(© Tumo Center for Creative Technologies)

Lerna BAGDJIAN

Cette année, plusieurs expositions internationales mettent en lumière la richesse du patrimoine culturel arménien et la vitalité de la création contemporaine du pays, en croisant architecture, art, mémoire et technologies innovantes.

Direction la Sérénissime

Tous les deux ans, Venise accueille l’Exposition internationale d’Architecture, un rendez-vous incontournable pour les passionnés d’art et de la culture du bâti. Cet événement réunit les penseurs du monde entier autour d’un thème central qui explore les grands enjeux du bâti, de la ville, de l’environnement et de la société.

Chaque pays y présente une exposition dans son propre pavillon, offrant une vision unique de ses préoccupations architecturales, culturelles ou politiques. L’événement est aussi un lieu de réflexion critique, d’expérimentation et de dialogue entre les disciplines et les cultures.

À l’occasion de la 19e édition, la République d’Arménie présente «Microarchitecture Through AI: Making New Memories with Ancient Monuments». Le pavillon attire l’attention sur les défis auxquels est confronté le patrimoine culturel arménien aujourd’hui, notamment sa disparition due aux changements climatiques, aux conflits et à la négligence, tout en explorant comment les technologies émergentes, telles que l’intelligence artificielle, peuvent offrir de nouvelles méthodes de préservation et d’exploration.

(© MoNumEd, Sipana Tchakerian et Chahan Vidal-Gorène)

L’exposition est commissariée par Marianna Karapetyan et commanditée par Svetlana Sahakyan du ministère arménien de l’Éducation, des Sciences, de la Culture et des Sports. Elle rassemble des designers et chercheurs des organismes CALFA / MoNumEd (recherche scientifique couplant l’intelligence artificielle), TUMO (notamment le projet de numérisation du patrimoine arménien), Electric Architects (conception spatiale). Ensemble, ils explorent comment la mémoire culturelle peut être activée et prolongée par un dialogue entre matériaux traditionnels et technologie.

Au travers d’une scénographie mettant le processus en exergue, le “laboratoire” du pavillon retrace les premières campagnes de digitalisation du patrimoine arménien en Artsakh menées par TUMO avec divers spécialistes partis en Lada dès les premiers jours de la guerre de 2020, sans trop savoir ce qu’ils trouveraient sur le chemin. Un second espace, plus expérimental, explore l’usage des nouvelles technologies pour repenser la notion de patrimoine.

Nombreuses réflexions vis à vis de l’usage de l’intelligence artificielle dans le processus créatif ont été générées, qui font parfois débat parmi les acteurs du patrimoine culturel, mais ceci témoigne de l’importance d’une préoccupation commune: la lutte contre l’effacement. Plus encore, ils rappellent surtout l’importance d’une réflexion critique sur le rôle des outils contemporains, dont l’influence est désormais incontournable, afin de mieux comprendre comment ils peuvent contribuer à préserver, réactiver, et peut-être même réinventer dans une juste mesure, notre rapport au patrimoine.

https://www.archdaily.com/1028294/armenian-pavilion-at-venice-biennale-2025-explores-ai-and-cultural-memory

À quelques kilomètres de Venise, une tout autre exposition incontournable s’est préparée en parallèle.

(© Library for Architecture)

Après le monumental, place au banal.

Dans le cadre de la 24e Exposition Internationale de Milan, le Pavillon national arménien explore le concept d’architecture ordinaire, en mettant en lumière des éléments urbains négligés comme le garage, symbole de transformation et de potentiel caché. Le pavillon s’inscrit dans le thème général de l’exposition. “Inégalités” et a été conçu par Library for Architecture, une plateforme indépendante fondée en collaboration avec plusieurs architectes basés à Erevan pour discuter de la théorie et présenter de nouveaux concepts en architecture.

À travers une scénographie sensible, le pavillon devient un espace créatif et communautaire, reflet de l’esprit collaboratif d’Erevan. Une sélection d’artefacts (croquis, pièces d’art,…)  incarne la culture quotidienne de la ville et invite les architectes à repenser les objets du quotidien pour en révéler leur beauté. 

Si l’Italie vous est trop loin, cap sur Saint-Etienne, en France.

L’Arménie est à l’honneur cette année pour la 13e Biennale Internationale Design de Saint-Etienne. À noter que la ville vient d’être jumelée avec la ville de Kapan (Syunik, Arménie).

(© Lerna Bagdjian)

L’exposition En relief, Créer en Arménie, mise en scène par le bureau Normal Studio, explore le lien profond entre les créateurs arméniens et leur environnement. Elle met en lumière comment le territoire, à la fois source d’inspiration et de matière, alimente leurs pratiques artistiques et leurs imaginaires.

(© Lerna Bagdjian)

Les commissaires Jean-François Dingjian, Eloi Chafaï et Nairi Khatchadourian y présentent les œuvres de dix-neuf artistes et collectifs arméniens, parmi lesquels figurent Sargis Antonian, Shant Charoian, Movses Der Kevorkian, Davit Kochunts, Anush Ghukasyan, Arsen Karapetyan, Noro Khachatryan, Piruza Khalapyan, Khoren Matevosian, Gayane Sofoyan, Ariga Torosian, Studio Triniti, snkh., TUMO, AHA collective, ICA Yerevan, Berq Studio, ainsi que deux figures historiques: Hripsime Simonyan (1916-1998) et Kamo Nigarian (1950-2011).

(© Lerna Bagdjian)

L’exposition rend aussi un bel hommage à Simonyan et Nigarian, deux figures majeures du modernisme soviétique en Arménie. Leur apport décisif au design industriel et aux arts décoratifs est aujourd’hui une source d’inspiration pour la nouvelle génération. Leurs œuvres et archives, présentées aux côtés des créations contemporaines, offrent une perspective historique essentielle et enrichissante.

Pour couronner le tout, le groupe Ladaniva était convié à l’inauguration et a su envoûter le public. Une exposition contextuelle et sensible qui mérite le détour à la ville du Design.

https://www.biennale-design.com/saint-etienne/2025/fr/a/en-relief-creer-en-armenie-22

Envie d’aller encore plus loin?

Avril marquait l’inauguration de l’exposition internationale EXPO 2025 Osaka, Kansai, Japon. Après les Émirats-Arabes-Unis en 2021, c’est au tour du Japon d’accueillir l’exposition mondiale où 160 pays participent.

(© Tumo Center for Creative Technologies)

Le pavillon arménien intitulé “Les piliers d’aujourd’hui et de demain” se caractérise par huit piliers, dont chacun fait écho à un domaine, tel que l’histoire, la technologie. Une scénographie qui met une fois encore le savoir-faire arménien, entre héritage et innovation.

Y sont aussi exposées les initiatives innovantes en matière d’éducation, telles que COAF, Armat et TUMO. À noter que Tumo Gunma a ouvert tout récemment ses portes, le premier centre TUMO en Asie, prêt à accueillir plus de 1000 élèves chaque semaine.

https://tumo.org/tumo-at-expo-2025-osaka/

Sinon, l’Arménie n’est jamais une mauvaise solution

 Pour la première fois, l’Arménie aura sa biennale sur son propre territoire. Lancée par Shant Charoian, l’initiative “Line Biennale” a pour but d’attirer designers, architectes, artistes, à repenser l’espace public pour activer des lieux selon une thématique donnée.

Plutôt que de promouvoir des échantillons de notre culture à l’international, c’est l’international qui est invité à découvrir l’Arménie

Plus de 171 participants ont répondu au Call for projects, de plus de 38 pays. 8 installations ont été sélectionnées, à la fois des jeunes designers et architectes internationalement re-connus, tels que les agences Bruther et Monadnock

La Biennale ayant comme thématique “Up in the Air” sera ouverte pour un mois dans les différents espaces publics sélectionnés par les participants. Ensuite, une nouvelle maison sera pensée pour accueillir les installations de manière durable, afin d’éviter tout gaspillage.

https://linebiennial.com/

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Au travers de ces expositions, l’art devient un vecteur de résilience, de transmission et d’exploration. Qu’il s’agisse de préserver une mémoire menacée, de revaloriser les formes du quotidien ou de penser l’avenir à travers l’innovation, la création arménienne joue un rôle essentiel dans la construction d’un récit collectif.

L’effervescence artistique actuelle, portée par une jeune génération engagée, puisant son inspiration dans le territoire, témoigne d’un dynamisme culturel qui redéfinit le rapport au patrimoine et à l’environnement, et exprime une volonté claire d’ancrer le potentiel créatif arménien bien au-delà de ses frontières en faisant appel à des valeurs universelles.