par Maral SIMSAR
Le pire est arrivé… nous avons perdu l’Artsakh et son patrimoine culturel millénaire… Nous avons perdu une génération de jeunes hommes, sacrifiée pour la sauvegarde de cette terre arménienne. Ils ont rejoint leurs grands-pères qui avaient réussi, au prix de leur vie, à suspendre pendant trois décennies le nettoyage ethnique entamé par l’Azerbaïdjan dans les années 90.
Pendant les neuf mois de blocus imposé aux Artsakhiotes, les appels au secours lancés par les Arméniens sont tombés dans les oreilles de sourds. Les dirigeants des pays du monde entier se sont contentés d’exprimer leur inquiétude quant à la situation humanitaire et de demander à l’Azerbaïdjan de mettre fin au blocus, sans toutefois prendre des mesures concrètes dans ce sens.
« Le DFAE est également préoccupé par la situation humanitaire actuelle. (…) En tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la Suisse s’est exprimée lors de la réunion d’urgence du 16 août 2023. Elle a notamment rappelé que la Cour internationale de justice avait demandé à l’Azerbaïdjan de garantir un passage sans entrave le long du corridor. Elle a en outre déclaré que des mesures urgentes devaient être prises pour faciliter l’accès sûr, rapide et sans entrave des acteurs humanitaires – dont le CICR – à la population civile, conformément au droit international humanitaire. Le DFAE suit la situation de près et continuera d’exprimer sa position de manière appropriée aux niveaux bilatéral et multilatéral » écrivait le 1er septembre 2023 Mme Muriel Peneveyre, ambassadrice, responsable de la division Eurasie au sein du DFAE, en réponse à la lettre qu’Artzakank avait adressée au chef de son Département.
La complaisance de la communauté internationale envers l’Azerbaïdjan et sa réticence à imposer des sanctions pour les crimes que ce pays a commis envers la population d’Artsakh, la forçant finalement à l’exode, laissent entendre l’existence d’un consensus tacite au niveau international sur le nettoyage ethnique de ce territoire arménien, considéré comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Pire encore, une mission de l’ONU dépêchée sur place le 1er octobre 2023 (pour la première fois depuis plus de 30 ans), alors que l’Artsakh avait déjà été vidé de sa population, a même osé blanchir l’Azerbaïdjan de tout crime!
En effet, dans le rapport honteux de cette mission, qui était composée d’un Russe, d’un Pakistanais, d’un Albanais, d’un Turc et d’un Hongrois, l’Azerbaïdjan ayant interdit la participation de représentants des pays qu’il juge «hostiles», on lit notamment: « Dans les quartiers de la ville qu’elle a visités (Ndlr: Stepanakert), l’équipe n’a constaté aucun dommage aux infrastructures publiques civiles, y compris les hôpitaux, les écoles et les logements, ni aux infrastructures culturelles et religieuses. Cependant, aucun magasin ne semblait ouvert. (…) Nos collègues ont été frappés par la soudaineté avec laquelle la population locale a fui ses maisons et par la souffrance que cette expérience a dû lui causer. Ils n’ont eu connaissance d’aucun rapport – que ce soit de la part de la population locale ou d’autres personnes – faisant état de violences à l’encontre des civils à la suite du dernier cessez-le-feu. (…) »
Les images désolantes de l’exode forcé des Artsakhiotes nous rappellent les déportations de nos aïeuls dans l’Empire ottoman il y a plus d’un siècle. Et nous – descendants des rescapés du génocide de 1915 – constatons avec beaucoup d’amertume que notre combat et nos efforts pour la reconnaissance de ce fait historique n’ont pas servi à prévenir la mise en œuvre d’un nouvel épisode de la politique génocidaire du tandem turco-azéri avec la bénédiction de la Russie et sous le regard indifférent de l’Occident.
Le temps viendra pour entamer une réflexion ouverte et sans tabous autour des circonstances qui nous ont mené à ce désastre. Mais aujourd’hui, il nous faut assurer des conditions de vie dignes à plus de 100 000 personnes déplacées de force qui sont arrivées en Arménie. Si les déporté(e)s arménien(ne)s des années 1915-1918 étaient dirigés vers le désert syrien dans « des marches de la mort », les Artsakhiotes ont heureusement trouvé refuge en Arménie, où ils ont été reçus à bras ouverts. Les services de l’administration et la population entière se sont mobilisés pour venir en aide à leurs com-patriotes affamés, épuisés et traumatisés par les horreurs vécues durant les dernières opérations militaires et surtout lors du passage du point de contrôle azerbaïdjanais.
L’accueil de 100 000 réfugiés en quelques jours représente une prouesse d’organisation et de logistique pour n’importe quel État, et encore plus pour un petit pays comme l’Arménie dont les ressources sont très limitées. Néanmoins, il est encourageant de noter que la première étape a été franchie avec succès grâce aux efforts conjugués du gouvernement et de la population.
Il convient de souligner la présence de nombreux bénévoles dont beaucoup de jeunes et d’adolescents, qui ont effectué un travail remarquable dans les centres d’accueil, en commençant par la distribution de vivres et de produits d’hygiène, et en continuant par l’enregistrement et l’orientation des réfugiés vers des logements provisoires mis à leur disposition.
S’il y a une lueur d’espoir et un aspect positif dans cette tragédie, c’est cette manifestation des plus belles qualités humaines telles que la compassion, l’empathie et la volonté d’aider les autres. La photo ci-dessus des bénévoles de Goris en est un exemple, qui pourra inspirer les Arméniens du monde entier à soutenir les Artsakhiotes dans leur nouvelle vie.