TATUL KRPEYAN ET GETASHEN … 25 ANS SONT PASSÉS

Tatul Krpeyan et Getashen

Getashen

Չորս կողմդ անդունդ է, ճամփէքդ փակուած,
Երկնքում սև ու մութ ամպեր կուտակուած,
Կողքիդ հայկական շէներն են լքուած,
Դու կաս ու կը մնաս յաւերժ Գետաշէն։

(Refrain de la chanson « Getashen » de Goussan Haykazoun)

En écoutant cette chanson populaire au rythme vif et joyeux, il est difficile d’imaginer les événements tragiques survenus dans ce village arménien de 3000 habitants il y a 25 ans. Les victoires militaires arméniennes ultérieures qui ont conduit à l’indépendance de l’Artsakh ont laissé dans l’ombre l’exode forcé des Arméniens de quelques 22 villages dans le district de Chahumyan au nord du Haut-Karabagh. Cependant, les opérations militaires lancées par l’Azerbaïdjan dans la nuit du 1er avril 2016 nous rappellent la nécessité d’évoquer nos pertes et défaites, même si cela est difficile, afin d’en tirer des leçons et de rendre hommage aux héros qui ont défendu ces terres arméniennes au prix de leur vie.

Tatul Krpeyan, dont le nom est lié à l’auto-défense de Getashen, est l’un de ces héros. Né en 1965 dans le village d’Areg (rebaptisé Tatul) de la province d’Aragatsotn, il poursuit ses études à la faculté d’histoire de l’Université d’Etat d’Erevan. Il y crée l’Ensemble Kars pour le chant et la danse. En parallèle, il chante dans l’ensemble ethnographique Maratuk et contribue à la collecte et à la sauvegarde des chants populaires de la région de Sassoun et de Kars ainsi que des chansons et des danses dédiées à la lutte de libération nationale. En 1987, il rejoint le mouvement « Miatsum » pour la réunification de l’Artsakh avec l’Arménie et en septembre 1990 devient le commandant général du détachement d’auto-défense du sous-district de Getashen où il fut tué en avril 1991.

Sa veuve Irina Barseghyan, historienne et chroniqueuse de l’émission bihebdomadaire « Le témoin du temps » à la radio publique d’Arménie, vient de publier, avec le soutien de l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences d’Arménie et de la chaire de l’histoire du peuple arménien de l’Université d’Etat d’Erevan un livre intitulé «Հյուսիսային Արցախի Գետաշենի ենթաշրջանի ինքնապաշտպանությունը. Թաթուլ Կրպեյան» (L’autodéfense du sous-district de Getashen de l’Artsakh du Nord – Tatul Krpeyan). Avec sa fille Aspram, qui n’avait que 14 mois au moment du décès de son père, elle œuvre pour la sauvegarde de la mémoire de Tatul Krpeyan.

Lors de son dernier passage à Genève où sa fille Aspram poursuit ses études supérieures, elle nous a parlé des opérations qui ont conduit à l’expulsion de la population arménienne de Getashen et des circonstances de la mort de son époux.

« En août 1990, après l’exode forcé des Arméniens des villages de Kamo et d’Azat, la pression s’était intensifiée sur les villages de Getashen et de Martunashen dans le sous-district de Getashen (district de Chahumyan). Les autorités de Bakou demandaient aux habitants d’évacuer ces terres « azerbaïdjanaises » et d’échanger leurs maisons avec celles des Azéris vivant en Arménie. Je rappelle qu’à cette époque, les pillages, les agressions, les incendies, les prises d’otages et les vols de bétail par les Azéris étaient monnaie courante dans les localités arméniennes. Les villageois étaient désespérés d’autant plus qu’ils ne pouvaient compter sur aucune aide de l’extérieur. C’est à cette période que les premiers groupes de volontaires formés par la Fédération Révolutionnaire Arménienne (FRA) ont été envoyés dans la région de Chahumyan. Tatul, qui était membre de ce parti et encore étudiant à l’université, a décidé de se rendre à Getashen avec la ferme volonté de défendre cette terre arménienne. Il faut noter que ces départs étaient organisés clandestinement vu l’omniprésence du KGB. De surcroît, les unités de l’armée soviétique et les Omons (forces spéciales du ministère de l’Intérieur) azéris procédaient régulièrement aux contrôles des papiers des habitants et expulsaient les personnes qui n’y étaient pas domiciliées. C’est pourquoi, Tatul et les membres de son détachement se sont installés à Getashen en se faisant passer pour des enseignants, électriciens, plombiers etc. Entre août 1990 et avril 1991, Tatul a enseigné l’arménien et l’histoire dans deux écoles du village et a organisé en parallèle le groupe d’auto-défense du sous-district de Getashen. Avec ses amis, il a rénové l’église du village et a érigé une fontaine dans sa cour. Entretemps, le village a subi plusieurs attaques importantes qui ont été repoussées avec succès.

Aspram et Tatul Krpeyan

 A l’aube du 30 avril 1991, les Omons et les troupes soviétiques ont commencé une offensive militaire de grande envergure connue sous le nom d’opération koltso (anneau) simultanément à Getashen et à Martunashen. Dans leur avancée soutenue par des véhicules blindés et des chars, ils ont incendié les maisons des faubourgs de Getashen en poussant les habitants vers le centre et ont ainsi serré l’étau autour du village. Tatul Krpeyan a d’abord voulu prendre position sur la route principale et opposer une résistance mais face à la désapprobation des femmes de Getashen, il s’est précipité vers le centre du village où étaient arrivés les chars de combat soviétiques. Il est vite monté sur l’un d’eux et a ouvert la trappe en tenant une grenade à la main. Il en a arraché la goupille et sous peine de faire exploser le char a demandé aux militaires qui s’y trouvaient de sortir et de rendre leurs armes. Il a ainsi pris en otage 17 soldats et le colonel Mashkov de l’armée soviétique ainsi qu’un accompagnant azéri. Pendant ce temps, les Omons s’étaient livrés aux pillages, incendies et tueries et Tatul a ordonné à Mashkov de faire arrêter l’opération militaire. Ce dernier n’a pas pu établir un contact radio avec son commandement et il a été décidé d’aller directement à son quartier général pour négocier. Tatul et ses amis ont accompagné Mashkov à pied dans le village et se sont vite retrouvés face à un groupe d’Omons et de militaires de l’armée soviétique. C’est à ce moment-là que quelqu’un a tiré sur Tatul par derrière. Il fut tué par une balle dans la tête. Ses deux amis Artur Karapetyan et Hratch Danielyan subirent le même sort. Les villageois disent avoir entendu une forte détonation suivie d’un long silence et puis, les mauvaises nouvelles se sont répandues rapidement à travers le village créant la panique générale.

 La suite est connue: Les habitants furent évacués par des cars et hélicoptères et Getashen fut complètement vidé de sa population arménienne. Les combattants arméniens quittèrent le village clandestinement en petits groupes mais un certain nombre de personnes dont des médecins furent arrêtées et torturées dans des geôles azéries avant d’être relâchées sous la pression internationale.

 La dépouille de Tatul Krpeyan et celles de ses amis tombés pour la défense de Getashen ont été rapatriées à Erevan où des funérailles nationales ont été organisées. Comme la plupart de ses amis, Tatul a été inhumé au cimetière de son village natal où un monument a été érigé en sa mémoire. Par un décret présidentiel du 20 septembre 1996, il lui a été attribuée à titre posthume la distinction de héros national d’Arménie, la plus haute décoration de la Ré publique. Actuellement un auditorium à la Faculté d’histoire de l’Université d’Etat d’Erevan ainsi que plusieurs écoles et salles scolaires, troupes de danse et de chant, et de parcs à Erevan et ailleurs portent le nom de Tatul Krpeyan. Par ailleurs, un nombre de chants et de poèmes lui ont été dédiés et A. Babayan a composé en sa mémoire sa sonate pour violoncelle et piano.»

Aujourd’hui, 25 ans après ces événements, l’Azerbaïdjan reste toujours déterminé à reconquérir l’Artsakh par la force. Les crimes de guerre commis dernièrement par les forces azéries contre les civils dans le village de Talish et l’expulsion des habitants du village de Getashen en 1991 portent la même signature. A défaut d’une solution politique du conflit du Karabagh, les seuls garants de la sécurité de notre peuple en Arménie et en Artsakh restent nos soldats et volontaires, qui continuent à verser leur sang comme l’ont fait Tatul Krpeyan et beaucoup d’autres. Nous nous inclinons avec un profond respect devant le sacrifice de tous ces héros connus ou anonymes tombés pour la défense de la patrie.

Maral Simsar

2017-07-04T17:32:56+02:00 15.05.16|ARMÉNIE & ARTSAKH|

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