ENGAGEMENT EN FAVEUR D’UN ÉTAT JUSTE ET ÉQUITABLE

Arsinée Khandjian, Eric Nazarian, Serj Tankian et Atom Egoyan (photo Noranor.ca)

Les dernières élections législatives en Arménie ont attiré davantage l’attention de la diaspora notamment grâce au mouvement d’un groupe d’intellectuels et d’artistes célèbres qui avait lancé en septembre 2016 la campagne « Justice en Arménie » accompagnée d’une pétition en ligne en faveur de la démocratie en Arménie (www.change.org/p/justice-within-armenia). C’est dans ce cadre que les initiateurs de la campagne le musicien rock Serj Tankian, l’actrice Arsinée Khandjian, son mari le cinéaste Atom Egoyan ainsi que le cinéaste Eric Nazarian ont assisté aux élections en tant qu’observateurs. Avec 300 autres Arméniens de la diaspora dont 5 venant de Suisse (voir leur impressions dans les pages suivantes), ils ont fait partie d’une mission d’observation initiée par une coalition de groupes de la société civile arménienne.

Les chefs des missions d’observation internationales de l’OSCE/BIDDH, de l’APCE, de l’AP/OSCE et du Parlement européen ont dénoncé des irrégularités, tout en soulignant que « des efforts ont été faits ». Ils ont regretté que « le processus électoral ait été miné par des informations crédibles et récurrentes concernant des achats de vote et des actes d’intimidation des électeurs ». Les observateurs internationaux ont souligné que malgré les efforts entrepris « les élections n’ont pas pu effacer les doutes persistants sur la fiabilité et l’intégrité du processus électoral dans le pays ». Selon eux, la Commission électorale centrale a travaillé de façon « efficace et transparente », mais « sans donner suite aux plaintes de manière rigoureuse ».

Ces élections nous ont permis de constater l’ampleur des pressions et des intimidations exercées sur les électeurs ainsi que de la misère dans laquelle vit une tranche importante de la population qui ne saurait résister à la tentation des pots-de-vin.D’autre part, nous avons pu observer l’extrême vulnérabilité des employés et des fonctionnaires et leur soumission complète à leurs supérieurs en l’absence de toute protection. Les observateurs ont identifié et signalé un certain nombre de violations et d’irrégularités et quelques 2000 plaintes ont été déposées. En effet, les preuves n’en manquent pas mais la plus flagrante est celle recueillie par l’ONG Union des  citoyens informés (UCI) sur l’utilisation des ressources administratives par le Parti Républicain d’Arménie (HHK) du président Serj Sargsyan. Une semaine avant les élections, un activiste de l’UCI, qui s’est fait passer pour un responsable du HHK, avait téléphoné aux directeurs de 136 écoles et jardins d’enfants à travers le pays, dont 114 avaient avoué avoir dressé des listes de collaborateurs et de parents d’élèves, qui auraient promis de voter pour le parti au pouvoir. La plupart des directeurs auraient même donné des noms de candidats du HHK à qui ils auraient transmis ses listes. Selon le coordinateur de l’UCI, Daniel Ioannisyan, un des directeurs aurait même admis avoir recouru à des méthodes d’intimidation contre les parents d’élèves pour qu’ils votent en faveur du HHK. La liste des directeurs et les enregistrements ont été publiés sur le site www.sut.am en suscitant la colère et les protestations des partis d’opposition et des groupes de la société civile.

Dans une déclaration écrite diffusée suite à ces révélations scandaleuses, le HHK a fait remarquer que le Code électoral n’interdisait pas aux directeurs d’écoles de faire campagne en faveur d’un parti politique après leurs heures de travail et que l’analyse minutieuse d’une grande partie des enregistrements ne donnait aucune raison permettant de prétendre qu’il y a eu une violation de ce Code. Par ailleurs, aucune poursuite judiciaire n’a été engagée contre ces directeurs.

Bien au contraire, après les élections, une trentaine des directeurs en question ont intenté une action en justice pour diffamation contre Daniel Ioannisyan. Ils lui réclament des excuses publiques et 2 millions de drams chacun pour tort moral. De surcroît, trois des directrices impliquées dans ce scandale se sont présentées candidates aux élections municipales d’Erevan tenues le 14 mai dernier.

Plusieurs groupes de la société civile ont exprimé publiquement leur solidarité avec Daniel Ioannisyan en estimant que ces procès étaient utilisés par le HHK pour faire pression sur les activistes et limiter leur liberté d’expression. Serj Tankian, quant à lui, a publié sur sa page Facebook une photo de lui avec l’activiste « pour honorer ses efforts en activisme journalistique » en ajoutant: « Celui qui attire l’attention sur la corruption et l’injustice devrait être félicité et non pas poursuivi. Si les directeurs d’écoles mis en cause se sentent embarrassés suite au dévoilement de leurs actions inappropriées, ils devraient s’en prendre à ceux qui les ont mis dans cette position et non pas à un journaliste. »

Daniel Ioannisyan (photo DEPOP Institute for Governance)

Le 13 avril un autre enregistrement audio, celui d’une réunion tenue avant les élections, a été publié sur le site Hayastan24.com. On y entend la voix d’un homme inconnu menaçant de licencier les employés de la chaîne de supermarchés SAS d’Artak Sargsyan qui ne pourraient pas garantir par écrit que leurs amis et proches voteront pour leur patron. L’homme promet également des bonus somptueux à leurs collègues qui « apporteront des votes » au candidat du parti au pouvoir. Inutile à dire qu’Artak Sargsyan a réussi à se faire élire au nouveau parlement. Cette fois-ci, le Bureau du Procureur général a déclaré qu’il « examinait » l’enregistrement. 

Le jour des élections coïncidait avec le premier anniversaire de la guerre de quatre jours qui avait coûté la vie à une centaine de soldats côté arménien. Leur mémoire demeure toujours vivante non seulement pour les familles endeuillées mais aussi pour toute la société arménienne qui se pose des questions sur les nombreuses zones d’ombre qui subsistent quant aux circonstances de cette guerre. Dans un rapport  publié le 25 avril 2017, le bureau de Vanadzor de l’ONG Helsinki Citizens’ Assembly (www.hcav.am) dénonce l’inaction du gouvernement et lui reproche de ne pas faire la lumière sur les informations relatives aux déficiences logistiques et militaires observées pendant cette période. L’ONG déplore également le manque de transparence dans le limogeage de militaires haut-gradés intervenus suite à cette guerre et l’impunité à ce jour des responsables des crimes commis.

Un quart de siècle après l’indépendance, l’Arménie est encore loin d’être un Etat juste et équitable. L’Azerbaïdjan continue sa guerre d’usure contre l’Arménie et l’Artsakh en tirant régulièrement sur les villages frontaliers avec l’Arménie et tout au long de la ligne de contact. 21 soldats ont déjà trouvé la mort au cours des 4 premiers mois de 2017. D’autre part, selon les statistiques officielles, 1’500’000 personnes ont quitté le pays ces dix dernières années et il est évident qu’en sus des raisons économiques, le manque d’indépendance de la justice, les atteintes aux droits de l’homme et la corruption qui gangrène tous les secteurs de la vie motivent cette émigration alarmante.

La diaspora commence à saisir la gravité de la situation et son impact désastreux sur l’avenir de la nation arménienne. L’initiative « Justice en Arménie » et la présence des célébrités de la diaspora en Arménie en tant qu’observateurs des dernières élections parlementaires ont sans doute joué un rôle important dans la sensibilisation des membres intéressés des communautés de la diaspora. Il faut espérer que cette prise de conscience se traduira par un engagement de plus en plus tangible en Arménie.

Le salut viendra très probablement des militants des mouvements civiques en Arménie dont le zèle et le courage méritent notre respect. Daniel Ioannisyan n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui font un travail remarquable sur place. Si la diaspora voudrait que les choses changent en Arménie elle devrait d’une part faire savoir aux autorités arméniennes son désapprobation des pratiques qu’elle juge inacceptables et d’autre part, soutenir les différents groupes de la société civile qui luttent pour une Arménie juste et équitable.

Maral SIMSAR

2017-08-02T15:32:15+02:00 15.05.17|ÉDITORIAL|

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