Les mouvements migratoires remontent à la nuit des temps mais ils ont pris une ampleur sans précédent ces dernières années. Les Arméniens, dont l’histoire est marquée par des vagues successives de migrations et de déportations forcées, ont été particulièrement touchés par les guerres et les crises économiques au Moyen-Orient. Ces communautés dynamiques et bien organisées, constituées pour la plupart de descendants des rescapés du génocide de 1915, ont été frappées de plein fouet par l’émigration massive et l’hémorragie continue.
La guerre en Ukraine a poussé plusieurs millions de personnes à quitter leur domicile et à se réfugier dans d’autres régions du pays ou à l’étranger, notamment dans les pays de l’espace Schengen où des mesures exceptionnelles ont été prises pour les accueillir. Les Arméniens d’Ukraine partagent naturellement le sort de leurs concitoyens et subissent les conséquences de ce cataclysme qui s’est abattu sur leur pays d’accueil. Selon l’Union des Arméniens d’Ukraine, la communauté compterait environ 400 000 personnes dont une partie ne détiendrait pas la nationalité ukrainienne. On ne connaît pas encore le nombre d’Arméniens qui se sont réfugiés dans les pays voisins ou en Arménie et selon un bilan provisoire, au moins 23 Arméniens, dont 18 civils, ont trouvé la mort en Ukraine jusqu’à fin mars. L’ambassade d’Arménie, qui a été transférée de Kiev à Lviv, l’Union des Arméniens d’Ukraine, les représentations diplomatiques de la République d’Arménie dans les pays voisins ainsi que les organisations des communautés arméniennes dans ces pays apportent leur aide à nos compatriotes fuyant les régions des opérations militaires.
A partir du 10 mars, la communauté arménienne de Genève a été informée de l’arrivée de quelques familles arméniennes d’Ukraine. Le premier contact a été établi avec Miganouche Baghramian, présidente de l’UAS, par l’intermédiaire d’un commerçant arménien. Il s’agissait de Roksana et de ses deux enfants qui avaient fui l’Ukraine avec une cousine, les deux enfants, la sœur et la mère de cette dernière, les hommes de la famille n’ayant pas été autorisés à quitter le pays. Les deux familles ont été hébergées provisoirement chez des particuliers à Genève. Le père Goossan Aljanyan et plusieurs membres de la communauté dont Miganouche Baghramian, Raffi Giragossian, Julietta Toroslu, Onnig Kazanciyan et Daniel Papazian, se sont mobilisés pour apporter un soutien moral à ces familles et les aider dans leurs démarches administratives, notamment auprès du Centre d’enregistrement de Boudry (NE).
Pendant cette même période d’autres familles sont arrivées à Genève et dans d’autres cantons notam-ment à Lausanne, à Berne, à Winterthur et à Zurich. Elles ont également pu bénéficier de l’aide des membres de la communauté pour trouver un hébergement provisoire, effectuer les formalités d’enregistrement, etc. Au moment où nous mettons ce journal sous presse, on compte une quinzaine de familles arméno-ukrainiennes en Suisse. Ce chiffre concerne seulement les familles qui sont entrées en contact avec les membres ou les organisations de la communauté.
Afin de mieux organiser l’accueil des réfugiés arméniens en provenance d’Ukraine pendant les premiers jours de leur arrivée en Suisse et jusqu’à leur enregistrement et prise en charge par les structures officielles, le numéro de téléphone du Père Goossan Aljanyan et ceux d’autres personnes de contact ainsi que quelques informations pertinentes en arménien, en russe et en anglais ont été affichés sur la porte de l’église et à l’entrée du Centre arménien de Troinex. En effet, lorsqu’ils se trouvent dans un pays étranger, les Arméniens se tournent en premier lieu vers l’église arménienne pour chercher de l’aide, des conseils, des informations ou tout simplement pour rencontrer des compatriotes et se sentir moins dépaysés. Par ailleurs, des possibilités de logements provisoires ont été trouvées à Genève et ailleurs pour les nouveaux arrivants afin de les dépanner pendant la période d’enregistrement.
L’histoire des Arméniens d’Ukraine
Les Arméniens sont mentionnés pour la première fois en Ukraine à l’époque de la « Rous de Kiev ». Au Xe siècle, des marchands, mercenaires et artisans arméniens ont servi dans les palais des princes ruthènes. Cependant, c’est après la prise de la capitale Ani par les Seldjoukides au XIe siècle qu’un grand nombre d’immigrants arméniens se sont installés dans le sud-ouest de l’Ukraine notamment dans les régions de Caffa (Feodosia), Sudak et Solhat/Sourkhat (Staryi Krym) dans la péninsule de Crimée. Leur nombre a été augmenté tout au long du Moyen-Âge tardif par des Arméniens fuyant les invasions mongoles. En conséquence, la péninsule a été appelée Arminia Maritima et le lac Azov lacus armeniacus dans les chroniques médiévales. Les Arméniens y ont crée plusieurs scriptoria, dont celui de Sourkhat au monastère Sainte-Croix fondée en 1358. Un petit nombre d’immigrants arméniens s’est installé en Ukraine centrale, y compris à Kiev, ainsi que dans la partie occidentale du pays, près de Podolie et de Galicie, et autour de la ville de Lviv, qui est devenue en 1267 le centre d’une éparchie arménienne.
À la fin du XIIIe siècle, lorsque des membres de la communauté arménienne se sont déplacés de la péninsule de Crimée vers la frontière polono-ukrainienne, ils ont apporté avec eux l’arméno-kipchak (un dialecte turc employé par les Arméniens d’Ukraine, écrit en alphabet arménien). Ce dialecte était encore courant aux XVIe et XVIIe siècles parmi les communautés arméniennes installées dans la région de Lviv et de Kamianets-Podilskyi. Il convient de noter qu’après Venise, Constantinople et Rome, Lviv a été le quatrième centre de l’imprimerie arménienne. C’est dans cette ville que le prêtre Hovhannes Karamatanents a créé son atelier et a fait paraître en 1616 un Psautier, suivi en 1618 d’un livre de prières en arméno-kiptchak. C’était la première fois qu’un livre religieux arménien était imprimé dans la langue parlée et non pas en grabar.
Après la chute de la Crimée aux mains des Turcs ottomans en 1475, de nombreux Arméniens de Crimée se sont dé-placés plus au nord-ouest vers les communautés arméniennes déjà florissantes qui se sont progressivement intégrées à la population polonaise locale tout en conservant leur identité distincte à travers l’Église catholique arménienne.
Au XVIIIe siècle, la Crimée est tombée sous l’influence de l’Empire russe, ce qui a encouragé les Arméniens de Crimée à s’installer en Russie et un grand nombre d’entre eux s’est établi à Rostov sur-le-Don en 1778. Vingt ans plus tard, la Russie, ayant conquis la péninsule, a appelé à sa colonisation et de nombreux Arméniens sont arrivés de Turquie, établissant de nouvelles communautés arméniennes.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1944, les Arméniens ont été déportés en masse avec les Grecs, les Bulgares et les Tatars en tant qu' »élément antisoviétique » et n’ont été autorisés à revenir que dans les années 1960. Sous le régime soviétique, les Arméniens sont venus en Ukraine avec des ressortissants d’autres républiques soviétiques pour travailler dans l’industrie lourde située dans les régions orientales du pays.
La communauté arménienne en Ukraine moderne
C’est dans l’Oblast de Donetsk que se trouvait le plus grand nombre d’Arméniens avant la dernière guerre. Il existe des communautés arméniennes également à Dnipro, Kharkiv, Kherson, Kyiv, Louhansk, Mykolaïv, Zaporjjia et Odessa. La ville de Lviv est la « capitale spirituelle » des Arméniens d’Ukraine et sert de siège éparchial aux églises catholique et apostolique, l’Ukraine étant divisée en deux éparchies. L’archéparchie catholique arménienne de Lviv n’est plus occupée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’Église apostolique arménienne y est prédominante.
Les Arméniens ont eu une présence historique en Crimée, qui reste sous contrôle russe depuis l’intervention militaire russe de 2014. Les 9 000 Arméniens représentaient 0,43% de la population de la région et étaient nombreux dans les grands centres urbains comme Sébastopol où ils représentent 0,3% de la population de la ville. Hovhannes Aivazovsky, le peintre arménien de renommée mondiale a vécu et travaillé toute sa vie dans la ville de Feodosiya en Crimée.
Environ la moitié des Arméniens vivant en Ukraine parle l’arménien comme langue maternelle, mais plus de 43% parle le russe et seulement 6% l’ukrainien.
La cathédrale arménienne de Lviv
La cathédrale arménienne de la Dormition de la Bienheureuse Mère de Dieu, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, fait partie des monuments architecturaux d’importance nationale d’Ukraine. Sa construction, financée par deux marchands arméniens Jacob et Panos, et supervisée par l’architecte arménien Doring, a débuté en 1363 et s’est achevée en 1370. Sévèrement endommagée en 1527 par un incendie, elle a été reconstruite en 1571 avec une nouvelle structure en pierre. Le palais archiépiscopal attenant à la cathédrale a été construit à la fin du XVIIe siècle, et l’intérieur a été largement remanié entre 1723 et 1726. Les derniers travaux de transformation ont eu lieu de 1908 à 1927.
A partir de 1689 et jusqu’en 1945, la cathédrale a été la propriété de l’Église catholique arménienne. En 1945, après l’annexion de Lviv par les forces soviétiques, la cathédrale arménienne a été fermée et transformée en entrepôt . En 1991, lorsque l’Ukraine a retrouvé son indépendance, le conseil municipal de Lviv a décidé de restituer la cathédrale à l’Église apostolique arménienne. Le processus administratif a duré douze ans. En 2001, le pape Jean-Paul II a visité la cathédrale et y a prié. Le 18 mai 2003, la cathédrale a été reconsacrée par le catholicos Garegin II.
Depuis 2009, la cathédrale fait l’objet de travaux de rénovation, entièrement financés par le ministère polonais de la Culture en coopération avec la Fondation de la culture et du patrimoine des Arméniens polonais de Varsovie. Les travaux sont menés conjointement par des spécialistes polonais et ukrainiens.
M.S.
(Données historiques selon Wikipedia et d’autres sources)