LA DIASPORA ET LA RÉVOLUTION DE VELOURS

Les développements qui se succèdent en Arménie, tant sur le plan interne qu’au niveau de la politique étrangère, continuent de susciter un vif intérêt parmi les Arméniens qui se sentent concernés. Le Premier-ministre Nikol Pashinyan, qui bénéficie toujours d’un soutien populaire incontestable, et son gouvernement de transition, poursuivent leur lutte sans relâche contre la corruption et jettent les bases d’un plan visant à assainir le climat des affaires et à assurer une meilleure gouvernance publique. Les révélations choquantes sur les nombreux cas de détournement de fonds publics à des fins personnelles relayées par les médias démontrent l’ampleur du pillage dont le pays a été victime durant 27 ans, au mépris total des droits les plus fondamentaux des citoyens et des principes de justice.

Cependant, le gouvernement Pashinyan, qui n’a pas le soutien du Parlement, reste vulnérable à la veille de sa première épreuve: la tenue des élections anticipées du conseil municipal d’Erevan prévue le 23 septembre prochain. L’inculpation, l’arrestation et la remise en liberté de Robert Kotcharyan dans le cadre de la réouverture de l’enquête sur les évènements du 1er mars 2008 (répression armée des manifestants contestant la régularité des élections présidentielles, qui a fait dix morts et plusieurs centaines de blessés) et le soutien d’un nombre de parlementaires dont le deuxième président a bénéficié laissent présager que le chemin vers l’élection d’un nouveau Parlement sera semé d’importants obstacles. L’annonce par Robert Kotcharyan de son retour en politique et l’activation simultanée des députés du parti de Serge Sargsyan, déchu par la révolution, et de leurs alliés, font l’objet de spéculations diverses sur fond de tapage médiatique intense.

Malgré la résistance acharnée de certains représentants de l’ancien régime contre Pashinyan et son équipe dans le but de préserver leurs privilèges, un retour en arrière semble peu probable. En effet, la société civile arménienne, qui a pris conscience de sa force et de sa capacité à prendre son destin en main, montre désormais une réactivité accrue aux différentes mesures prises par le gouvernement et reste déterminée à faire prévaloir les valeurs de la révolution « de l’amour et de la tolérance » dans le pays.

Les choses commencent à bouger également dans la diaspora. Durant les semaines qui ont précédé l’élection de Nikol Pashinyan au poste de Premier-ministre, des manifestations de soutien avaient été organisées dans différentes communautés par des groupes de jeunes et de moins jeunes qui ne font pas partie des organisations traditionnelles. Rappelons que pendant deux décennies, ces dernières s’étaient bien gardées de critiquer les autorités arméniennes pour les violations flagrantes des droits de l’homme et l’absence de l’état de droit. Après le triomphe du mouvement populaire en Arménie, l’enthousiasme a gagné un plus grand nombre de groupes et d’individus dans la diaspora, qui se montrent désireux de s’impliquer davantage en Arménie. En parallèle, ces groupes appellent à plus de démocratie et de transparence dans la gestion des affaires communautaires.

Face aux nouvelles réalités en Arménie et dans la diaspora, certains groupes font déjà les premiers pas pour s’organiser. A cet effet, une conférence a été organisée le 2 septembre à Cologne en Allemagne par l’Assemblée des Arméniens d’Europe sous le titre de « Nouvelle Arménie, nouvelle diaspora » avec la participation des délégués de France, d’Allemagne, de Suède, de Belgique, de Tchéquie, des Pays-Bas, de Grèce et d’Arménie. Une autre initiative, « Plateforme pour l’unification de la diaspora« , a été lancée fin août à Glendale, en Californie.

Il est difficile de prévoir l’évolution de ces courants dans le temps. Mais il est évident que les dirigeants des structures communautaires existantes doivent tenir compte de la nouvelle donne. Contrairement aux représentants de l’ancien régime qui privilégiaient les relations avec les organisations traditionnelles et les milieux financiers, M. Pashinyan et son gouvernement prônent un partenariat avec tous les membres de la diaspora, non seulement sur le plan financier mais aussi humain, social et culturel. Ce message d’une importance majeure contient aussi un appel aux membres de la diaspora qui jusqu’ici restaient loin de la vie communautaire par manque d’intérêt ou pour d’autres raisons, afin qu’ils renouent avec la terre de leurs aïeux et s’approprient leur identité arménienne.

Nous vivons aujourd’hui un tournant dans les relations entre l’Arménie et la diaspora. À ce stade, il appartient aux principales organisations dans chaque communauté de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour regagner la confiance de leurs membres, laisser émerger de nouvelles personnes, de nouvelles manières de penser et montrer leur solidarité avec l’État arménien et ses habitants. Cela implique la remise en question des politiques et méthodes suivies depuis un demi-siècle qui ne sont plus adaptées aux besoins d’aujourd’hui, ainsi que la volonté sincère de se réformer pour être en phase avec les nouvelles réalités. Si l’on veut intégrer les jeunes dans la vie communautaire, les encourager à tisser des liens avec l’Arménie et à vivre leur arménité, il faut nécessairement passer par la démocratisation de nos institutions, en créant un espace ouvert où tous les membres de la communauté seront les bienvenus et participeront à la prise des décisions, où chaque apport même minime sera respecté et valorisé.

« Je déclare de manière confiante que le ministère que je dirige ne manifestera plus aucune approche discriminatoire » disait le Ministre de la diaspora Mkhitar Hayrapetyan dans les colonnes de notre numéro précédent (voir « Interview exclusive avec le nouveau Ministre de la diaspora » dans Artzakank N° 217 https://artzakank-echo.ch/2018/07/26/interview-exclusive-avec-le-nouveau-ministre-de-la-diaspora-mkhitar-hayrapetyan/). Il est à espérer que les représentants de la Nouvelle Arménie tiendront leur promesse notamment lorsqu’ils se rendront dans les pays d’accueil des communautés arméniennes. En effet, au lieu de se contenter de quelques rencontres souvent non-représentatives, ils peuvent  exiger de leurs hôtes d’organiser des rencontres ouvertes à tous les membres de la communauté afin de les écouter, de leur transmettre les messages du gouvernement arménien et de se faire une idée de première main sur les questions qui les préoccupent. Le partenariat entre l’État arménien et les communautés de la diaspora tel qu’il est présenté par le Premier-ministre et le Ministre de la diaspora ne peut être concrétisé que sur la base du principe d’égalité entre les différents groupes dans chaque communauté; un principe qui doit être respecté également par les dirigeants de toutes les organisations de la diaspora.

Maral SIMSAR

2018-09-26T20:00:42+02:00 19.09.18|ÉDITORIAL, SUISSE-ARMÉNIE|

Laisser un commentaire