INTERVIEW AVEC VARTAN MARASHLYAN SUR LE RAPATRIEMENT

«Nous sommes venus en Arménie de pays différents mais nous avons tous la même motivation: Le sentiment que c’est notre pays, qu’il nous appartient, que nous sommes responsables de son développement»

Vartan Marashlyan est le directeur exécutif de la Fondation Repat Armenia. Né à Erevan, il émigre à l’âge de 5 ans avec sa famille à Moscou où il effectue sa scolarité et ses études supérieures. Titulaire d’un doctorat en sciences économiques de l’Université d’Etat de Moscou, il travaille dans le secteur bancaire et d’aménagement immobilier, notamment dans le domaine de la construction de centres commerciaux en Russie. En parallèle, il s’engage dans la vie communautaire avec l’objectif de développer des structures de jeunes professionnels et de créer des liens avec d’autres communautés de la diaspora arménienne. En 1998, il fait un premier retour en Arménie pour trois ans. Puis, en 2010, après environ 30 ans passés en Russie, il s’installe définitivement à Erevan avec sa famille. Il est marié et père de deux enfants, une fille et un fils.

***

Quand et pourquoi a été créée la fondation Repat Armenia? Qui sont les fondateurs? Quelles sont ses ressources humaines et financières?

La fondation proprement dite a été créée en août 2012 mais les travaux préparatifs ont pris environ une année et demie. Notre première idée a été de créer un site web dans le but de donner des conseils pratiques aux personnes rapatriées et à celles qui avaient l’intention de s’installer en Arménie. Nous avons vite compris que le rapatriement est une question importante qui nécessite une sérieuse approche institutionnelle et que nous devions avoir une organisation professionnelle pour accompagner chaque rapatrié ou candidat potentiel au rapatriement. Nous avons la chance d’avoir un Etat et c’est à nous d’assurer son développement effectif d’autant plus que notre temps est limité. Nous devons prouver que nous sommes capables de relever les défis et de vivre dans ce contexte régional très compliqué. Cela demande une mobilisation sur tous les plans. L’assimilation qui se poursuit  dans la diaspora à un rythme accéléré pourrait être freinée grâce à des liens avec une Arménie forte et attrayante. Par ailleurs, nous sommes convaincus que les Arméniens de la diaspora et les personnes rapatriées doivent se responsabiliser davantage que leurs frères et sœurs d’Arménie vis-à-vis de l’avenir du pays car ils ont plus de moyens et de possibilités.

D’autre part, un nombre important de personnes qui ont émigré en Russie après l’indépendance, ont des moyens financiers suffisants pour se permettre de retourner en Arménie. Nous pensons que c’est le moment de les faire revenir avant qu’il ne soit trop tard. Nous sommes prêts à aider chaque individu qui souhaite de son propre gré et en connaissance de cause s’installer en Arménie. Nous mettons l’accent sur ce qu’on appelle brain gain repatriation; C’est-à-dire, nous nous intéressons surtout aux personnes qui ont fait carrière dans leur pays de résidence et désirent s’installer en Arménie. Nous souhaitons faire venir des personnes qui peuvent apporter des nouveautés et contribuer au développement du pays.

En ce qui concerne les fondateurs, ils sont au nombre de 12, la moitié étant des Arméniens de Moscou et le reste des Etats-Unis, de France, d’Autriche, du Liban et des Emirats Arabes Unis. La moitié de ces personnes vit et travaille actuellement en Arménie.

Repat Armenia est une organisation de droit privé à but non-lucratif, qui ne reçoit aucune subvention de l’Etat, ni d’une quelconque formation politique. Initiée par 8 donateurs, la fondation compte actuellement 19 donateurs – 16 personnes physiques et 3 personnes morales – dont aucun n’est majoritaire. Il est intéressant de noter que nos donateurs sont principalement de la Russie. Cela va à l’encontre des préjugés répandus selon lesquels les Arméniens de Russie ne feraient rien pour l’Arménie. Quant à nos ressources humaines, nous avons une équipe composée de quatre personnes dont trois travaillent à plein-temps et une à mi-temps. Nous avons également des bénévoles qui viennent nous aider dans le cadre de différents programmes ou stages par le biais des organisations telles que l’UGAB, Birthright Armenia etc.

 De quelle manière aidez-vous les personnes qui s’adressent à vous?

Je dois préciser d’emblée que nous ne proposons pas de l’aide financière. Tout d’abord, nous aidons les candidats à se faire une idée réelle de la vie en Arménie. Dans la diaspora, il existe beaucoup de préjugés sur l’Arménie. D’autre part, nous avons de vrais problèmes dans le pays. Nous ne voulons pas que les gens voient la vie en Arménie avec des lunettes roses mais nous ne voulons pas non plus qu’ils aient un regard négatif sur tout. Nous souhaitons qu’ils voient les bonnes choses et contribuent à surmonter les problèmes. Nos conseils portent sur des questions très variées telles que l’organisation du déménagement, l’acheminement des meubles et effets personnels, le transfert des avoirs de l’étranger, le choix du statut en Arménie, les démarches administratives, le budget à prévoir pour le ménage, la scolarisation des enfants, la recherche du travail etc. Tous ces conseils sont entièrement gratuits. Nous avons un réseau de 600 personnes rapatriées qui sont prêtes à aider les nouveaux arrivants à s’intégrer en Arménie. Les personnes intéressées peuvent entrer en contact avec les membres de notre réseau via notre groupe Facebook et obtenir des réponses à leurs questions. Pour les demandeurs d’emploi, nous organisons des séances de formation sur la manière de rédiger un CV et de se présenter à un entretien d’embauche en Arménie. Si la personne veut commencer son propre business, nous la mettons en contact avec des rapatriés actifs dans le même domaine qui ont connu du succès ainsi qu’avec des sociétés de conseils juridiques et d’audit qui lui fournissent gratuitement les informations de base.

Toute personne qui change son lieu de résidence est confrontée à des problèmes d’intégration sur les plans social et professionnel. Avec notre réseau de rapatriés, nous essayons d’aider les nouveaux arrivants à franchir cette étape le plus facilement possible. Il est vrai qu’en premier temps nous mettons les rapatriés en contact avec d’autres rapatriés mais le but ultime pour nous tous est de devenir «Hayastantsi» (citoyens d’Arménie). Nous travaillons aussi avec la population locale pour la sensibiliser aux avantages que présente le rapatriement des Arméniens de la diaspora. Notre peuple, qui a vécu pendant des années dans une culture mono-ethnique, n’est pas habitué à ce multiculturalisme et nous essayons petit-à-petit de casser les préjugés. Il en va de même pour les rapatriés qui doivent comprendre qu’ils ont à la fois des nouveautés à apporter à ce pays et des choses à apprendre sur place. En fin de compte, le but n’est pas de créer de différentes communautés de rapatriés mais de devenir une partie intégrante de l’Arménie.

 Combien de personnes se sont-elles adressées à Repat Armenia jusqu’à maintenant? Quel est leur profile? Assurez-vous un suivi avec les personnes rapatriées?

A ce jour, nous avons reçu 450 demandes dont la moitié de Syrie, 10% des Etats-Unis, 10% de Russie, 5% d’Iran, 5% du Liban, 3% du Canada, de la Grande-Bretagne et d’autres pays. Je précise que nous recevons également des demandes de la part des personnes qui ne veulent pas s’installer en Arménie tout de suite mais planifient leur rapatriement à long terme. Entre 80 et 85% des demandeurs cherchent un emploi, environ 10% veulent commencer un business, 5% ont des problèmes liés à l’éducation et le reste ont besoin de conseils juridiques et autres. Une centaine de personnes ont trouvé du travail par nos soins ou avec notre aide et une vingtaine ont commencé leur propre business. Cinq familles sont établies en Artsakh (Karabagh). Les personnes qui s’adressent à nous sont principalement des jeunes. Parmi ceux-ci, il y en a qui viennent en Arménie via Birthright Armenia (http://birthrightarmenia.org) en tant que stagiaires ou bénévoles sans avoir l’intention d’y rester. Mais au bout de 3, 6 ou 12 mois, 6% d’entre eux décident de s’y installer immédiatement alors que 15% expriment le désir de le faire plus tard. Actuellement, nous essayons d’augmenter ces pourcentages.

Nous gardons le contact avec les rapatriés et organisons régulièrement des rencontres auxquelles participent également des candidats au rapatriement, des Arméniens locaux et des personnes de passage à Erevan. Nous avons organisé des forums sur le rapatriement à San Francisco, Los Angeles, Londres et Moscou. D’autres forums sont prévus jusqu’à la fin de l’année à Beyrouth et à Paris. Nous sommes prêts à en organiser davantage selon la demande, dans la langue et les domaines souhaités.

Quelle est la motivation principale derrière le rapatriement de ces dernières années?

Nous sommes venus en Arménie de pays différents mais nous avons tous la même motivation: Le sentiment que c’est notre pays, qu’il nous appartient, que nous sommes responsables de son développement; c’est très émotionnel et ce sentiment d’attachement ne nous quitte plus. Si vous venez en Arménie et nouez des contacts avec les rapatriés qui participent à la vie sociale et luttent pour le changement, vous avez une autre image de l’Arménie, bien différente de celle décrite par les chauffeurs de taxi à Erevan. Le deuxième facteur est la qualité de vie: Le rythme de vie étant plus lent en Arménie, vous pouvez faire beaucoup de choses dans la journée, passer plus de temps avec vos enfants et avoir une vie sociale plus épanouie. L’Arménie est aussi un pays sûr notamment pour les enfants. A part cela, vous n’avez pas besoin de déployer des efforts pour que vos enfants parlent l’arménien, grandissent dans la culture arménienne et ne soient pas assimilés. Sur le plan professionnel, malgré un taux de chômage élevé, l’Arménie manque de spécialistes dans certains secteurs en voie de développement. Un nombre de sociétés consultent notre base de données à la recherche de spécialistes car il existe malheureusement un déséquilibre sur le marché de travail: d’une part, un trop grand nombre d’économistes et de juristes de niveau moyen ne trouvent pas de travail et d’autre part, 2000 postes sont à pourvoir à l’heure actuelle notamment dans le secteur des technologies de l’information. Par ailleurs, les rapatriés qui trouvent du travail dans ces secteurs ne commencent pas leur carrière en bas de l’échelle mais à un niveau supérieur grâce à leur savoir faire et expérience acquis dans leurs pays respectifs. Parmi les autres atouts, je peux citer le climat, la nourriture biologique et la beauté des paysages. Aujourd’hui notre pays, l’Arménie avec l’Artsakh, couvre une superficie de 42000 km2 qui nous appartient intégralement.  Un nombre de 5 à 6 millions ou plus de personnes peuvent vivre dans ce pays, qui est de la même taille que la Suisse, et nous devons tous aspirer à l’édification d’un Etat fort.

 A votre avis, quel serait le profile des meilleurs candidats au rapatriement en Arménie?

Il existe actuellement dans le monde des affaires un nouveau format que nous essayons de développer en Arménie: Dans certaines professions, telles que concepteur de sites web, programmeur ou opérateur de centre d’appel, la personne peut être basée en Arménie et travailler pour des clients à l’étranger. C’est cette catégorie de professions qui est prioritaire car le marché local est restreint et ses possibilités sont limitées. Actuellement, nous avons besoin d’une expansion économique. La deuxième catégorie comprend les activités liées à l’exportation. Viennent ensuite les autres professions. Quant à l’âge des candidats, il est préférable qu’ils soient jeunes mais ce n’est pas une obligation.

 Quel message avez-vous pour nos lecteurs?

Tout d’abord je vous propose de visiter plus souvent l’Arménie. C’est un point très important. Si vous voulez rester arménien, vous devez avoir des liens avec l’Arménie. Deuxièmement, venez avec un bon programme. Il existe en Arménie de nombreuses initiatives sociales intéressantes et lorsque vous adhérez à l’une de celles-ci, vous avez une autre image de notre pays et vous percevez différemment votre rôle. Je fais appel à chacun de trouver son rôle et son lien avec l’Arménie. Notre groupe comprenant des rapatriés présents et futurs est toujours prêt à vous aider dans votre démarche. Nos aïeux ont rêvé d’avoir un Etat. Aujourd’hui ce rêve est exaucé mais si nous ne faisons pas bon usage du temps qui nous est imparti, nous risquons de nous retrouver dans une très mauvaise situation. Dès lors, il nous appartient de nous efforcer de résoudre les problèmes et de mettre le pays sur la bonne voie.

 Propos recueillis et traduits de l’arménien par Maral Simsar. Photos RepatArmenia

 Ndlr : Pour savoir plus sur Repat Armenia, consulter les histoires personnelles des rapatriés, des offres d’emploi en Arménie et d’autres informations utiles, visitez  http://repatarmenia.org/eng/

2017-12-01T23:53:29+01:00 15.09.13|ARMÉNIE & ARTSAKH, INTERVIEWS|

One Comment

  1. […] INTERVIEW AVEC VARTAN MARASHLYAN SUR LE RAPATRIEMENT […]

Laisser un commentaire