Le 24 avril 2011, alors que nous commémorions les victimes du génocide de 1915, Sevag Balıkçı, un jeune conscrit de l’armée turque se faisait abattre par son compagnon de chambre dans la caserne de Kozluk, près de Batman. Il sera tristement désigné comme la victime N° 1 500 000 +2 du génocide des Arméniens, la victime N° 1 500 000 + 1 étant Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul.
Cinq ans plus tard, une société se créé à Erevan, sous le nom de Sevag Sàrl. Ses fondateurs ne sont autres que Lerna et Shant, la sœur et le beau-frère de Sevag, et leur ami Alex. Depuis avril 2016, ils exploitent un restaurant au cœur de la ville.
A Cosi È La Vita, les clients sont accueillis par les patrons en personne. La carte contient des spécialités de l’Arménie occidentale adaptées parfois aux goûts locaux ou encore parsemées de touches européennes. C’est Lerna elle-même qui prépare certains mets, en établit les recettes et veille à la présentation soignée des plats servis.
L’ambiance est conviviale et la conversation s’entame facilement avec Lerna. Elle parle en arménien occidental mélangé d’expressions locales. Cosi È La Vita est dédié à la mémoire de son frère Sevag, son cadet de six ans, qui aimait beaucoup l’Italie pour y avoir fait plusieurs séjours. Le restaurant propose des mets variés que Sevag appréciait et aimait préparer. «Je travaillais dans l’événementiel et avec Sevag nous avions l’intention d’ouvrir un café dans le quartier de Moda à Istanbul. Maintenant, je prépare tout pour lui, des boeregs, des dolmas, du soufflé, etc. qu’il aimait et c’est ainsi que je retrouve la paix» dit Lerna.
Après la mort de Sevag, Lerna vit des jours difficiles pendant cinq ans. En effet, entre les sollicitations de la part des médias, la procédure judiciaire interminable et les allers-retours à Diyarbakır pour assister au procès du meurtre de son frère, Lerna, comme les autres membres de la famille Balıkçı, est terrassée de douleur. D’autre part, la communauté arménienne d’Istanbul ne leur apporte aucun soutien pendant ces jours éprouvants et certains dirigeants leur conseillent de ne pas «trop parler». «A l’exception de quelques personnes courageuses comme Garo Paylan et les membres du mouvement Nor Zartonk, nous n’avons vu personne à nos côtés lors des marches qui ont eu lieu à l’occasion du 24 avril ou en mémoire de Hrant Dink ou de Sevag» dit Lerna avec tristesse. «Seule une amie turque est restée à mes côtés» ajoute-t-elle.
Sur conseil de son psychiatre, afin de surmonter son chagrin, Lerna fait un voyage en Italie avec son mari Shant et se rend dans les différentes villes que Sevag avait visitées. Puis, un événement majeur vient transformer la vie du couple: la naissance de leur fils Odin. «Je voulais rester à Istanbul pour prouver que nous étions forts, mais après la naissance d’Odin j’ai commencé à avoir peur pour lui. Il ressemble beaucoup à Sevag et je ne pouvais pas m’imaginer qu’un jour il serait appelé sous les drapeaux comme son oncle. Nous avons alors décidé de quitter la Turquie.»
Shant, qui avait déjà visité l’Arménie à 2 ou 3 reprises, propose à Lerna de voyager à Erevan avec lui. Pour Lerna, c’est son premier voyage en Arménie. Un mois plus tard, la décision est prise: Lerna et Shant liquident leurs affaires à Istanbul et débarquent à Erevan avec Odin et leur chien. Leur ami Alex, originaire d’Istanbul comme eux, qui connaissait l’Arménie depuis 1999, s’associe avec eux et ils ouvrent le restaurant Cosi È La Vita – une allusion à l’imprévisibilité de la vie.
«Ma vie a changé après la naissance d’Odin et actuellement je fais tout pour lui» conclut Lerna.
L’originalité et la qualité des mets servis, combinées avec les talents du trio en communication et le cadre agréable ont fait de cet établissement en peu de temps un lieu incontournable dans le paysage culinaire de la capitale arménienne. Adresse: 2a rue Tamanyan (Facebook: La Vita Armenia)
M.S.
Laisser un commentaire