par Tatul HAKOBYAN
Ndlr: Cet article a paru en 2017 en arménien sur le site du Centre de Recherches arméniennes ANI (aniarc.am). Nous publions aujourd’hui sa traduction en français compte tenu de sa pertinence et de son actualité.
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Ces derniers jours, j’ai lu deux livres, tous deux en russe, d’auteurs azerbaïdjanais. À ma demande, ces livres ont été apportés de Bakou à Tbilissi par un de mes collègues britanniques, Laurence Broers. Les deux livres parlent de l’Arménie. Oui, ne soyez pas surpris, les historiens, les chercheurs et les propagandistes de la république voisine exécutent docilement l’ordre politique qu’Ilham Aliyev a donné à l’Académie des sciences de l’Azerbaïdjan il y a des années, à savoir prouver par tous les moyens possibles que les Arméniens sont des immigrants non seulement au Haut-Karabakh, mais aussi dans la vallée de l’Ararat.
Dans les milieux scientifiques et pédagogiques à Erevan, il y a probablement des personnes qui se souviennent d’Israfil Mammadov. Il est l’un des derniers Azerbaïdjanais à avoir quitté l’Arménie. Jusqu’à la fin des années 1980, il était vice-ministre de l’Éducation de l’Arménie soviétique et en même temps rédacteur en chef du journal «Sovet Ermenistan» en langue azerbaïdjanaise. Aujourd’hui, beaucoup de gens, en particulier la nouvelle génération, ne savent probablement pas que les Azerbaïdjanais de l’Arménie soviétique de plus de 160000 personnes, qui constituaient la plus grande minorité nationale, possédaient des journaux locaux en langue azerbaïdjanaise dans plusieurs régions, en plus du quotidien républicain «Sovet Ermenistan».
Autrefois, Mammadov écrivait sur l’amitié entre les peuples arménien et azerbaïdjanais. Après s’être installé à Bakou, il écrit des articles et des livres sur les «souffrances que les Azerbaïdjanais ont subies en Arménie soviétique». Le livre que j’ai lu s’intitule: « Об истории, исконной земле и горкой судьбе азербайджанцев, изгнанных из нынешней Республики Армения » (À propos de l’histoire, des terres ancestrales et du sort amer des Azerbaïdjanais expulsés de l’actuelle République d’Arménie).
Le livre comprend des falsifications de bout en bout. Mammadov a écrit non seulement sur les Azerbaïdjanais de l’Arménie soviétique, mais a commencé son livre depuis les temps anciens et a qualifié les habitants d’Urartu comme des Turcs et des Azerbaïdjanais. Naturellement, la ville d’Erevan et la vallée de l’Ararat ont également été décrites comme azerbaïdjanaises, et la République d’Arménie actuelle comme l’Azerbaïdjan occidental. Il est à noter que Mammadov, qui connaît bien l’arménien, se réfère brillamment aux historiens et auteurs armé-niens dans son livre, et la première source azerbaïdjanaise à laquelle il fait référence est Ziya Bunyatov, le faussaire azerbaïdjanais le plus célèbre des années 1960-90. Il est certain que des livres de cette qualité ne peuvent être pris au sérieux. Cependant, d’un autre côté, après avoir terminé la lecture, je me suis demandé: Qui écrira la véritable histoire des Azerbaïdjanais de l’Arménie soviétique (en Azerbaïdjan, on les appelle Erazy, c’est-à-dire Azerbaïdjanais d’Erevan)? C’est un sujet très important. Si un chercheur étranger veut étudier l’histoire de la Transcaucasie, y compris celle des Azerbaïdjanais d’Arménie, il s’appuiera également sur les livres de propagande de Mammadov et d’autres auteurs. Quel est l’avis des historiens et spécialistes des études orientales en Arménie? N’est-il pas temps d’écrire un livre sur les Azerbaïdjanais de l’Arménie soviétique, sans falsification, ni propagande? Je pense qu’il est nécessaire d’écrire comment Miyasnikyan a fait revenir des dizaines de milliers de Tatars, c’est-à-dire des Azerbaïdjanais, en Arménie soviétique. Il faudrait écrire comment des dizaines de milliers d’Azerbaïdjanais ont été transportés de l’Arménie soviétique vers la plaine de Kura-Araks sur ordre de Staline, mais volontairement. Il est nécessaire d’écrire sur le départ des Azerbaïdjanais de l’Arménie soviétique en 1988-89. Lisez ce que les Azerbaïdjanais écrivent aujourd’hui. Au cours des 70 années d’existence de l’Arménie soviétique, les Azerbaïdjanais constituaient la plus grande minorité ethnique, occupaient des fonctions, possédaient une presse et publiaient des livres, qui sont très probablement conservés dans nos bibliothèques. Et en fin de compte, si les chercheurs, les historiens et les spécialistes des études orientales en Arménie passent à côté de cette période, qui d’ailleurs fait partie de notre histoire, les Azerbaïdjanais combleront ce lacune par leurs ouvrages pleins de falsifications et de haine contre les Arméniens.
Le deuxième livre que j’ai lu est signé Rafiq Safarov «Изменение этнического состава населения Иреванской губернии в XIX-XX веках» (Changements dans la composition ethnique de la population de la province d’Erevan aux XIXe et XXe siècles). Sur la couverture se trouve une image du vieil Erevan, que l’auteur considère comme une ville azerbaïdjanaise. Sur l’autre côté du livre on voit le célèbre mausolée turkmène non loin d’Erevan, que l’auteur considère à nouveau comme azerbaïdjanais. Tout au long du livre, l’ethnographe Safarov tente de convaincre le lecteur que la province d’Erevan, qui au XVIIe siècle s’appelait beylerbeylik de Chukhur-Saad, est un territoire azerbaïdjanais à l’origine. En fait, avec le traité de Qasr-i-Chirin (Zuhab) de 1639, l’Arménie, qui avait perdu son statut d’État en 1045, fut divisée pour la deuxième fois entre l’Empire ottoman et l’Iran safavide. Les Ghadjars divisèrent les terres arméniennes sous leur contrôle – l’Arménie orientale – en deux unités administratives: les beyler-beyliks de Chukhur Said (Erevan et Nakhitchevan) et du Karabakh (Grand et Petit Syunik, Gandzak-Ganja). Les deux beylerbeyliks étaient dirigés par les khans de la dynastie Ghadjar, qui siégeaient à Tabriz.Dans son livre, Safarov a utilisé de nombreuses sources, notamment arméniennes. Contrairement à Israfil Mammadov, l’ouvrage de Rafiq Safarov peut paraître beaucoup plus sérieux et crédible aux chercheurs étrangers, notamment débutants. En fait, en écrivant ce livre, l’objectif de Safarov n’était pas de raconter la véritable histoire, mais de prouver que la province d’Erevan est une terre ancestrale de l’Azerbaïdjan, aujourd’hui vidée de sa population «indigène». Je ne pense pas que les historiens et spécialistes des études orientales en Arménie devraient s’opposer aux faussaires azerbaïdjanais en écrivant des livres de propagande à caractère non historique, non scientifique et non académique, comme c’est le cas en Azerbaïdjan. Écrire de tels livres est beaucoup plus facile et prend moins de temps. Enfin, il faut comprendre que de tels livres ne peuvent avoir de valeur historique et être pris au sérieux. Cependant, il est impératif de disposer d’ouvrages historiographiques sérieux en langues étrangères sur les Azerbaïdjanais de l’Arménie soviétique, ainsi que sur les éléments mongoles-tatares, turques, turkmènes, perses et kurdes, qui pendant des siècles après la chute des Bagratides, ont ravagé et se sont installés à la fois en Arménie historique et sur les territoires arméniens, aujourd’hui appelés République d’Arménie.
[…] QUI ÉCRIRA LA VÉRITABLE HISTOIRE DES AZERBAÏDJANAIS EN ARMÉNIE? […]