Pendant six cents ans, à quelques exceptions près, l’identité arménienne a été fondée sur la culture et l’histoire. Cela a été une question de langue, de religion ou de gloires passées – mais jamais d’un Etat-nation commun. Aujourd’hui il existe un nouveau paradigme qui place le centre de cette identité fermement sur une patrie existante à savoir, les Républiques d’Arménie et d’Artsakh, considérées conjointement comme Arménie. Précédemment sans patrie, la nation arménienne en a une actuellement et c’est là où une nouvelle identité, liée à l’avenir du pays, prend désormais forme.
Quelle est notre patrie?
Une patrie peut être une notion abstraite comme elle a été pour beaucoup d’Arméniens pendant des siècles, ou une notion localisée, calquée sur une géographie bien précise, comme elle a été pour beaucoup d’autres. Etant donné qu’il n’y avait aucun pays que les Arméniens pouvaient considérer comme étant entièrement le leur, plusieurs idées ont été développées sur à quoi ressemblerait un tel pays, toutes éloignées de la réalité actuelle.
Pour un peuple avec un pays associé à son nom, une patrie constitue une base pour sa sécurité et sa prospérité. C’est un endroit qui sert de noyau à la nation, et en définit la langue, la culture, l’éducation, les aspirations communes, l’histoire et finalement la politique. Dans cette réalité, la patrie est la manière de définir l’identité. L’Arménie de nos jours a vocation à devenir ce noyau si nous réussissons en tant que nation. Elle pourrait aussi s’effondrer et être absorbée dans l’un des empires émergents du monde si nous continuons à poursuivre des buts étroits au niveau individuel ou liés à des groupes ou classes, ou voire même, de manière plus irresponsable, rechercher une patrie de rêve au lieu de nous occuper de celle qui existe.
Il est néanmoins important de noter qu’en acceptant la réalité d’une Arménie contemporaine en tant que patrie des Arméniens l’on ne sous-estime pas la profondeur de l’identité arménienne émanant des territoires historiques qui ne font pas partie de la patrie actuelle telles que l’Arménie occidentale, la Cilicie ou le Nakhijevan. Inversement, c’est à travers l’Arménie actuelle, la patrie que nous avons aujourd’hui, que les aspirations légitimes relatives aux territoires historiques arméniens pourraient être poursuivies.
L’avenir de la diaspora
Malgré le fait que la diaspora arménienne existe depuis des millénaires, l’origine de la majorité des communautés actuelles pourrait remonter au génocide des Arméniens. Même si les communautés arméniennes du Moyen-Orient n’ont pas été constituées suite au génocide, leurs nombres ont monté en flèche après l’extermination massive des Arméniens dans une grande partie de leur patrie historique.
Beaucoup d’efforts ont été déployés depuis pour protéger l’identité menacée par les massacres, les expulsions et l’assimilation. Ces efforts, quoique louables, devraient être perçus dans un contexte plus large. Aucune communauté arménienne, malgré ses efforts les plus vaillants, n’a été capable de résister entièrement à l’adoption de la culture et de la tradition locales. De même, leur influence sur la culture arménienne a rendu difficile la prétention selon laquelle la culture arménienne a été vraiment soigneusement préservée.
Le plus important est peut-être le fait qu’aucun pays dans lequel les Arméniens vivent ne peut être considéré comme une patrie. Au mieux, les Arméniens y sont des invités bienvenus. Au pire, ils sont perçus avec suspicion. L’exemple récent des anciennes communautés bien établies du Moyen-Orient devrait nous servir d’avertissement brutal. Après des décennies de prospérité, de paix et de contribution économique massive à leur pays d’accueil, presque toutes les communautés arméniennes du Moyen-Orient ont été déracinées ou sont devenues l’ombre de ce qu’elles étaient autrefois.
Même si les menaces qui planent sur les Arméniens en Occident ne sont pas toujours les mêmes qu’au Moyen-Orient, elles existent tout de même, la plus importante étant la menace d’assimilation à laquelle aucun groupe ethnique n’a pu échapper. En effet, l’avenir est clairement prévisible dans les communautés les plus anciennes de la diaspora occidentale où les quartiers arméniens du début du XXe siècle ne sont plus qu’un souvenir.
Le fait est que l’Arménie est le seul endroit où les Arméniens sont les vrais maîtres de leur propre destin. Avec un Etat arménien indépendant, le peuple arménien a la possibilité de vivre ses rêves de prospérité, de paix et de stabilité dans un endroit qui lui appartient. Cependant, pour atteindre cet objectif, il serait nécessaire de repenser de fond en comble la formule entre la patrie et la diaspora. La diaspora ne peut plus être un spectateur vis-à-vis de l’Arménie ou, au mieux, un soutien financier passif. Elle devrait s’approprier la patrie si elle veut préserver son identité et voir la renaissance d’une nation arménienne forte. L’expérience du rapatriement des Juifs du monde entier et leur appropriation de l’Etat d’Israël naissant, est un excellent exemple mais également un rappel brutal à la diaspora arménienne que l’avenir brillant de la nation viendrait à travers le dévouement envers la patrie et la persévérance sur place plutôt que par la critique bienveillante, combinée avec la poursuite des intérêts personnels ailleurs.
Quelles sont les perspectives d’avenir?
Premièrement, une nouvelle identité se développerait – une identité centrée sur l’Arménie. Contrairement aux identifiants qui étaient précédemment basés exclusivement sur les histoires familiales et communautaires locales, les dialectes ou les loyautés impériales, le nouveau paradigme serait celui dans lequel, les Arméniens percevraient l’Arménie comme leur patrie, presque indépendamment de leur lieu de résidence.
Dans le passé les Arméniens étaient repartis inégalement en trois groupes: les assimilés, les dévoués sur le plan culturel et les nationalistes. Le groupe des dévoués sur le plan culturel a historiquement dominé la diaspora et a élaboré sa prémisse principale sur la préservation de l’identité arménienne nonobstant l’existence ou non d’un Etat-nation unificateur dans la mesure où cette prémisse a apparemment fonctionné en tant qu’un concept viable durant plusieurs siècles. Bien que le troisième groupe ait aussi eu ses adhérents, en raison de l’absence d’un Etat-nation, son nombre était bien plus réduit que celui des autres. De surcroît, leur nationalisme était basé sur des concepts abstraits et une fois confronté à la dure réalité géopolitique, a conduit à des conséquences tragiques.
Actuellement, ce dernier groupe, renforcé par un Etat-nation, formerait l’avant-garde d’une nouvelle réalité dans laquelle l’identité est déterminée par le dévouement et la responsabilité envers le vrai pays et l’avenir de celui-ci. En s’organisant en institutions et réseaux, le groupe des nouveaux nationalistes se concentrerait sur la construction d’un nouvel Etat-nation moderne dont le noyau serait l’Arménie et les communautés de la diaspora ses avant-postes bien intégrés. Ensemble, ils constitueraient un écosystème polyvalent et dynamique capable d’apprendre, de mobiliser et de déployer des ressources rapidement dans les endroits qui en ont le plus besoin ou qui présentent la meilleure opportunité, pour sauver ceux qui sont en danger et défendre conjointement le foyer national des menaces les plus imminentes.
Deuxièmement, l’Etat arménien prendrait forme en tant que représentant des Arméniens de l’Arménie et de l’étranger. Cette charge était assumée dans le passé par les organisations et les individus mais à présent et à l’avenir, les objectifs nationaux seraient élevés à un rang supérieur car un Etat-nation les appuie. Et si l’Arménie actuelle, encore faible sur le plan institutionnel et organisée de manière insuffisante, a été capable de défendre Artsakh avec succès et absorber des milliers de réfugiés du Moyen-Orient, pensez à l’Arménie dans 20 ans, disposant d’une économie, d’une force militaire et diplomatique plus fortes au service de la nation.
Enfin, l’Arménie unifierait et renforcerait la nation arménienne. Elle serait le point de convergence pour les Arméniens et servirait ainsi de paratonnerre vers lequel serait attirée l’énergie de la nation arménienne et à partir duquel elle émanerait. Le renforcement de l’Arménie en tant qu’Etat-nation renforcerait inéluctablement la nation dans son ensemble. Cela entraînerait avant tout la transformation de l’Arménie d’une économie émergente et d’une société paternaliste, en une société hautement développée et véritablement libérée. Nous assistons à ce processus en cours et chaque année qui passe apporte de nouveaux accomplissements sur la voie de transformation, surtout dans le contexte de plusieurs pays avoisinants touchés par des troubles sociaux ou de stagnation prolongée.
Qu’il s’agisse de la création d’une patrie prospère et sure ou de la préservation de la culture et de la langue arméniennes, ou alors de l’attente légitime que les terres arméniennes historiques recouvreront leur identité et population arméniennes, notre pays nous offre aujourd’hui la seule vraie possibilité pour les atteindre tous finalement. L’Arménie n’est pas seulement le meilleur endroit pour construire l’avenir de la nation arménienne, mais elle est le seul endroit. Le paradigme a changé et il appartient à chacun de nous de rattraper la nouvelle réalité.
Repat Armenia Foundation
(Traduit de l’anglais par Artzakank)
Laisser un commentaire