cours de ces années, j’ai étudié tous les documents accessibles pour constater que les motivations de la demande de prêt adressée à la Banque mondiale comprenaient des irrégularités et que, ce plus important encore, les habitants de la commune de Garni n’avaient pas donné leur accord à la réalisation de ce projet. De surcroît, les éventuelles conséquences écologiques néfastes n’avaient pas été exposées aux représentants de la Banque mondiale. Je savais précisément que je luttais pour ma patrie et contre les personnes qui voulaient me priver de tout ce qui me donnait de l’énergie, tout ce que je considère comme ma patrie» dit Sara Petrosyan.

Après avoir lutté avec sa plume pendant deux ans, Sara a compris que le moment était venu de passer à des opérations concrètes.

«Je ne saurais pas dire comment l’obligation de rassembler les habitants et de diriger la lutte est retombée sur les épaules d’Arusyak et moi. Je parle d’obligation car personnellement, je sentais que j’avais une obligation envers ma commune, mon pays et les personnes avec qui j’avais grandi. Je me disais, si ce n’est pas nous, qui alors? Au début, il était étrange que les hommes de nos familles traditionnelles, qui n’ont pas l’habitude de se mettre en retrait mais de lutter pour la justice, nous fassent confiance, nous les femmes, et croient au bien-fondé de notre combat. De ce fait, je me sentais obligée de ne pas les décevoir» fait remarquer Sara.

Quant à Arusyak Ayvazyan, tout le monde la connaît à Garni. La gérante de la pharmacie partage les préoccupations des habitants de la commune. «Garni est une petite localité et les gens me connaissent. Ils savaient que ma lutte était juste et que je n’y avais aucun intérêt personnel. Ils savaient que nous étions déterminées à faire entendre leurs soucis et plaintes.» dit-elle.

«Je ne comprends pas la politique des autorités. Souhaitent-elles dépeupler notre patrie? Dans la gorge d’Azat il existe des monuments aux valeurs culturelles et environnementales importantes telles que la «Symphonie des pierres», le pont du XXIe siècle et 4 autres monuments. En présentant le projet, le gouvernement n’a pas pu prouver que ces monuments ne subiraient pas de dégâts. Comment serait-il possible de mettre l’intérêt personnel au-dessus de tout?» s’interroge Arusyak.

En effet, Sara Petrosyan voit des intérêts personnels derrière ce projet: «Lors de la rencontre avec le Premier-ministre, j’ai dit qu’il avait un terrain de 80 hectares dans le village de Kaghtsrashen. L’eau serait suffisante pour ces deux villages. Il ressort que l’Arménie prend un prêt pour irriguer les terrains des hauts-fonctionnaires» souligne-t-elle.

«J’étais certaine qu’Arusyak serait prête à diriger la lutte en sensibilisant les habitants et en les rendant attentifs aux conséquences de leur silence. La confiance dont nous nous sommes témoignées réciproquement nous a aidée à lutter et à obtenir une première victoire sans céder aux chantages» ajoute Sara.

Résister aux chantages

Les pressions et les chantages envers Arusyak Ayvazyan avaient commencé déjà en avril. Pendant les opérations militaires de grande envergure qui ont eu lieu début avril sur la frontière entre l’Artsakh et l’Azerbaïdjan, des inconnus avaient téléphoné à Arusyak et l’avaient menacée d’envoyer son fils «à la guerre».

«Ils ont proféré des menaces en disant que mon fils n’avait pas servi dans l’armée et qu’ils pourraient l’envoyer à la guerre en Artsakh. Puis, ils m’ont insultée. Je leur ai dit qu’ils étaient mal-informés mon fils ayant déjà effectué son service miliaire, et qu’il était inutile de me menacer car je n’avais pas peur d’eux» raconte Arusyak.

Une autre fois des inconnus étaient venus à la pharmacie sous prétexte d’acheter des médicaments et avaient menacé Arusyak de lui envoyer des agents du fisc et de nuire à son commerce, tout en lui adressant des propos désobligeants. Arusyak leur avait demandé de sortir et après les avoir photographiés et enregistré le numéro de la plaque d’immatriculation de leur voiture avait alerté les forces de l’ordre. Elle est déterminée à aller jusqu’au bout par toute voie de droit.

Sara Petrosyan, quant à elle, n’a pas reçu de menaces même s’il y a eu des tentatives d’entraves à son travail. Elle pense qu’elle n’a pas fait l’objet d’intimidation compte tenu de la nature de sa spécialisation.

A ce stade de la lutte, les deux femmes considèrent que les habitants de Garni ont gagné une bataille vu que le Premier-ministre a promis d’annuler le projet. Après une lutte de longue durée, Arusyak se sent fatiguée mais pas épuisée. Elle dit avoir besoin de temps pour récupérer ses forces en sachant que le combat ne s’est pas encore terminé.

Victoire

Le 21 mai, le Premier-ministre Hovik Abrahamyan n’a pas pu passer par la route bloquée. Les habitants de Garni l’ont accueilli en scandant «Tchegharkum» (annulation). Le Premier-ministre a écouté leurs plaintes et a promis de suspendre la réalisation du projet parce que le gouvernement y avait découvert des manquements*.

Après un combat sur le terrain et la promesse du Premier-ministre les deux femmes ont continué à lutter. Elles ont pris contact avec le bureau de la Banque mondiale à Washington pour exposer à cette institution le point de vue des habitants de la commune.

«Je leur ai expliqué que le projet leur a été mal présenté, que contrairement à ce qu’on leur avait dit, les habitants de Garni n’étaient pas pour ce projet. Je leur ai dit que nous avions récolté 2300 signatures que nous avions envoyées au président de la République pour demander l’annulation du projet, et qu’il s’agissait d’un projet qui conduirait à un désastre écologique. Les représentants de la Banque m’ont assuré qu’ils viendraient en Arménie pour les projets de Kaghtsrashen et du lac de Geghard.» a expliqué Arusyak.

La victoire sans précédent des deux femmes de Garni a inspiré beaucoup de personnes. Les voix se lèvent pour demander à ce qu’elles occupent des postes dirigeants dans la commune.

(Extraits de « Մի պայքարի պատմութիւն. Գառնին փրկող կանայք. Արուսեակ և Սառա » signé S.M. paru dans Aravot, traduits de l’arménien par Artzakank)

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(*) Selon un communiqué de Armecofront du 30 juin, un mois après ces faits, des représentants de la Banque mondiale ont visité Garni afin de prendre connaissance des griefs des habitants et il semblait que le projet était définitivement enterré. Cependant, quelques jours plus tard, le Comité d’Etat de la gestion d’eau auprès du ministère de l’agriculture a annoncé qu’un compromis avait été trouvé pour modifier le projet. Selon le nouveau plan, les tuyaux seraient installés 5.2 km plus loin de l’emplacement prévu par le projet initial.

 

2017-08-03T22:50:20+02:00 15.07.16|ARMÉNIE & ARTSAKH|

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