Alik GARIBIAN
À environ un kilomètre de la ligne de front entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se trouve Kutakan, un petit village près de Vardenis, dans la région orientale de Gegharkunik. Le hameau n’est guère plus qu’un ensemble de maisons éparpillées, où vivent quelques dizaines de familles. Interrogés sur leurs difficultés quotidiennes, les habitants évoquent l’absence de magasins d’alimentation, de pharmacies et de transports réguliers, même pour les trajets locaux.
C’est ici que vivent Tatev Yessayan, 14 ans, et sa sœur Satenik Yessayan, 15 ans. Les deux sœurs se décrivent comme des activistes dans leur village. Il y a deux ans, avec l’aide de leurs amis, elles ont commencé à cueillir des cynorhodons, ou massour en arménien, dans les buissons autour de leur village. Elles ont vendu leur récolte en ligne et ont utilisé les bénéfices pour équiper les abris anti-bombes du village en matériel de premiers secours. L’année suivante, elles ont renouvelé leur initiative, achetant cette fois-ci un sapin de Noël et des décorations pour organiser une fête du Nouvel An à l’école du village.
Malgré les difficultés qui l’entourent, Tatev Yessayan, 14 ans, envisage son avenir comme étant fermement ancré à Kutakan. Elle prévoit d’étudier la pharmacie puis retourner au village pour créer une petite entreprise avec ses amis, récoltant des plantes médicinales dans les montagnes environnantes et les transformant en remèdes à vendre localement.
«Je n’ai pas de rêves, seulement des objectifs, à réaliser étape par étape», explique-t-elle. «Un rêve est quelque chose que l’on ne peut qu’imaginer, mais un objectif est quelque chose que l’on peut atteindre.»

Une maison de Kutakan dont les vitres ont été brisées lors de l’offensive militaire azerbaïdjanaise du 13 septembre 2023 (Photo: Civilnet / Alik Garibian)
Les défis auxquels Kutakan est confronté reflètent une réalité plus large dans toute la région de Gegharkunik. La population rurale a fortement dimi-nué, passant de 161 900 habitants en 2022 à 144 400 en 2023, en grande partie à la suite de l’agres-sion azerbaïdjanaise. Elle a légèrement augmenté en 2024, très probablement en raison de la réinstallation d’Arméniens fuyant le Karabakh.
Les opportunités économiques restent limitées, la plupart des familles dépendant de l’agriculture de subsistance ou des travaux saisonniers dans le bâtiment. «Les migrations internes ont augmenté, mais pas en termes de déménagements permanents. Les gens se rendent dans d’autres régions du pays pendant quelques mois pour trouver du travail, puis reviennent. Avant, ils partaient plus souvent à l’étranger; aujourd’hui, ils ont tendance à trouver des opportunités en Arménie, principalement dans le bâtiment», note Karen Sarkissian, gouverneur de Gegharkunik.
Les infrastructures restent inégales. De nombreux villages ne disposent toujours pas de routes praticables ni d’approvisionnement en eau fiable. Les villages frontaliers bénéficient en priorité des subventions et des investissements publics, mais la vie y est encore marquée par l’incertitude et un développement lent.
«Les problèmes sont nombreux: les familles mono-parentales et les personnes âgées sont incapables de supporter la charge du travail, les maisons sont en ruines et les machines agricoles sont trop peu nombreuses. Petit à petit, nous améliorons les conditions, mais nous ne pouvons pas tout résoudre d’un seul coup», explique Aaron Khachaterian, chef de la communauté de Vartenis.
Pour les jeunes, les options sont particulièrement rares. Il n’y a pas de salles de cinéma, peu de centres d’activités extrascolaires et peu d’espaces publics. Cependant, de petites initiatives, menées par des ONG locales ou par les jeunes eux-mêmes, commencent à combler ces lacunes.
RESTART GAVAR, une ONG de jeunesse basée à Gavar, est l’une de ces organisations. Depuis sa création il y a deux ans, elle s’attaque à un large éventail de problèmes touchant plusieurs commu-nautés, qu’il s’agisse d’encourager la participation des jeunes aux prises de décision locales, de relever les défis sociaux ou de démanteler les stéréotypes, en particulier ceux qui touchent les jeunes femmes.
L’ONG offre également aux jeunes une plateforme leur permettant de développer leurs compétences professionnelles, de gagner en confiance et de s’engager dans la vie publique, souvent grâce à des programmes de mentorat qui les aident à transformer leurs connaissances et leurs idées en projets con-crets. «Les gens attendent du gouvernement qu’il subvienne à leurs besoins afin qu’ils puissent con-sommer. Mais nous devrions davantage adopter une mentalité de créateur plutôt que de consommateur. Nous sommes jeunes, notre esprit est vif, nous pouvons donc créer nous-mêmes des opportunités», note Narek Arevshatyan, président de RESTART GAVAR.
Beaucoup de ces jeunes envisagent de quitter temporairement Gavar pour poursuivre leurs études ou leur carrière, mais leur attachement à leur communauté est profond.
«Avant, je pensais que je partirais définitivement après mes études, à la recherche d’opportunités que la région ne pouvait m’offrir. Mais en voyant tout ce que nous avons accompli, à quel point les jeunes d’ici sont devenus actifs, indépendants et capables de créer des opportunités malgré des infrastructures limitées, j’envisage désormais un avenir ici. Même si je pars temporairement, je reviendrai à un moment donné», déclare Nelli Kevorkian, bénévole chez RESTART GAVAR.
(Cet article a été rédigé dans le cadre d’une visite organisée par le bureau de United Nations Population Fund, UNFPA, en Arménie.)
Source: Civilnet.am (Traduit de l’anglais)

