par Maral SIMSAR
UNE JOURNÉE MÉMORABLE
Le 7 mai 2022 restera gravé dans la mémoire des Arméniennes et Arméniens venus assister à l’inauguration officielle de la Place d’Arménie devant l’église St. Hagop de Troinex. Cet évènement historique, qui fut l’aboutissement d’un processus entamé il y a plus de huit ans, marque une nouvelle étape dans l’histoire de la communauté arménienne de Suisse. Quelques 300 personnes, dont des représentants des autorités municipales et cantonales, s’étaient déplacées pour l’occasion.
Tous les ingrédients étaient réunis pour la réussite de cette journée tant attendue. Le maire de Troinex Guy Lavorel, accompagné de ses deux adjoints Béatrice Hirtsch et Marc Truan, a été accueilli selon la tradition par « le pain et le sel » avant d’être invité à ouvrir la cérémonie solennelle. Dans son discours, M. Lavorel a évoqué les moments forts de l’histoire des liens privilégiés entre la Commune de Troinex et la communauté arménienne de Genève tels que la consécration de l’église St-Hagop en 1969, la collecte d’aide suite au tremblement de terre qui a dévasté le Nord de l’Arménie en 1988, la commémoration du 100e anniversaire du génocide des Arméniens en 2015, le concert tenu à l’église St-Hagop en 2017 à l’occasion du bicentenaire de la création de la commune de Troinex et le voyage en Arménie des membres du Conseil municipal de Troinex en 2018.
En s’adressant au public en anglais, M. Andranik Hovhannisyan, ambassadeur de la République d’Arménie en Suisse, a remercié les autorités communales et les représentants de la communauté arménienne qui ont contribué à la réalisation de ce projet. Il s’est félicité que l’Église et l’École qui « symbolisent la continuité des traditions arméniennes » auront une adresse postale liée à l’Arménie. « Il existe des rues, places et quartiers arméniens dans différents endroits à travers le monde. Désormais, la Place d’Arménie à Troinex sera dans la même ligne que la station de métro « Armenia » à Sao Paolo, le « Jardin d’Erevan » à Paris, « Armenian Alley » à Moscou, « Armenierplatz » à Vienne etc. » a-t-il ajouté.
Le Père Goosan Aljanyan, locum tenens du Diocèse arménien de Suisse, et le Père Shnork Tchekidjian, pasteur des paroisses de la Suisse alémanique, ont célébré ensemble le service d' »antasdan » (cérémonie de bénédiction des quatre directions cardinales) avant de procéder à la bénédiction des deux panneaux qui se lisent: Place d’Arménie – Cette place, inaugurée le 7 mai 2022, concrétise les liens étroits entre la communauté arménienne, Genève, et la commune de Troinex.
Après la cérémonie d’inauguration, Daniel Papazian, président de la Fondation St. Grégoire et maître de la cérémonie, a pris la parole pour exprimer ce que les Arméniens de Genève et de Suisse ressentaient en ce jour mémorable. Il a présenté un panorama non exhaustif des liens entre la communauté arménienne et Genève/Suisse dès le dernier quart du 19ème siècle jusqu’à nos jours en citant des personnes ayant joué un rôle important et dont certaines se trouvaient dans le public:
La fondation à Genève en 1887 du parti Social-démocrate (Hntchak) par des étudiants arméniens; l’installation à Genève en 1892 de la Fédération révolutionnaire arménienne (Dashnaktsutyun) où elle publie son journal (Droshak) jusqu’en 1914; l’ouverture à Genève en 1910 du siège européen de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB); le mouvement arménophile né sous l’impulsion de Messieurs Léopold Favre, Edouard Naville et Anthony Kraft-Bonnard qui ont été rejoints plus tard par les conseillers fédéraux Gustave Ador et Giuseppe Motta; la pétition récoltant 454’000 signatures adressée au Conseil fédéral demandant son intervention auprès des Grandes Puissances afin de faire cesser les massacres hamidiens de 1895-1896; la création en 1922 de l’orphelinat arménien à Begnins (VD), transféré plus tard au chemin de Velours à Genève; la reconnaissance du génocide des Arméniens par le Grand Conseil genevois en 1998 et le Conseil National en 2003; le formidable élan de solidarité manifesté par le peuple suisse lors du tremblement de terre qui a frappé l’Arménie en 1988, notamment par l’envoi de fonds et des tonnes d’aide humanitaire et un engagement sur place; la participation des amis suisses à la récolte de dons, d’habits et de matériel médical suite à la guerre lancée par l’Azerbaïdjan en 2020; etc.
Avant de terminer son discours, M. Papazian a raconté avec émotion l’histoire de ses grands-parents maternels et paternels dont les liens avec la Suisse remontent aux années 1890. Il a dédié son message à la mémoire de son père Gronik Papazian, « qui fut la cheville ouvrière de tout ce qui a été construit sur ce site ». M. Papazian a ensuite adressé ses remerciements à M. Potter van Loon, l’ancien maire de Troinex, à M. Guy Lavorel, actuel maire de Troinex et à ses deux adjoints, au Conseil municipal, au Conseil d’État, sans oublier Mme Hasmik Tolmajian, Ministre plénipotentiaire à l’Ambassade d’Arménie en Suisse (2014-2018) et M. Vahé Gabrache qui ont contribué au rapprochement entre la communauté arménienne et la commune de Troinex.
LA GENÈSE DE LA PLACE D’ARMÉNIE
« En 2014, dans le cadre de la commémoration du centenaire du génocide des Arméniens, Astghik Marandjian a présenté son projet de rosiers à planter au bord du trottoir devant l’église. Je me suis alors adressé à M. Potter van Loon, le maire de Troinex de l’époque, pour lui demander si la commune pouvait se charger de l’entretien des plants après la réalisation du projet. Monsieur le maire m’a répondu que la commune n’était pas équipée pour pouvoir entretenir les rosiers, mais que participer à l’érection d’un monument pour commémorer ce centenaire entrait dans la politique de la commune. Plus tard, il m’est venu l’idée de la Place d’Arménie étant donné que nous avons déjà le khatchkar comme monument devant notre église. Ma proposition a été accepté avec beaucoup d’enthousiasme par M. van Loon, qui l’a annoncé publiquement le 24 avril 2015, lors de la commémoration du centenaire du génocide devant l’église. » explique Daniel Papazian.
La suite du programme s’est déroulé dans les salles du Centre arménien dans une ambiance festive. Le public a assisté à un spectacle de la troupe de danse Sanahin, suivi d’un riche buffet accompagné du vin arménien. Les spécialités présentées soigneusement avaient été préparées par les dames de la communauté, avec une très belle contribution et une mise en valeur par le comité des dames de l’église St-Hagop.
« Le maire actuel, Guy Lavorel, qui a succédé à Potter van Loon deux mois plus tard, a heureusement adhéré à cette idée. Nous avons développé avec lui et ses adjoints des rapports privilégiés, même très amicaux. Le projet a progressé et a pris de la consistance dans un contexte de collaboration extrêmement chaleureuse par le biais d’invitations, de repas, dont un avec feu Charles Aznavour, etc.. Cette collaboration s’est élargie lorsque nous avons accueilli en Arménie le conseil municipal dans sa quasi-totalité en 2018. »
Mais pourquoi la réalisation de ce projet a pris si longtemps?
« Il y a eu plusieurs étapes: A) obtenir l’adhésion du Conseil administratif de la commune ; B) La décision de donner un nom à un espace public relève du législatif de la commune et c’est seulement après le retour d’Arménie des membres du Conseil municipal que le projet a été présenté et voté C) La Commune doit solliciter une validation auprès du Conseil d’État, appuyée par une solide motivation que j’ai fournie. En octobre 2020, ce dernier a rendu son arrêt dont la mise en œuvre par l’administration s’est concrétisée le 15 janvier 2021 par le changement de dénomination de l’adresse. D) C’est à partir de cette date que la Place d’Arménie est devenue une adresse officielle au cadastre, la porte de l’église portant le numéro 2 et la porte latérale avec les marches intérieures portant le numéro 4. Pour la cérémonie d’inauguration, nous avons dû attendre la levée des mesures liées à la pandémie pour pouvoir accueillir un nombre illimité de personnes ainsi qu’une période clémente de l’année. »
Y aura t-il une suite à ce projet?
« L’idée de jumelage entre Troinex et un village arménien est née lors du voyage des membres du Conseil municipal en Arménie. Mais la pandémie n’a pas permis de la développer et d’aller plus loin.
La prochaine étape après la pose des panneaux sera le réaménagement de la Place d’Arménie par la modification du carrefour et le remaniement des parties vertes du ruban des rosiers. L’idée est que le parvis de l’église devienne un espace vivant pour les passants, qui pourront s’y arrêter, s’assoir sur un banc et se reposer tout en admirant notre architecture traditionnelle. »
Pour revenir à la journée de l’inauguration, elle fut mémorable pour Daniel Papazian à plus d’un titre. « Mémorable parce qu’elle a scellé dans la fonte des panneaux l’amitié entre deux peuples. Mémorable parce que Troinex et Genève nous ont offert un cadeau inestimable. Mémorable parce qu’afficher durablement « Arménie » sur la voie publique, c’est rappeler que malgré les frontières géopolitiques que l’on efface et déplace, le peuple arménien est toujours debout. »