par Maral SIMSAR
-D’où venez-vous?
Une question banale pour deux Arméniens qui se rencontrent quelque part dans le monde. Mais mon interlocuteur ne se contente pas de ma réponse, il me demande encore le lieu d’origine de mes grands-parents … Il s’agit d’un Arménien de Dersim que je rencontre à l’Eglise Sourp Hagop de Troinex, où il est venu assister, ce 5 avril 2014, au baptême de ses amis, issus de la même région.
Nous connaissons certes le lieu d’origine de nos grands-parents ou arrière grands-parents et en parlons de temps en temps, mais ces villes et villages ne sont plus pour la plupart d’entre nous que des noms sur la carte de la Turquie actuelle. Dans notre mémoire collective de descendants de rescapés du génocide de 1915 dispersés dans le monde, figée sur la lutte acharnée pour la justice, ces contrés lointaines se sont estompées au fur et à mesure que les derniers survivants nous ont quittés. Ce n’est pas le cas pour ces Arméniens cachés de Dersim qui sont restés sur leur terre natale, au prix de maints sacrifices, y compris la perte des éléments fondamentaux de leur identité arménienne, mais en s’accrochant farouchement à la préservation de la mémoire de leurs racines arméniennes. Aujourd’hui, Elif et son fils Boran ont franchi le premier pas dans une longue voie de réappropriation d’une identité bafouée pour rejoindre Leïla, Meral, Aydar et Alen, membres de leur famille baptisés le 1er mars 2014 dans cette même église.
Il y a une quinzaine d’années, le monde arménien ignorait l’existence des Arméniens cachés. En effet, comment pouvaient-ils s’afficher en tant qu’Arméniens dans ces régions éloignées de la Turquie où, après l’extermination de leurs proches, le pillage et la destruction de leurs biens matériels et culturels, l’on a continué à faire disparaître systématiquement toute trace de la présence arménienne? Après des décennies de silence, grâce au courage de Hrant Dink, assassiné en 2007, et d’une poignée d’intellectuels turcs, le monde arménien a découvert avec stupéfaction l’existence des Arméniens cachés, islamisés ou non, notamment à travers des livres(*), articles de presse et reportages racontant l’histoire singulière et bouleversante de certains d’entre eux. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes revendiquent leur arménité et ce processus semble être bien démarré.
En revenant à la famille Kahraman, qui a toujours su qu’elle était arménienne, nous apprenons que certains de ses membres suivent des cours d’arménien donnés par le Père Goossan Aljanian, prêtre de l’Eglise Saint Hagop et Locum Tenens du Diocèse Arménien de Suisse. Contrairement à beaucoup d’Arméniens de la diaspora, qui n’ont jamais été contraints de cacher leurs origines, ces Dersimtsis semblent être conscients que notre langue est le socle de notre identité arménienne, tout comme ces autres Arméniens cachés, reconvertis au christianisme ou restés musulmans, qui suivent des cours d’arménien à Diyarbakir ou ailleurs en Turquie. Ce réflexe serait-il dû à la force de la terre ancestrale dont nous, les Arméniens de la diaspora, avons été privés et qui les a protégés contre l’assimilation forcée depuis bientôt un siècle?
Nous apprenons par le Père Goosan, lui-même originaire de Sassoun, que d’autres baptêmes sont prévus prochainement dans notre église. Nous souhaitons de tout cœur la bienvenue à ces nouveaux membres dans notre communauté. Pari Yegak!
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(*) Parmi ces livres citons entre autres Le livre de ma grand-mère de Fethiye Cetin, Les petits-enfants de Fethiye Cetin et Ayse Gül Altinay et Les restes de l’épée de Laurence Ritter et Max Sivazlian.
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