REPAT ARMENIA: ENGAGEMENT DE LA DIASPORA EN ARMÉNIE ET RAPATRIEMENT

INTERVIEW AVEC VARTAN MARASHLYAN

Depuis plusieurs décennies, la situation instable au Proche-Orient pousse les Arméniens de ces pays à prendre le chemin de l’exil. La tendance, qui touche aussi les autres communautés de la région, a pris de l’ampleur ces dernières années notamment en raison des crises syrienne et libanaise et certains de nos compatriotes ont choisi l’Arménie comme destination. Aujourd’hui, le sujet revêt une actualité toute particulière à la lumière de la situation précaire des Arméniens du Liban après l’explosion qui a dévasté une grande partie de Beyrouth et les environs.

Repat Armenia est une fondation basée en Arménie qui se concentre sur la promotion du rapatriement et du renforcement des liens des Arméniens de la diaspora avec l’Arménie. Artzakank a réalisé une interview avec Vartan Marashlyan*, co-fondateur et directeur exécutif de Repat Armenia.

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Quelles sont les activités de Repat Armenia depuis sa création en 2012?

Les activités de Repat Armenia se développent dans trois directions: Premièrement, nous œuvrons à la promotion et à la démystification du rapatriement en mettant l’accent sur l’expérience positive des rapatriés, tout en soulevant les problèmes existants, pour permettre aux futurs rapatriés d’avoir des attentes réalistes. Entre 2012 et 2018 nous avons concentré nos efforts pour contrer la perception négative de l’Arménie qui prévalait dans la diaspora. Nous poursuivons cet objectif à travers notre site bilingue (anglais-russe) qui présente les témoignages des rapatriés, des conseils pratiques, l’actualité en Arménie, etc.

Deuxièmement, nous avons organisé une vingtaine de forums « Imagine Armenia » dans les pays où nous avons des communautés importantes tels que le Liban, l’Iran, la Russie, l’Ukraine, la France, les États-Unis (côtes est et ouest), le Canada, l’Argentine, etc. Au début, ces forums étaient consacrés au rapatriement des professionnels mais petit à petit nous nous sommes orientés vers l’engagement de la diaspora en Arménie dans un sens plus large et nos forums se sont étendus pour couvrir les différents aspects de cet engagement en sus des questions pratiques pour les nouveaux arrivants en Arménie telles que les systèmes de santé et d’éducation, le marché de l’immobilier, les titres de séjour, etc.

Sur un plan plus concret, nous soutenons l’intégration des rapatriés au niveau individuel. Nos deux gestionnaires d’intégration reçoivent les personnes qui s’adressent à notre bureau, procèdent à l’évaluation de leurs besoins et les aident entre autres à trouver du travail, à créer une entreprise, à effectuer des démarches administratives et à se mettre en réseau avec d’autres rapatriés. Nous avons également créé Armenian Repatriates Network, un groupe fermé sur Facebook qui compte plus de 9000 membres. Cette plateforme permet de poser des questions et de recevoir des réponses sur tous les aspects de la vie en Arménie. En d’autres termes, nous essayons d’assurer aux nouveaux arrivants un « atterrissage en douceur » et une intégration réussie au sein de la société arménienne.

Le troisième volet de notre activité consiste à créer un environnement propice au rapatriement. Je dois admettre avec regret, que nous n’avons pas encore réalisé des avancées sérieuses dans ce domaine. Par exemple, Repat Armenia est la seule ONG qui travaille, conjointement avec le Ministère de l’Éducation, des Sciences, de la Culture et du Sport, le Service d’État des Migrations et le Haut Commissariat aux Affaires de la Diaspora, sur l’élaboration d’un projet de loi sur le rapatriement. Depuis 2018, nous avons perdu une année à cause des problèmes d’organisation suite au démantèlement du Ministère de la Diaspora et c’est seulement au début de cette année que nous avons débuté les travaux sur ce projet de loi. Les changements de 2018 ont suscité beaucoup d’enthousiasme, de l’énergie positive et des sentiments de fierté dans nos communautés de la diaspora. Mais ces deux ans ont été utilisés de façon peu optimale quant à l’élaboration d’une vision globale des relations entre l’État arménien et la diaspora. Il existe des tendances positives dans ce sens mais les choses avancent très lentement.

Combien de rapatriés ont bénéficié des services de Repat Armenia à ce jour et quel est leur profile?

Depuis 2012 nous avons reçu plus de 1000 visiteurs dans nos bureaux. Quelques 400 rapatriés ont trouvé du travail par notre biais et une centaine d’autres ont bénéficié de nos conseils pour créer leur entreprise. Nous avons organisé en Arménie 55 manifestations d’intégration auxquelles ont participé environ 9000 personnes. J’ai déjà parlé de nos 20 forums « Imagine Armenia » organisés à travers le monde, qui ont réuni plus de 5000 personnes et ont été suivis par 250000 personnes en ligne, en direct ou en différé.

La plupart des personnes qui s’adressent à nous sont des jeunes de 25 à 30 ans, qui sont bien éduqués et spécialisés dans différents domaines. Depuis 2018, les demandes ont augmenté de 50% et nous recevons 800 demandes par an. Les pays concernés sont principalement la Russie, les États-Unis, le Liban, la Syrie, l’Iran et le Canada. Dans les années 2018-2019, les Arméniens de Russie occupaient la première place mais depuis quelques mois, plus de 50% des demandes viennent du Liban et ce pourcentage a atteint 80% en août. A ce propos, j’aimerais ajouter que le forum en ligne que nous avons organisé pour les Arméniens du Liban en juin de cette année a été suivi par 250 participants enregistrés et a attiré plus de 100000 visiteurs.

La moitié des personnes qui viennent vers nous sont des rapatriés qui se trouvent déjà en Arménie mais l’autre moitié, prennent contact avec nous depuis l’étranger pendant la phase de préparation, avant de franchir le pas. Pour cette catégorie de personnes, en parallèle de nos services de consulting, nous organisons des voyages d’études en Arménie afin que leur rapatriement se passe dans les meilleures conditions possibles.

Existe-t-il un programme spécial pour les immigrants arméniens du Liban?

Le Haut Commissariat aux Affaires de la Diaspora est en train de travailler sur un paquet de mesures gouvernementales pour faciliter l’intégration des Arméniens libanais. Le projet est en cours de discussions au niveau du gouvernement. Quant à Repat Armenia, le mois d’août a été très intense pour notre équipe de 5 personnes multilingues. En plus de donner des conseils par Skype à 150 Libano-arméniens et de les mettre en contact avec notre réseau de rapatriés, nous faisons la liaison entre les employeurs potentiels et les demandeurs d’emploi et essayons de créer des postes de travail basés en Arménie pour des entreprises à l’étranger compte tenu des compétences linguistiques d’une partie des Arméniens du Liban et de leur capacité à travailler à distance. Nous travaillons avec les différents départements de l’État sur un « welcome package » qui comprendra des conseils pratiques et des astuces en matière de processus d’immigration. Par ailleurs, nous collaborons avec le Haut Commissariat aux Affaires de la Diaspora pour la création d’un bureau d’intégration des rapatriés où toute personne qui arrive en Arménie pourra se présenter et obtenir des réponses à un nombre de questions telles que les démarches administratives, l’éducation des enfants, le système de santé, la recherche d’un emploi, etc. Nous collaborons avec le Haut Commissariat aux Affaires de la Diaspora dans plusieurs autres programmes ayant trait à la diaspora dans un sens plus large.

Qu’en est-il de votre collaboration avec les organisations de la diaspora?

Il existe plus de 30000 organisations arméniennes à travers le monde mais celles-ci ne couvrent probablement qu’un tiers des Arméniens de la diaspora. Cela signifie qu’un nombre important de personnes restent en dehors des structures communautaires. Nous collaborons certes avec les organisations traditionnelles de la diaspora mais nous travaillons surtout avec des réseaux professionnels non-enregistrés et certains groupes d’étudiants ou d’hommes d’affaires qui opèrent avec des méthodes plus actuelles et plus efficaces.

Malheureusement, le rapatriement ne fait pas partie de l’ordre du jour des organisations traditionnelles de la diaspora. Le facteur temps est très important en raison des défis existentiels auxquels le peuple arménien est confronté en Arménie et à travers le monde. Depuis des années, nos communautés principales souffrent des crises politiques, économiques, financières et sécuritaires qui frappent les pays où elles sont installées et nous constatons qu’au lieu de mener une politique proactive, l’État arménien et les structures traditionnelles de la diaspora restent plutôt passifs, ce qui est très préoccupant pour nous. L’émigration des populations chrétiennes depuis les pays du Proche-Orient continue à un rythme accéléré et nos communautés ont déjà perdu un nombre important de leurs membres. Dans ces pays nous avons eu des communautés fortes sur le plan institutionnel et faute de pouvoir empêcher l’émigration, les organisations traditionnelles essayent de sauvegarder les institutions, les églises, les écoles, les clubs, etc. Ainsi l’on déplace l’accent mis jusqu’à maintenant sur la préservation de l’arménité vers la préservation des institutions. Il est vrai que le gouvernement arménien a des problèmes avec certains partis politiques mais il devrait y avoir un consensus sur des questions existentielles ou liées à la sécurité nationale.

A votre avis, comment la diaspora pourrait-elle contribuer au rapatriement réussi en Arménie des Arméniens de la diaspora qui décident de quitter leur pays d’accueil?

L’Arménie a des ressources limitées et ne peut pas se charger seule de cette mission. A mon avis, la diaspora devrait y participer très activement sur les plans financier et organisationnel. Prenons l’exemple de l’État d’Israël qui accueille des milliers d’immigrants chaque année. C’est grâce à l’aide financière de la diaspora juive que des places de travail sont créés dans le pays et des mesures d’intégration sont mises en place pour les nouveaux arrivants. Cela contribue à créer de nouvelles opportunités économiques et à développer de nouveaux secteurs professionnels. De la même manière, en partageant le poids financier du rapatriement, la diaspora arménienne contribuera au développement de l’Arménie du fait que les fonds alloués seront injectés dans l’économie du pays. Mais pour cela, l’État arménien devrait avoir une structure institutionnelle qui favorise le rapatriement et un cadre autour duquel le concept sera élaboré et des projets seront crées. Il est important que la diaspora participe à la gestion de ces projets et ne se contente pas d’accorder des fonds. C’est seulement après qu’on pourra travailler sur un rapatriement à plus grande échelle.

Nous attachons beaucoup d’importance à la formation d’une identité centrée sur l’Arménie. Il est temps que les Arméniens de la diaspora prennent conscience du fait qu’un des éléments les plus importants de l’identité arménienne c’est le lien avec l’État arménien au même titre que le trauma du génocide, la connaissance de la langue, la religion, la culture ou les valeurs familiales. C’est pourquoi nous insistons sur l’engagement de la diaspora en Arménie. Nous encourageons tous les jeunes à acquérir une expérience de vie en Arménie pendant au moins 6 mois. Ils peuvent faire du bénévolat, suivre des cours, faire des études, faire des stages, pour ne citer que quelques possibilités. Une fois qu’ils auront vécu une expérience positive en Arménie, ils y resteront liés à vie comme s’ils avaient reçu un vaccin d’arménité et certains reviendront en Arménie pour des séjours plus longs.

Mon rêve est qu’un jour la moitié des Arméniens puissent vivre en Arménie et que tous les jeunes de la diaspora puissent avoir la possibilité de passer au moins 6 mois de leur vie en Arménie.

(Propos recueillis et traduits de l’arménien par Maral Simsar)

(Crédit photos: www.Repatarmenia.org)

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(*) Né à Erevan, Vartan Marashlyan a émigré à l’âge de 5 ans avec sa famille à Moscou. En 2010, après environ 30 ans passés en Russie, il s’est installé définitivement en Arménie. En septembre 2013, nous avions publié une première interview avec lui et un article sur Repat Armenia (voir ci-dessous).

RAMEURS À CONTRE-COURANT

INTERVIEW AVEC VARTAN MARASHLYAN SUR LE RAPATRIEMENT

 

2020-09-26T21:14:27+02:00 26.09.20|ARMÉNIE & ARTSAKH, GÉNÉRAL, INTERVIEWS|

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