Le 7 mars 2024, nous étions conviés par la Fondation Topalian au Centre arménien de Troinex pour une rencontre et un temps d’échange avec M. Zareh Sinanyan, Haut-commissaire aux Affaires de la Diaspora de la République d’Arménie. Cette rencontre, modérée par M. Alain Navarra-Navassartian, sociologue et historien de l’art, et une autre organisée à Zurich le 8 mars 2024, ont eu lieu dans le cadre d’une visite de travail du Haut-commissaire en Suisse en compagnie de Mme Amalya Karapetyan, son attachée de presse.
Dans l’introduction de son intervention, qui a suivi les mots de bienvenu prononcés par M. Vahé Gabrache, M. Daniel Papazian et Mme Astrig Marandjian, et un intermède musical par les soprani Arminé et Kariné Mkrtchyan, M. Sinanyan a présenté les quatre axes d’activité de son bureau: promotion du rapatriement et intégration des rapatriés; développement de la coopération entre l’Arménie et la diaspora; réalisation d’études et de recherches sur les communautés diasporiques et fourniture de soutien nécessaire; élaboration d’un agenda commun Arménie-diaspora, et intégration du potentiel de la diaspora dans le processus de développement de l’Arménie.
Dans sa présentation Power Point, le Haut-commissaire a fait un exposé des programmes phares de son bureau pour les Arméniens de la diaspora en commençant par le Centre de rapatriement et d’intégration inauguré à Erevan le 27 juillet 2023. Ce centre, crée en collaboration avec la Fondation Hrair et Anna Hovnanian, fonctionne comme un centre de ressources unique pour les rapatriés. Il fournit une assistance pour les démarches administratives, les soins de santé, la recherche d’emploi, le transport des effets personnels vers l’Arménie, etc. Le Centre propose également des cours gratuits de langue arménienne et d’intégration.
IGorts, lancé en 2019, invite les professionnels de la diaspora à travailler dans l’administration publique de l’Arménie pour une période d’un an. En quatre ans, 200 Arméniens de la diaspora ont été engagés dans 26 différents services de l’administration. 70% de ces personnes se sont installées en Arménie après la fin de leur contrat et 20% ont continué de travailler dans le secteur public. En 2023, en collaboration avec la fondation Hovnanian, le programme a été étendu à la province de Shirak. Ainsi, 5 spécialistes de la diaspora ont travaillé dans l’administration régionale et à la municipalité de Gyumri. En 2022, le programme a été inscrit au Recueil des bonnes pratiques de l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations de l’ONU) pour la promotion du rapatriement.
« Le premier gouvernement de la République d’Arménie après son indépendance de 1991, comptait 3 ministres et plusieurs hauts fonctionnaires issus de la diaspora. En 2018, il n’y en avait aucun aux postes de cadre dans la fonction publique » a fait remarquer M. Sinanian. « Notre but est de rouvrir l’administration aux Arméniens de la diaspora et de faire profiter l’État arménien de leurs compétences et capacités professionnelles. Nous visons par ce programme également à introduire de nouvelles mentalités et un pluralisme d’idées en Arménie, ».
Un nouveau programme de volontariat professionnel, Diaspro, lancé en janvier 2024, permet aux spécialistes de la diaspora d’apporter leur potentiel de conseil et d’expertise en ligne ou hors ligne au développement du travail des organes de l’État et des collectivités locales dans cinq domaines: santé publique, affaires sociales, droits humains, économie, tourisme.
Le programme d’été éducatif « Pas vers la maison« , créé par l’ex-ministère de la diaspora, donne aux adolescents âgés de 13 à 18 ans l’opportunité de passer deux semaines en Arménie. Chaque année 600 jeunes découvrent ainsi leur patrie et renforcent leur identité arménienne. Vu la popularité de ce programme – en 2023, 1200 demandes ont été reçues – le bureau du Haut-commissaire a décidé d’élargir ce programme à 800 participants pour l’été 2024.
« Jeune ambassadeur de la diaspora« est un programme d’un an destiné aux jeunes de 22 à 35 ans qui participent à un cours de deux semaines en Arménie, le reste du temps étant consacré au travail dans leurs communautés respectives. Ce programme donne aux jeunes l’opportunité d’élargir leur compréhension de la réalité arménienne et vise à soutenir leur implication dans la vie communautaire et à accroître l’efficacité de leurs activités tout en contribuant à la formation et au développement de la coopération entre les différentes communautés de la diaspora.
Par ailleurs, M. Sinanyan a évoqué des projets en cours comme la constitution d’une base de données sur le potentiel de la diaspora et la nomination de commissaires aux affaires de la diaspora pour différentes communautés, ainsi que l’émission des obligations (Diaspora Bonds) sur le modèle de Israel Bonds qui est encore en phase d’étude. Il a également annoncé la tenue du 21 au 24 septembre prochain du deuxième Sommet mondial arménien deux ans après le premier dans un format innovant.
Après cette présentation, le Haut-commissaire a répondu aux questions du public sur des sujets divers tels que la nomination des commissaires de la diaspora, les changements dans les livres d’histoire, les relations tendues entre l’Église apostolique arménienne et les autorités, les sentiments d’incompréhension dans la diaspora par rapport à la défaite de l’Arménie dans la guerre de 44 jours et aux développements qui l’ont suivi, ainsi qu’au fait que les symboles qui ont rassemblé les Arméniens depuis l’indépendance soient mis de côté, la possibilité d’avoir des représentants de la diaspora dans le Parlement arménien, etc.
Certaines interventions du public ont fait allusion à des conflits existant au sein de notre communauté, ce qui n’était pas du ressort du Haut-commissaire aux affaires de la diaspora. Quelques commentaires du public ont laissé apparaître un manque de connaissance sur le sujet de la part des personnes qui les ont exprimés.
Dans ses réponses aux critiques contre le gouvernement arménien, M. Sinanyan a jeté la responsabilité sur l’ancien régime. Même si l’on pourrait lui donner raison pour une grande partie de ses arguments, on s’attendait à ce qu’il joue un rôle de rassembleur en essayant de combler le fossé qui existe entre le gouvernement arménien et une partie de la diaspora. Comme il a souligné à juste titre à la fin de la soirée: «Actuellement, le gouvernement arménien est confronté à un défi existentiel. Nos voisins veulent nous détruire. Ils essayent tous de se débarrasser de nous par différents moyens et nous devons y faire face tous ensemble», il est d’autant plus important de mettre fin à ce climat malsain dans les relations entre l’Arménie et des tranches de la diaspora.
Il est évident que ce travail doit se faire dans les deux sens. «Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réunions de préparation dans la communauté?» s’est demandé Alain Navarra-Navassartian dans sa conclusion. «Je suis extrêmement étonné que nous ne soyons pas capables de créer une réflexion collective. (…) Ce n’est pas le problème de l’État arménien, c’est notre problème».
En effet, il n’y avait eu aucune préparation – la rencontre ayant été fixée sans consulter les associations et membres actifs de la communauté – ce qui aurait pu contribuer à engager un débat de fond constructif au cours duquel des questions pertinentes bien formulées et exprimées seraient posées.
M.S.
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Malgré le temps limité dont disposait M. Sinanyan lors de cette visite à Genève, Artzakank a réussi à s’entretenir brièvement avec lui après l’inauguration du stand arménien au Salon du Livre le 6 mars 2024.
Artzakank: Monsieur Sinanyan, quels sont les moyens que vous mettez en œuvre pour encourager le rapatriement? Quels sont les problèmes rencontrés par les rapatriés? Combien de personnes se sont-elles adressées au Bureau du Haut-commissaire aux affaires de la diaspora à ce jour? Quels sont les pays de provenance des rapatriés?
Zareh Sinanyan: Nous ne mettons pas en œuvre des moyens pour encourager le rapatriement mais le développement économique, la libéralisation de la société ainsi que les différentes réformes entamées ces dernières années dans les secteurs de la santé, de l’emploi, de l’éducation etc. offrent davantage d’opportunités aux Arméniens de vivre et de créer dans leur patrie. Le nombre d’Arméniens désireux de s’installer en Arménie est très élevé mais le plus grand obstacle est le défi sécuritaire auquel notre pays fait face en ce moment.
De 2019 à 2023, notre bureau a traité 20 000 demandes liées au rapatriement en provenance de 15 pays, principalement de la Russie et du Moyen-Orient. Le but de notre Centre d’intégration est d’accompagner les nouveaux arrivants dans leurs démarches en vue d’obtenir des titres de séjour, de trouver du travail, de scolariser leurs enfants, etc. Nous leur offrons des cours de langue et des formations pour parfaire leurs connaissances ou changer d’orientation professionnelle.
A. Quels sont les domaines dans lesquels les hommes d’affaires de la diaspora investissent? Quels sont les problèmes qu’ils rencontrent en Arménie? Quel rôle joue le Bureau du Haut-commissaire aux affaires de la diaspora dans la promotion des investissements?
Z.S.: Les investissements de la diaspora se font dans les domaines à forte perspective de croissance tels que le tourisme, l’hôtellerie et l’accueil, les services et la haute technologie qui a une part importante dans l’économie de l’Arménie. Les autres secteurs porteurs sont l’agriculture, avec l’introduction de nouvelles cultures et smart farming, et l’énergie, notamment l’énergie solaire et verte.
La plupart du temps, ce sont les hommes d’affaires qui s’adressent à nous et nous leur présentons le milieu des affaires et les différentes directions de développement. Beaucoup d’Arméniens préfèrent investir et réaliser des bénéfices dans leur patrie mais il est important d’assurer les conditions nécessaires.
Le problème principal que les hommes d’affaires rencontrent est la bureaucratie qui n’est pas propre à l’Arménie. Dans tous les pays, le monde des affaires est confronté à des obstacles étatiques. N’oublions pas que l’Arménie est une république ex-soviétique avec une tradition de corruption. Actuellement il n’existe pas de corruption systémique et nous aidons les investisseurs à surmonter les obstacles bureaucratiques.
A. La devise du Bureau du Haut-commissaire aux affaires de la diaspora est: « Arménie puissante – Diaspora puissante » et l’un des moyens pour y parvenir indiqués sur le site de votre Bureau est la promotion de la formation dans la diaspora d’une identité centrée sur l’État. Comment pensez-vous atteindre ce but?
Z.S. Nous avons un sérieux problème dans la diaspora qui existe également dans une moindre mesure en Arménie dont les habitants bénéficient des services fournis par l’État. Nos compatriotes de la diaspora n’ont pas une perception approfondie de l’État du fait qu’ils n’y vivent pas. L’État a besoin de soins, assurés principalement par les habitants de l’Arménie. Pendant 1000 ans – sans compter la période du Royaume de Cilicie – notre peuple était privé d’État ce qui explique la faible perception qu’il a de l’État. Nos compatriotes de la diaspora pensent qu’il est possible de maintenir l’État en l’aimant depuis l’étranger. Il est important de comprendre que l’existence d’un État implique des sacrifices. Sacrifice ne signifie pas forcément de mourir pour la patrie – quoiqu’il en faut si nécessaire – mais de développer l’économie, de payer des impôts, de défendre les frontières, de dépenser de l’argent afin que l’État puisse subvenir aux besoins de ses habitants et assurer sa pérennité. L’idée semble très logique et compréhensible mais ce n’est pas le cas. La diaspora ne perçoit pas l’Arménie comme un État mais comme un lieu où vivent les Arméniens. L’Arménie est beaucoup plus que cela. L’Arménie est le seul endroit au monde où non seulement vivent des Arméniens mais ils y vivent comme ils veulent, dans un esprit arménien, et ont la chance de pouvoir continuer d’y vivre à l’avenir en gardant leur identité. C’est ce que nous devons comprendre et faire comprendre à nos compatriotes de la diaspora.
(Propos recueillis par Maral Simsar)
(Photos de la page Facebook de Diaspora High Commissioner’s Office)