BONNE ANNÉE 2021! DÉFIS EXISTENTIELS POUR LES ARMÉNIENS

Le 10 novembre 2020, le monde s’est écroulé pour les Arméniens. Ce jour noir marquera l’histoire de notre peuple et restera gravé dans notre mémoire collective pendant plusieurs générations. Le choc et le traumatisme ont été tellement violents qu’il est encore difficile de dresser un bilan global et détaillé des conséquences catastrophiques de l’accord de cessez-le-feu qui a mis fin à la guerre de 44 jours.

Aujourd’hui, l’Artsakh est amputé d’une partie importante de son territoire, comprenant Chouchi et la région de Hadrut ainsi que les sept districts autour de l’ancienne Région autonome du Haut-Karabagh. L’étroit corridor de Latchin/Berdzor, désormais contrôlé par les troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie, reste l’unique route reliant l’Arménie à l’Artsakh, redevenu une enclave. Dans le cadre de la délimitation des frontières en cours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, des terres appartenant à certains villages en Arménie notamment dans les provinces de Syounik et de Vayots Dzor sont cédées à l’Azerbaïdjan de façon à perturber la vie économique dans les zones concernées et à compromettre la sécurité des habitants et des utilisateurs de la route stratégique Goris-Kapan. En l’absence de communication claire de la part du gouvernement sur l’interprétation et les aspects pratiques de certains termes de l’accord, toutes sortes de rumeurs et de manipulations se propagent dans la population. Une grande incertitude règne au sujet des couloirs de communication entre la République autonome du Nakhitchevan et les régions occidentales de l’Azerbaïdjan. Par ailleurs, des menaces pèsent sur le riche patrimoine culturel arménien dans les zones passées sous le contrôle azerbaïdjanais. Des images de profanation et de destruction des monuments et des églises par des soldats azéris circulent déjà sur Internet, alors que certains sites importants comme Dadivank, joyau de l’Église arménienne, sont présentés par des responsables azéris comme appartenant à la civilisation albano-caucasienne. D’autre part, l’UNESCO attend toujours l’autorisation des autorités azerbaïdjanaises pour l’envoi d’une mission indépendante sur le terrain dans le but de constater l’état de ces monuments.

Plus grave encore, le 10 décembre 2020, lors d’un défilé militaire à Bakou pour marquer la victoire de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, le président Aliev a déclaré qu’Erevan, Sevan et Zangezur étaient des territoires azerbaïdjanais. Pour sa part, le président turc Erdogan, venu épauler son homologue, a clamé que la « lutte » de son allié contre l’Arménie devait se poursuivre. Il a rappelé que ce jour était « le jour de glorification des âmes d’Ahmed Jevad Bey, Nuri Pacha, Enver Pacha, membres de l’armée islamique du Caucase », soit des Jeunes Turcs, qui avaient organisé et commis le génocide des Arméniens. Ces discours constituent une menace à la souveraineté de l’État arménien et témoignent de la poursuite de la politique génocidaire par l’Azerbaïdjan et la Turquie contre le peuple arménien.

Mais au-delà des pertes militaires, territoriales, économiques et politiques, nous sommes dévastés par les pertes humaines qui sont irréversibles et irréparables. Ce qui nous accable le plus c’est le sacrifice des jeunes soldats tués sur les fronts, dont le nombre définitif n’a pas encore été annoncé. Nous ne connaissons pas non plus le nombre de mutilés de guerre. Les photos et vidéos de maltraitance de soldats arméniens par les forces azerbaïdjanaises, diffusées sur les réseaux sociaux, continuent de hanter les familles qui attendent toujours le retour de tous les prisonniers de guerre, pourtant prévu par l’accord de cessez-le-feu. Actuellement, le pays fait face à une importante crise humanitaire due à l’exode des habitants des territoires rétrocédés à l’Azerbaïdjan.

Cette défaite cuisante de l’Arménie contre un ennemi militairement bien supérieur, soutenu par la deuxième plus grande armée de l’OTAN et des mercenaires syriens, suscite notre colère et incompréhension. Aujourd’hui, nous nous sentons trompés par les classes politiques qui ont dirigé l’Arménie et l’Artsakh depuis 1997. Pendant toutes ces années, tous les plans proposés dans le cadre du Groupe de Minsk qui ont fait l’objet de négociations entre les deux pays prévoyaient le retour des sept régions adjacentes de l’Artsakh sous le contrôle de l’Azerbaïdjan mais les dirigeants arméniens nous assuraient qu’aucune concession ne serait faite tant que le statut de l’Artsakh resterait  incertain. Entretemps, l’Azerbaïdjan, fort de ses revenus pétroliers, s’est doté d’armes de dernière génération et s’est préparé à la guerre. Quant aux autorités arméniennes, elles nous ont fait croire à l’invincibilité de nos troupes et à leur armement efficace.

Mais la déroute militaire a montré tout le contraire malgré la combativité et la bravoure des jeunes soldats. De surcroît, nous nous sommes retrouvés seuls et isolés dans cette guerre, la diplomatie arménienne n’ayant pas réussi à gagner pendant toutes ces années des alliés qui auraient pu nous apporter une aide autre que morale.

Les citoyens d’Arménie et d’Artsakh sont en droit de demander des comptes à leurs dirigeants qui se sont succédé depuis plus de vingt ans pour ce désastre national qui met en péril la pérennité et la souveraineté de l’État arménien. En parallèle, il est urgent d’obtenir le retour des prisonniers de guerre, de gérer les besoins des personnes déplacées tant en Arménie qu’en Artsakh et de procéder très rapidement à des travaux de reconstruction dans les zones de combats. Les familles des soldats morts sur les fronts et les mutilés de guerre méritent une attention toute particulière sur les plans matériel, psychique et moral. Quant à la politique extérieure, l’Arménie devra, entre autres, mener des négociations très ardues avec un adversaire menaçant, enivré par sa victoire, en vue d’une paix durable dans la région.

On espérait que le Premier ministre Nikol Pachinyan, son gouvernement et le Parlement ainsi que les autres milieux politiques adopteraient une attitude plus responsable vis-à-vis des citoyens et concentreraient tous leurs efforts pour panser les blessures de la guerre et remettre le pays sur pied. On espérait aussi que l’Église et les autres institutions non-partisanes en Arménie et dans la diaspora joueraient un rôle conciliateur pour apaiser les tensions et favoriser le dialogue. Mais cela n’a pas été le cas et certaines ont même pris partie dans la confrontation entre le pouvoir et l’opposition. En l’absence d’une réflexion sincère sur la nouvelle situation géopolitique dans laquelle se sont retrouvés l’Arménie et l’Artsakh après le 10 novembre, nous assistons à une lutte pour le pouvoir, accompagnée de discours de haine intolérables de part et d’autre. Pour l’instant, les acteurs politiques ne proposent aucune feuille de route pour sortir le pays du gouffre et assurer la sécurité de la population.

Avec le Nouvel An, nous entrons dans une période d’incertitudes internes et externes et il est impératif de trouver un moyen pour désamorcer la crise politique et mettre en place un gouvernement efficace, capable de réunir les Arméniens du monde entier pour relever ensemble les défis existentiels auxquels l’Arménie et l’Artsakh sont confrontés.

Maral SIMSAR

2021-01-15T19:00:49+01:00 15.01.21|ÉDITORIAL|

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