par Garabed YELEGEN
Les 25, 26 et 27 avril 2024, au Théâtre de Saint Gervais, György Karsai et Philippe Macasdar nous ont lu des passages du livre de Franz Werfel «Les 40 jours du Musa Dagh». Le dernier jour, M. Jean Cordelle, co-président d’honneur de l’association France-Musa Dagh à Alfortville, a donné une conférence intitulée «Histoire de l’épopée du Musa Dagh / Ras El Mina, des Arméniens et des Marins». Il est venu de Paris pour cette conférence.
Dans son livre, Franz Werfel a romancé la résistance des Arméniens, vivant paisiblement dans six villages du Musa Dagh, près d’Alexandrette (actuel Iskenderun en Turquie), contre l’armée turque en 1915.
C’est György Karsai qui a incité Philippe Macasdar à présenter le livre. M. Karsai avait bien senti l’importance d’un tel livre pour lui aussi. Philologue classique, auteur d’une quinzaine de livres, ancien professeur de l’Université ELTE Budapest et fils d’un rabbin, M. Karsai nous a rappelé que la résistance des Arméniens du Musa Dagh était un exemple pour le peuple juif dans les camps de concentration nazi. Le livre avait été interdit et brulé par le régime hitlérien. Il avait été également interdit en Turquie.
Philippe Macasdar, descendant d’une famille arménienne de Turquie, est comédien et metteur en scène. Il a passé toute sa carrière dans le domaine artistique: pièces de théâtre, Comédie de Genève, directeur du Théâtre de Saint Gervais pendant 23 ans.
MM. Karsai et Macasdar nous ont lu passionnément pendant trois heures des passages du livre de Franz Werfel. Nous avons vécu avec eux la vie quotidienne des Arméniens du Musa Dagh. Comment les villageois, plus de 5000 âmes, ont organisé la résistance face à l’armée ottomane en 1915 qui était venue les massacrer comme elle avait fait dans toute la Turquie quelques mois auparavant. MM. Karsai et Macasdar nous ont transmis la volonté et le sens d’organisation de résistance de quelques centaines de «fédaïs» face aux milliers de soldats turcs lourdement armés. Quelques dizaines de volontaires ont même contre-attaqué une nuit, en tuant plusieurs soldats et en capturant quelques-uns. Nous avons appris comment les femmes ont organisé les repas pour ces 5000 personnes. Le prêtre officiait la messe sainte les dimanches pour que la vie continue.
M.M. Karsai et Macasdar nous ont fait vivre ces 40 jours de résistance selon Franz Werfel mais 53 selon certains témoins. Nous avons même découvert la vie sentimentale des héros, la contribution à la résistance des gamins de 14 ans.
N’ayant plus de munition, les Arméniens ont demandé l’aide des Français.
Nous avons écouté avec émotion des passages sur l’évacuation des Arméniens par les navires français. Le calme des combattants, leur sang-froid étaient impressionnants. Leurs leaders sont restés à terre jusqu’à la montée à bord du dernier Arménien.
Le dernier jour (27.04.2024), après la lecture du livre, les jeunes de l’UAS (Union Arménien de Suisse) ont organisé une réception avec des délicieux repas chauds et froids.
A la fin, M. Jean Cordelle nous a transmis avec enthousiasme et passion, la résistance des Arméniens. Son grand père, le Capitaine Jean Le Mée, jeune officier de la marine française à l’époque, avait participé à l’évacuation de la population du Musa Dagh. Dans un cahier de bord il avait noté minute par minute le déroulement de l’évacuation. En 2015, M. Jean Cordelle a découvert par hasard ce cahier quand il faisait une recherche généalogique sur sa famille. Depuis, M. Cordelle donne des conférences en France en se basant sur les documents et les photos de son grand père. Il est devenu un ami des Arméniens.
Dans une de ses conférences, il a rencontré M. Aram Kartun, qui lui a informé être le fils d’un des jeunes Arméniens qui ont participé à cette résistance et ont été sauvés par le grand père de M. Cordelle. Depuis, MM. Cordelle et Kartun sont devenus co-présidents d’honneur de l’association France-Musa Dagh.
M. Aram Kartun est venu de Nice pour participer à la conférence. Il a pris la parole et nous a raconté quelques témoignages de son père sur la bataille et la fraternité que les Arméniens du Musa Dagh ont tissée avec les marins français.
Après la première guerre mondiale, le Sandjak d’Alexandrette avait été intégrée au protectorat français du Levant. Les Arméniens de six villages ont pu retourner à leurs maisons.
Selon M. Cordelle, en 1939, la France a honteusement cédé cette région à Mustafa Kemal Atatürk en espérant d’avoir sa neutralité. Pourtant, la région était majoritairement habitée par des Arabes. Il y avait aussi des Arméniens et des Grecs orthodoxes. Les Turcs étaient donc minoritaires. Suite à cette situation, les Arméniens de cinq villages ont de nouveau quitté leurs maisons, leurs terres à la recherche d’un lieu plus sûr et suivirent la France pour s’installer au Liban à Anjar. Par contre, les villageois de Vakıfköy n’ont pas voulu quitter leur terre. Le père d’Aram, Der Ghévont Kartunyan, était devenu le curé du village et y est resté avec ses fidèles. Aram est né à Vakıfköy.
Aujourd’hui, les habitants du dernier village arménien de Turquie (Vakıfköy), essayent de survivre dans des conditions difficiles, surtout après le séisme de 2023 qui a dévasté toute la région y compris les maisons de Vakıfköy. Une centaine d’Arméniens d’un certain âge y vivent encore selon M. Aram Kartun.
A noter aussi que la Fondation Armenia a participé au financement de ces trois jours de spectacle. La direction du Théâtre de Saint Gervais a attribué la recette des trois jours à l’UAS pour participer à un projet humanitaire en Arménie.