JAKOB KÜNZLER

Par Felix ZIEGLER

A Erevan en Arménie, sur le mur du mémorial du Génocide de Tsitsernakaberd, se trouve une plaque avec l’inscription «Jakob Künzler». A Beyrouth au Liban, devant la chapelle de l’Asile des Aveugles de Bourj Hammoud, se trouve un buste avec l’inscription «Jakob Künzler». Enfin, en Suisse, devant l’église évangélique de Walzenhausen dans le canton d’Appenzell il y a un petit monument avec la même inscription. Qui est donc Jakob Künzler dont la mémoire est honorée dans trois pays si lointains les uns des autres?

A Beyrouth (© Garo Aprahamian)

A Walzenhausen (© Père Shnork Tchekidjian)

Jeunesse

Jakob Künzler est né le 9 mars 1871 à Hundwil dans le canton d’Appenzell. C’était le deuxième des sept enfants d’un père maçon. À l’âge de six ans, Jakob, appelé Köbi, perdit son père et à 11 ans sa mère. Il fut alors élevé par son parrain qui était charpentier dans le même village. À l’âge de 16 ans, Köbi commença son apprentissage de charpentier chez son parrain qu’il acheva en 1891. Selon la tradition charpentière, il devait maintenant exercer ailleurs pour trois ans.

À Bâle

Köbi partit d’abord pour Bâle. Après quelques mois il dû être opéré d’une hernie à l’hôpital de Bâle. Il y fut soigné par des infirmiers qui étaient des diacres qui servaient Dieu en servant les malades. Ceci marqua fortement le jeune Köbi, qui avait reçu une éducation très religieuse. Il décida donc d’abandonner son travail de charpentier et de commencer une formation d’infirmier auprès de la Mission de Bâle. Il s’appelait désormais «frère Jakob» et se montrait très doué dans son travail pendant ses six années d’exercice à l’hôpital de Bâle. On lui confiait souvent l’assistance aux opérations, il se montrait très attentif et maîtrisait facilement toutes les procédures hospitalières.

Vers Urfa

Frère Jakob rêvait d’avoir une mission à travers laquelle il pourrait montrer en exemple l’amour du Chrétien pour le prochain. Cette possibilité s’offrit à lui au printemps 1899 lorsque le Dr Lepsius, fondateur de l’«Orient-Missionsgesellschaft» lui demanda s’il était prêt à rejoindre le Dr Christ, qui travaillait à Urfa, pour soigner les Arméniens. Frère Jakob accepta immédiatement et commença à apprendre le turc, l’anglais et l’équitation. Il manifesta une grande facilité à apprendre des langues. Plus tard il apprit et parla couramment l’arménien, le kurde, l’arabe et le français. Le 11 novembre 1899, frère Jakob était prêt et entreprit son voyage et arriva mi-décembre à Urfa.

Künzler à Urfa en 1900

Urfa

Le premier jour que frère Jakob passa à Urfa fut très symbolique du travail qu’il y effectuera les années suivantes. Dr Christ était absent. Frère Jakob, constatant l’état insalubre de la clinique et surtout de la salle d’opération, se mit à tout nettoyer, et cela malgré les dissuasions des employés qui estimaient qu’un tel travail était indigne d’un Européen.

Alors qu’il nettoyait, un patient arriva. Frère Jakob comprit qu’il s’agissait d’un cas d’appendicite aiguë nécessitant d’être opérée en urgence. Aucun médecin n’étant présent, frère Jakob n’hésita pas. Ayant maintes fois assisté à ce type d’opération, il en connaissait parfaitement tous les détails. Après une brève prière, il prit le bistouri et exécuta pour la première fois une appendicectomie par lui-même. L’opération fut réussie, et la vie du patient fut sauvée. C’est ainsi que frère Jakob entreprit son chemin vers le métier de médecin.

Le travail devint vite routinier. Dr Christ s’apercevant les talents de frère Jakob lui confia de plus en plus souvent des tâches de médecin. Lors des absences du Dr Christ, frère Jakob le remplaça.

Mariage avec Elisabeth Bender

Le 7 novembre 1905 le frère Jakob se mariait avec Elisabeth Bender, orpheline d’un missionnaire allemand et d’une éthiopienne dont il avait fait la connaissance à Alep lors de son voyage vers Urfa.

Elisabeth fut d’une grande aide pour son mari. Jakob lui-même écrivit plus tard que beaucoup de ses actions ne furent réalisables que grâce à la contribution de sa femme. Le couple eut cinq enfants. Les premières neuf années de leur vie commune se déroulaient dans une paisible routine à Urfa.

La première guerre mondiale

En mai 1914, le Dr Vischer, médecin ayant pris la relève du Dr Christ, partit passer des vacances en Europe. En août, lorsque la guerre éclata, il ne put plus retourner en Turquie. Jakob et Elisabeth Künzler avaient toute la mission d’Urfa à leur charge, y compris l’hôpital dans lequel Jakob remplissait le rôle de médecin avec une telle habilité et un si grand succès que les gens l’appelaient désormais Docteur Künzler. Cette situation dura jusqu’en 1919.

 Témoin du Génocide

A Urfa, Jakob Künzler devint un témoin neutre de la déportation des Arméniens. Il voyait arriver les dé-portés arméniens dans un état alarmant, décrits comme des «squelettes nus qui marchent», il devenait témoin de l’inhumaine cruauté dont ils étaient victimes, il entendait les récits des rescapés, il voyait les centaines de morts éparpillés sur les routes. Il n’avait aucun doute quant au fait que les événements se déroulant n’étaient rien d’autre que l’exécution d’un plan bien établi visant à anéantir le peuple arménien. Comme il l’écrivit dans son livre Au pays du sang et des larmes: «Cela ne fit aucun doute que tous les gens d’Urfa devaient périr dans le désert. … C’est pour cela qu’ils furent promenés de gauche à droite jusqu’à ce que personne ne reste à transporter.»

 Assistance aux victimes

Que pouvaient faire les Künzler? Elisabeth arriva avant tout à sauver quelques filles arméniennes qu’elle hébergea en cachette chez des amies turques qui coopéraient au risque de leur propre mort. Effectivement, toute aide aux Arméniens était sévèrement punie. Jakob put en soigner quelques-uns dans l’hôpital, mais une fois en dehors de l’hôpital ils étaient à nouveau condamnés à mourir!

Grâce à de l’argent qui lui parvenait secrètement et illégalement, il parvint à acheter du pain aux affamés et des habits aux dévêtus. Néanmoins, il se demanda souvent si cette aide ne faisait pas que prolonger les souffrances des victimes. «Tout le peuple arménien est sur le banc de l’abattoir», écrivit-il. «Heureux les hommes qu’on a tués tout de suite à l’arme blanche ou aux balles, mais quoi dire des femmes dont la déportation est un calvaire durant des semaines et des mois?». Il continua malgré tout de soigner dans l’espoir de voir quelques rescapés survivre.

À la fin de la guerre, en dressant un bilan, il constata qu’il avait dépensé la somme de 1,3 millions de pièces d’or et que 2700 Arméniens et Arméniennes avaient pu être sauvés en les hébergeant dans des maisons ou villages voisins, ou en les déguisant en Turcs.

Fin de la guerre

En 1919 les Anglais occupèrent Urfa. Il n’y avait plus de danger pour les Arméniens. De plus, l’ordre fut donné aux Turcs de libérer les femmes et enfants arméniens qu’ils avaient enlevés. Le Near East Relief (NER) créé par les Américains, proposa de prendre en charge tous les orphelins arméniens dont le nombre était estimé autour de 130’000!

Mais les Künzler étaient à bout de forces. Dr Vischer put enfin rentrer à Urfa et prendre la relève de Jakob et Elisabeth. La famille Künzler pouvait enfin partir se reposer en vacances après dix longues années de travail sans relâche.

Mais comment continuer le travail? La Deutsche Orient-Mission n’existait plus. Heureusement la Fédération Suisse Amis des Arméniens (FSAA) prit la relève et engagea les Künzler. Cependant Jakob voulait avoir la possibilité de continuer à exercer en tant que médecin. Il passa alors un examen de médecin à l’Université de Bâle qu’il réussit brillamment. Il pouvait alors officiellement exercer le métier de médecin. Au cours de ses vacances, il relata également son vécu en Orient dans son livre Au pays du sang et des larmes qui parut en 1921 en Allemagne.

Le dernières années à Urfa

De retour à Urfa en juillet 1920, Jakob Künzler reprit l’hôpital alors que le Dr Vischer l’avait quitté en mai. Mais beaucoup d’Arméniens revenus après la victoire des Anglais et des Français quittèrent à nouveau Urfa après que les dernières troupes françaises partirent de la ville, au printemps 1920. Bientôt, ils ne restèrent à Urfa que les orphelins et les Arméniens les plus démunis qui n’avaient pas les moyens de partir. Fin 1921, la FSAA informa les Künzler qu’elle ne pouvait plus assurer le financement des frais de l’hôpital. Au même moment, le NER prit la courageuse décision d’évacuer tous les orphelins arméniens vers la Syrie. On demanda à Jakob et Elisabeth Künzler d’organiser cette évacuation depuis les régions d’Urfa, de Mardin, de Diyarbakir, Kharpout, Egir et Arabkir. Ainsi commença ce que Jakob Künzler décrivit plus tard comme étant:

Le plus beau travail de sa vie

En premier lieu vint l’évacuation des orphelins d’Urfa dont le nombre avait atteint mille. Le gouvernement Turque à Ankara avait donné une permission de départ pour tous les orphelins arméniens. Il se débarrassait ainsi des Arméniens.

Jakob Künzler devait amener les orphelins à Djérablous, à la frontière syrienne. Là-bas, les enfants pourraient prendre le train en direction d’Alep. Djérablous se situant à 90 km d’Urfa, le chemin allait être très difficile pour les enfants qui selon les instructions du NER devraient le parcourir à pied. Le 31 mars 1922, un premier groupe de 130 orphelins quitta Urfa à pied accompagné de Jakob Künzler. Mais rien ne se déroula comme prévu. Il devenait vite évident que la plupart des enfants ne pouvait pas faire le voyage à pied. Contrairement aux instructions reçues Jakob Künzler essaya de louer des chariots. Il en trouva deux et y fit monter les enfants les plus faibles. Les chariots firent des allers-retours et après quatre jours le groupe arriva enfin à Djérablous.

Le transport des enfants aveugles et handicapés (Source: Musée du Génocide, Erevan)

Après cette première expérience, Jakob Künzler savait que seulement les enfants les plus forts pouvaient marcher d’Urfa à Djérablous. Les autres furent emmenés en camion, en chariot ou dans des grands paniers à dos de mule. Ces voyages continuèrent groupe par groupe durant tout l’été. Les orphelins des villes de Mardin, Diyarbakir, etc., étaient amenés d’abord à Urfa où ils reçurent les soins nécessaires avant de continuer leur trajet. En septembre 1922, l’évacuation était terminée. 8000 orphelins arméniens furent ainsi amenés en Syrie, où ils étaient en sécurité.

Ghazir

L’évacuation terminée, le NER confia aux Künzler l’orphelinat de Ghazir au Liban, où se trouvaient plus de 1400 orphelines arméniennes, la grande majorité de ces filles faisant partie de celles que Jakob Künzler avait précédemment transférées de la Turquie à Djérablous. Au cours de ces voyages, les enfants appelaient Elisabeth et Jakob Künzler mairig (maman) et hairig (papa), et ces noms leur restaient pour toute leur vie.

Les orphelines de Ghazir (Source: Aztag)

 

Perte du bras droit

En avril 1923, Jakob Künzler consulta l’Hôpital Américain de Beyrouth pour une infection à la main droite. Il demanda qu’on lui fasse quelques entraves dans la chair afin d’éviter une possible évolution de l’infection. On la lui refusa, mais on l’hospitalisa. Trois jours plus tard, alors qu’on fit enfin ces entraves, il était déjà trop tard. La seule façon de sauver la vie de Jakob était de lui faire une amputation totale du bras droit, ce qui fût fait. Il resta plus d’un mois à l’hôpital et apprit pendant ce temps à utiliser sa main gauche, principalement pour écrire.

Tissage de tapis

Le travail de chirurgien ne lui était plus possible depuis son amputation. Jakob consacra toutes ses forces aux orphelines. Elisabeth gérait les tâches quotidiennes, tandis que Jakob s’occupait des projets pour l’avenir de l’orphelinat. Selon lui, il était primordial que les filles reçoivent une formation assurant leur subsistance dans leur vie. Une des possibilités était l’apprentissage du tissage de tapis. Au départ, on n’acheta que quatre métiers de tissage, puis leur nombre grandit jusqu’à une centaine quand le succès de ce travail se montra. Au cours des années, presque mille filles travaillèrent au tissage et 400 parmi elles complétèrent leur formation de tisserande ce qui leur permit de gagner leur vie après leur départ de l’orphelinat.

Un des chefs-d’œuvre réalisé par les orphelines fut un tapis de 23 m2 qui comptait 4,5 millions de nœuds. Il reproduisait les motifs d’un ancien tapis persan. 18 mois avaient été consacrés à son tissage. Le NER en fit cadeau à la Maison Blanche à Washington en tant que signe de reconnaissance et de remerciement pour l’aide donnée aux Arméniens*.

En 1929 le président de la République du Liban décerna à Jakob Künzler la médaille «Pour le Mérite» pour avoir introduit l’industrie du textile au Liban.

Fin du travail du Near East Relief

Les activités du NER étaient limitées à dix ans. D’ici là, la plupart des orphelins auraient atteint l’âge d’adulte. Il restait cependant des orphelins encore trop jeunes et des handicapés, aveugles ou malades. La société du Dr Lepsius s’occupa des enfants trop jeunes et prit en charge l’orphelinat de Ghazir où l’on rassembla tous les enfants des orphelinats du NER. La FSAA était prête à prendre soin des handicapés qui étaient également transférés dans une des maisons de l’orphelinat de Ghazir. Le Suisse Theo Wieser était chargé de la direction de cette mission sous la supervision de Jakob Künzler. L’usine de tapis fut vendue à un Arménien et transférée à Beyrouth. Elle continua d’offrir du travail aux Arméniennes. Tous ces travaux occupèrent Jakob et Elisabeth Künzler jusqu’en été 1931 quand se termina leurs travaux pour le NER.

Intermède en Suisse

Les Künzler rentrèrent en Suisse où la FSAA les engagea pour continuer l’assistance aux Arméniens. Elisabeth devait rentrer à Beyrouth et rechercher quelle sorte d’assistance serait la plus urgente, tandis que Jakob devait écrire ce qu’il avait vu et vécu en Orient, un livre sous le titre «30 ans de service en Orient». En plus, Jakob tint de nombreuses conférences dans toute la Suisse afin de faire connaître les besoins des Arméniens. Au printemps 1932, il rejoignit sa femme à Beyrouth.

Assistance aux veuves

En l’absence de Jakob, Elisabeth avait créé une crèche pour les enfants des veuves arméniennes afin de permettre aux mamans de travailler et ainsi d’être financièrement indépendantes. La FSAA accepta de financer ces crèches, et cela permit qu’on y offrît le repas de midi.

Ces veuves vivaient souvent dans des conditions misérables. Il fallait leur procurer des locaux très simples mais hygiéniques. La FSAA organisa une collecte en Suisse destinée au financement de ce projet, et le Bureau International du Travail (BIT) offrit à Jakob un terrain libre dans la banlieue de Beyrouth. En utilisant ses connaissances de charpentier Jakob dessina le plan de ces maisons sur deux étages, chaque étage comprendrait trois petits appartements. Bientôt les financements leur parvinrent et plus d’une douzaine de maisons furent construites et nommées selon les villes d’où venait l’aide: «Bâle», «Zürich», mais aussi «Rothrist», «Kölliken» etc.

Il n’y avait plus de place sur le terrain et une partie de l’argent collecté fut investi dans l’achat de terrains à Bourj Hammoud, où s’étaient déjà installés beaucoup d’Arméniens. Au fur et à mesure que l’argent arrivait, Jakob Künzler faisait construire des maisons. Au total, il y eut 377 appartements en 7 groupes en différents endroits. Les maisons des terrains 3 et 4 sont d’un intérêt particulier.

Bourj Hammoud en 1932 (Source: Aztag)

Groupe 3, le futur Asile des Veuves et Vieillardes

Les maisons du groupe 3 se situaient à Bourj Hammoud, 14 maisons disposées en deux rangées. Contrairement aux autres maisons, celles-ci demeuraient la propriété de la FSAA et elles étaient destinées aux veuves les plus démunies. Elisabeth Künzler y concentrait une partie de son travail social. Une cuisine publique était établie qui servait également les résidentes des 14 maisons. Plus tard un mur fut érigé tout autour du complexe et, lentement, il se transforma en une institution, un asile de veuves et vieillardes. L’asile comprenait des chambres pour malades et un médecin y faisait des visites régulières.

Cette institution existe encore de nos jours. Elle est gérée par une coopération entre l’Église Évangélique et l’Église Apostolique. Après les destructions de la guerre civile de 1976, un centre pour personnes âgées en besoin de soins fut construit en 1982 à la place des 7 anciennes maisons les plus endommagées. Les 7 autres maisons furent rénovées et reliées à la nouvelle construction.

Groupe 4, le futur Asile des Aveugles

Les immeubles du groupe 4 demeuraient également la propriété de la FSAA. Dès leur construction, Jakob Künzler planifia une utilisation future, lorsque les veuves n’en auront plus besoin. Il fit bâtir six grands blocs comptant un total de 98 chambres. En 1946 l’Asile des Aveugles de Ghazir y fût transférée. L’asile comprenait aussi une école pour des enfants aveugles et des ateliers qui procurèrent du travail pas seulement aux habitants de l’asile mais aussi aux Arméniens aveugles de l’alentour. Ultérieurement une école des sourds fut ajoutée, et en 1970, une école pour enfants rencontrant des difficultés scolaires et un centre psychopédagogique. Aujourd’hui, on n’y trouve plus d’école pour aveugles, ni d’école pour sourds, le besoin n’en existant plus. Cependant, l’école pour enfants rencontrant des difficultés scolaires persiste. L’Asile des Aveugles et l’Asile des Veuves sont désormais sous direction commune connue sous le nom de CAHL (Centers for Armenian Handicapped in Lebanon).

Le CAHL aujourd’hui (Photo: Garo Aprahamian)

Combattre le paludisme (malaria)

Beaucoup d’Arméniens au Liban vivaient dans des régions à haut risque paludique. Jakob décida de combattre la malaria par le poisson Gambusia qui mange les larves des moustiques qui répandent la malaria. Un élevage de ces poissons existait à l’Université Américaine de Beyrouth. Jakob proposa au professeur responsable de l’élevage d’introduire ces poissons dans les eaux du Liban, ce qu’il fit tout de suite. De par le rapide cycle de reproduction de cette espèce de poissons, l’incidence du paludisme décrut vite et commençait à disparaître du Liban.

Le sanatorium d’Aazouniéh

Jakob Künzler était membre du comité qui géra le sanatorium arménien à Maameltein, dans une région qui n’était pas du tout adaptée à la rémission des malades. Les visites qu’il faisait aux malades lui confirmait qu’effectivement «ce n’était pas un sanatorium, mais la dernière station pour les malades». Jakob proposa donc de construire un sanatorium dans les montagnes où l’air était frais et salubre. Il était convaincu que la responsabilité de cette construction incombait aux Arméniens vu qu’il y avait suffisamment d’Arméniens aisés dans le monde qui pourraient facilement financer une telle œuvre. Pour contacter personnellement les Arméniens aux États-Unis il s’y rendit en 1935. La Near East Foundation, qui avait pris la relève du NER, l’aida à organiser ce voyage. À l’arrivée à New York, les gardes-frontières l’interrogèrent sur le but de son voyage, il répondit honnêtement qu’il venait collecter de l’argent. Immédiatement il fut étiqueté «mendiant professionnel», et envoyé en prison à Ellis Island d’où il serait renvoyé au Liban. Néanmoins, le directeur de la Near East Foundation obtint sa libération et sa permission de séjourner quatre mois aux États-Unis. Hélas, les États-Unis étaient en pleine crise économique, et Jakob n’atteint pas son objectif de 50’000 $. Il repartit pour le Liban avec 8000 $ seulement. Mais lors de son absence, des dons importants parvinrent au sanatorium. Un terrain fut acheté à Aazouniéh à 1300 m d’altitude, et en 1938 le sanatorium fut inauguré. Jakob déclara plus tard que la construction de ce sanatorium représentait la seconde plus grande joie de sa vie, après l’évacuation des 8000 orphelins d’Urfa.

Le sanatorium d’Aazouniéh aujourd’hui

Les dernières années

La santé de Jakob Künzler se détériorait. Son ouïe se dégradait, il perdit la vue de son œil gauche mais il resta au Liban, l’Orient étant devenu sa deuxième patrie. En 1947, la Faculté de Médecine de l’Université de Bâle lui décerna le titre de Dr.med.h.c. pour l’œuvre de sa vie.

Le 15 janvier 1949, Jakob Künzler s’éteignit au Liban. Il fût enterré dans le cimetière évangélique de Beyrouth, et plus tard son corps fut transféré au caveau de la famille Alamouddine à Chemlane.

La famille Künzler avec Rosa Alahaydoian (première de gauche)
qui était une orpheline arménienne adoptée par les Künzler
(Source: Musée du Génocide, Erevan)

Remarques personnelles de l’auteur

Felix Ziegler

Je n’eus pas le privilège de connaître Jakob Künzler personnellement. Mais en tant que directeur du CAHL (1968-1982), j’entendis tant parler de lui. Ses histoires m’ont été relatées notamment par les aveugles, dont la plupart faisaient partie des orphelins que Jakob avait évacués de la Turquie, et également par deux de ses filles que j’ai rencontrées: Marie Künzler et Ida Alamouddine.

Certains aspects de la personnalité de Jakob m’ont beaucoup impressionné.

Tout d’abord j’admire son courage, provenant de sa foi. Sa confiance lui permettait d’affronter les dangers et les difficultés de la vie avec bravoure.

Je note aussi sa flexibilité dans l’exercice de ses activités. Il essayait toujours d’adapter ce qu’il faisait aux besoins changeants de son public, il ne s’enfermait pas dans une morne routine.

On ne peut évidemment pas parler de Jakob Künzler sans mentionner son amour pour son prochain. Il aidait les Arméniens, mais jamais il ne condamna ou n’accusa un peuple: ni les Turcs, ni les Kurdes ou les Arabes, ni même les Allemands ayant aidé les Turcs. Il condamnait plutôt la politique des gouvernements et disait que chaque peuple trouvait des exécutants pour des décisions sinistres (s’il en fallait encore la preuve, le régime nazi en Allemagne la livra).

Enfin, je terminerai par mentionner sa grande confiance en l’esprit d’initiative et la force des Arméniens. Après le Génocide ce peuple avait besoin d’assistance, mais Jakob Künzler prédit que le peuple arménien allait se relever et serait bientôt en mesure de renoncer à l’aide des étrangers. La construction du sanatorium financée par des Arméniens était le premier pas de Jakob Künzler sur ce chemin. Aujourd’hui les œuvres initiées par Jakob Künzler persistent et sont toutes gérées par des organisations Arméniennes.

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(*) Ce tapis, plus connu sous le nom du « tapis des orphelins arméniens » a été exposé du 18 au 23 novembre 2014 à la Maison Blanche à Washington.

2018-03-24T21:11:11+01:00 24.03.15|NO SPÉCIAL 2015|

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