QUE PENSENT LES MILIEUX POLITIQUES EUROPÉENS?

(Crédit photo: armradio.am)

par Maral SIMSAR

Il ne passe pas un jour sans que les médias arméniens ne rapportent des nouvelles alarmantes en provenance d’Arménie et d’Artsakh. En parallèle avec le durcissement du blocus d’Artsakh et la grave crise humanitaire qui en découle, les habitants des zones frontalières sont régulièrement la cible de tirs azéris, les empêchant de cultiver leurs terres ou de faire paître leurs animaux. Les forces azéries tirent également sur des installations stratégiques en Arménie comme la mine d’or de Sotk et dernièrement la fonderie en construction à Yeraskh, à la frontière avec le Nakhijevan. Le but visé est clair: priver les populations arméniennes de moyens de subsistance et les pousser à quitter leurs terres ancestrales. L’Azerbaïdjan intensifie chaque jour sa politique de terreur faisant des morts et des blessés parmi la population arménienne alors que les négociations entre Erevan et Bakou se multiplient dans différentes villes sous l’égide de la Russie, des Etats-Unis ou de l’UE. Les dirigeants des pays médiateurs se contentent toutefois de faire des déclarations neutres pour exprimer leur préoccupation et appeler les deux parties à respecter le cessez-le-feu et à régler leur différend par le dialogue, ou bien, dans les meilleurs des cas, ils invitent l’Azerbaïdjan à assurer le libre passage du corridor de Latchine.

Malgré cette situation de plus en plus insoutenable, les acteurs politiques arméniens restent très divisés et continuent de se renvoyer mutuellement la responsabilité des conséquences désastreuses de la guerre de 44 jours. En l’absence de toute réflexion politique sincère et sérieuse au sein de la société arménienne, les organisations traditionnelles de la diaspora semblent confuses et incapables d’assurer une mobilisation générale autour de l’Arménie et de l’Artsakh, ni au niveau communautaire, ni auprès des milieux politiques des pays d’accueil.

Le sentiment qui prévaut actuellement chez les Arméniens est que nous sommes seuls face à l’axe Bakou-Ankara dont l’objectif final est de parachever le génocide de 1915. Ce sentiment repose d’une part, sur l’inaction des forces de paix russes lors des opérations militaires de l’armée azérie contre la population arménienne, voire parfois leur complicité, et d’autre part, sur la réticence de l’Occident à entreprendre des démarches concrètes visant à prévenir un nettoyage ethnique en Artsakh et l’annexion des terres de la République d’Arménie par l’Azerbaïdjan.

Difficile de ne pas être d’accord avec ce constat mais il serait opportun de comprendre la vision globale du conflit chez les hauts fonctionnaires des États impliqués dans les négociations entre les deux pays, notamment des pays de l’Union Européenne.

Dans son rapport publié le 12 juin dernier dans le média en ligne Civilnet, le politologue Tigran Grigoryan, directeur du Centre régional pour la démocratie et la sécurité, met en évidence les approches des milieux politiques européens par rapport au conflit arméno-azerbaïdjanais. L’auteur a fait partie d’un groupe d’experts arméniens qui s’est rendu à Bruxelles début juin avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert. Au cours de cette visite, des réunions ont eu lieu avec des experts dans diverses structures de l’Union européenne ainsi qu’avec des membres du Parlement européen.

Le politologue estime que l’UE n’est pas prête à assumer la responsabilité du règlement du conflit bien que les acteurs de haut niveau dans les structures de l’UE aient une compréhension des réalités et soient conscients de la gravité et de la complexité des problèmes existants. « C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il a été constamment souligné que l’UE n’est pas un médiateur, mais un facilitateur des négociations » pense t-il.

Quant à l’imposition des sanctions à l’encontre de Bakou, selon M. Grigoryan, la question n’existe pas, même au niveau des « discussions théoriques », l’approche des différentes structures de l’UE étant souvent trop pragmatique, même si, dans les conversations privées beaucoup parlent négativement de la politique de Bakou.

Sur un éventuel dialogue entre Bakou et les Arméniens d’Artsakh, le politologue affirme que plusieurs structures et fonctionnaires de l’UE se concentrent sur la question de la protection des droits des Arméniens du Haut-Karabagh, et sont convaincus que sans une  participation internationale active, il est inutile de parler de leur sécurité. Cependant ils admettent « qu’il est peu probable que Bakou accepte une ingérence internationale sérieuse dans les questions liées au Haut-Karabagh, et que l’UE ne dispose pas de leviers d’influence sérieux sur l’Azerbaïdjan. »

Par ailleurs, les hauts fonctionnaires n’ont pas été en mesure de donner une réponse claire à la question de savoir comment l’UE réagirait si l’Azerbaïdjan procédait à une escalade à grande échelle dans le Haut-Karabagh. « Seul l’un d’entre-eux a laissé entendre que dans l’éventualité d’un tel scénario, la mission de médiation de l’UE prendrait très probablement fin » fait remarquer M. Grigoryan.

Pour ce qui est de l’exportation éventuelle de gaz russe vers l’Europe via l’Azerbaïdjan, les avis des fonctionnaires de l’UE sont divisés. M. Grigoryan les résume comme suit: « cette affirmation n’est pas vraie », « même si une certaine quantité de gaz russe est exportée vers l’UE via l’infrastructure azerbaïdjanaise, sa part est faible. En ce sens, l’éventuelle exportation du gaz russe vers l’UE via la Turquie est plus inquiétante », « il n’y a pas de sanctions contre le gaz russe, même l’UE continue d’acheter du gaz russe. »

L’impression générale du politologue de cette visite à Bruxelles est que « l’Azerbaïdjan et la Géorgie sont plus visibles, mieux vus et entendus à Bruxelles que l’Arménie. […] L’Arménie, absente de nombreux projets importants de l’UE, est mentionnée principalement dans le contexte du conflit avec l’Azerbaïdjan et, dans une certaine mesure, dans celui de la promotion du processus de réforme ».

Les approches des fonctionnaires européens et autres sont naturellement conditionnées par les intérêts stratégiques des États qu’ils représentent. Cependant, il y a certainement lieu de mener un travail de communication et de lobbying soutenu, dont nos adversaires sont passés maîtres depuis des années. Des efforts de longue haleine seront nécessaires pour promouvoir auprès des décideurs européens des conceptions plus en phase avec les intérêts arméniens.

 

2023-07-07T23:10:07+02:00 07.07.23|ARMÉNIE & ARTSAKH, ÉDITORIAL|