(Crédit: Primeminister.am)

Maral SIMSAR

Le 8 août 2025, à la Maison-Blanche, sous l’égide de Donald Trump, le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev ont signé une déclaration commune1 en faveur du renforcement de la paix entre les deux pays. Cette déclaration, prévoit entre autres la création d’une zone de transit passant par le sud de l’Arménie et reliant l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan. Elle sera nommée «Voie Trump pour la paix et la prospérité internationale» (TRIPP, son acronyme en anglais) et les États-Unis y disposeront de droits de développement.

Le 11 août 2025, Erevan et Bakou ont rendu public simultanément le texte officiel de l’accord paraphé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur l’établissement de la paix et des relations entre la République d’Arménie et la République d’Azerbaïdjan2 qui «entrera en vigueur après l’échange de documents notifiant l’achèvement des procédures internes conformément à la législation nationale des Parties».

Saluée par un grand nombre de pays et qualifiée d’historique par Donald Trump, cette déclaration divise toutefois les Arméniens à travers le monde. Selon M. Pachinian «la paix est établie, (…) elle rend fiable et durable notre État, notre indépendance et notre souveraineté, et rend réaliste notre prospérité et notre bonheur». Pour ses opposants, l’accord comprend des concessions dangereuses de la part de l’Arménie envers l’Azerbaïdjan. D’autre part, l’ouverture de la voie TRIPP porterait atteinte à la souveraineté de l’Arménie sur le Syunik et conduirait à la création d’un corridor extraterritorial souhaité par Bakou. 

Il est très difficile d’apprécier globalement les documents signés à Washington en se basant sur les textes et les avis des analystes avec pour toile de fond la campagne électorale en cours en Arménie pour les législatives de juin 2026. En effet, cet accord, qui, rappelons, n’est pas un traité de paix mais seulement un engagement à en signer un, influencera sans doute les résultats du scrutin. Cependant, en faisant abstraction des discours simplistes et polarisés où tout serait noir ou blanc, un nombre de constatations peuvent en être tirées même si beaucoup de questions et de modalités restent non résolues.

L’accord constitue un tournant stratégique dans le processus des négociations arméno-azerbaïdja-naises avec l’implication des États-Unis et y ajoute une certaine prévisibilité en diminuant les risques d’une nouvelle offensive militaire par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie à court et à moyen terme. Il repose sur «les principes d’inviolabilité des frontières internationales et l’inadmissibilité du recours à la force dans le but d’acquérir des territoires» et se réfère entre autres à la Déclaration d’Almaty du 21 décembre 1991 pour l’établissement de relations interétatiques.

Par contre, l’accord ne fait aucune mention des prisonniers arméniens détenus et jugés en Azerbaïdjan et ne prévoit pas le retrait des troupes azerbaïdjanaises des portions du territoire souverain de l’Arménie notamment dans la région de Djermouk et le long de la frontière du Syunik, occupées depuis septembre 2023.

Aucune mention n’est faite non plus des droits des Arméniens d’Artsakh et du sort de leur patrimoine culturel. Pire encore, selon la Déclaration commune, les ministres des Affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan auraient signé une demande conjointe adressée à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) concernant la dissolution du Groupe de Minsk. Ce groupe avait été créé en 1992 avec pour mission de parvenir à un règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh. Notons que l’Azerbaïdjan continue d’exiger la modification de la Constitution de la République d’Arménie, qui selon lui, inclut des revendications territoriales sur le Haut-Karabagh, comme condition préalable pour la signature du traité de paix même si cela ne figure pas dans les documents signés à Washington le 8 août dernier. Ainsi, Aliev pense mettre fin définitivement à toute référence à la présence et aux droits des Arméniens au Haut-Karabagh.

Un autre point sensible est l’engagement des parties de retirer, dans un délai d’un mois après l’entrée en vigueur de l’accord, toutes les réclamations, plaintes et procédures introduites contre l’autre partie devant les instances juridiques et de s’abstenir d’en engager d’autres à l’avenir.

Mais la question qui fait l’objet des plus grandes spéculations est l’ouverture des voies de commu-nications entre les deux pays et en particulier de la voie TRIPP. Selon la déclaration commune, elle sera «fondée sur le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de la juridiction des États». Cependant les détails concernant le déblocage des connexions régionales et l’implication des États-Unis n’ont pas encore été publiés de sorte que de nombreuses questions restent sans réponse. Qui contrôlera effectivement le passage TRIPP? Quelles sont les garanties pour la souveraineté arménienne? Par ailleurs, on ne sait pas dans quelle mesure la réciprocité sera assurée. Si cette route reliant l’Azer-baïdjan au Nakhitchevan ne mène pas à l’ouverture de toutes les autres routes, le blocus imposé à l’Arménie depuis trois décennies risque de perdurer.

Il est évident que l’Arménie, en position de faiblesse, a été forcée de faire des concessions de taille. La question qui se pose actuellement est de savoir si elle réussira à sortir de son isolement et à faire partie des grands projets d’infrastructure régionaux, en dépit des risques existants et des défis liés à la conjoncture géopolitique particulièrement volatile. En effet, les enjeux économiques sont considérables et la réouverture des liaisons de transport permettront à l’Arménie de développer son économie, de rendre plus efficace la gouvernance publique et de bâtir une architecture sécuritaire novatrice et solide. Cela nécessitera un grand degré de professionnalisme et de compétence dans les efforts déployés à cet effet sur les plans interne et externe, tant politique, diplomatique ou militaire.

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1 Disponible en arménien et en anglais sur www.primeminister.am

2 Disponible en arménien et en anglais sur www.mfa.am