ELECTIONS ARMÉNIENNES: 49 %, LE NOUVEAU 99 %?

(Photo Demir Sönmez)

par Alexis KRIKORIAN

Ndlr: Suite à l’appel lancé par Citizen Observer à la diaspora en décembre 2016 pour surveiller les bureaux de vote pendant les élections législatives du 2 avril 2017, Alexis Krikorian s’est rendu en Arménie avec 4 autres observateurs de Suisse. Nous publions des extraits de son article paru dans le blog de www.hyestart.net.

Les élections du 2 avril en Arménie constituaient un test important pour la démocratie arménienne. La Diaspora a saisi cette occasion pour s’engager plus fortement en faveur de la démocratie et des droits de la personne en Arménie. Pourtant, le résultat a de quoi décevoir dans la manière dont il a été obtenu.

Début mars, avant même le début officiel de la campagne (5 mars), de nombreuses personnes disaient ouvertement, à l’évocation des élections du 2 avril, qu’elles ne comptaient pas prendre part au vote, préférant se réfugier dans l’abstention. Le bruit courait également que les achats de vote avaient déjà commencé.

Quelques semaines plus tard, à quelques jours de l’élection, Erevan ressemble à un who’s who de la diaspora arménienne. L’on peut en effet se retrouver à boire le café dans l’arrière-salle d’un bistrot avec Atom Egoyan, Serj Tankian, ou encore Arsinée Khadjian.

Dans l’ensemble, quels ont été les points positifs relevés à l’occasion de ces élections?

Tout d’abord, il s’agissait-là des premières élections marquant une transition d’un régime présidentiel vers un régime parlementaire au suffrage proportionnel dans lequel, normalement, le pouvoir se construit sur la base de coalitions et donc en se fondant sur la base d’ententes et de compromis entre les partis qui ne passent pas seuls la barre des 50 % des voix. Comme ce peut-être le cas en Allemagne par exemple.

Ensuite, l’engagement citoyen croissant de la diaspora et des citoyens arméniens eux-mêmes dans un même mouvement pour des élections libres et justes en Arménie est un autre point véritablement positif.

Quels ont été, en revanche, les points négatifs?

En premier lieu, l’achat de voix par un certain nombre d’acteurs politiques, à commencer par les deux principaux partis en course, le parti Républicain de Serge Sargsyan et l’alliance Tsaroukyan de l’homme d’affaires Gagik Tsaroukyan. Certaines personnes bien informées prédisaient quelques jours avant l’élection que cette dernière était maintenant tellement surveillée qu’il fallait dorénavant, pour certains partis politiques arméniens, agir en amont et carrément acheter des voix.

Le 27 mars, l’ONG « Union des citoyens informés » a mis à jour l’usage de la ressource administrative par une centaine de directeurs d’écoles à travers le pays en faveur du parti Républicain au pouvoir. Sur les 136 directeurs appelés, 114 ont admis avoir dressé des listes de parents d’élèves prêts à soutenir le parti Républicain. Cette révélation a sans doute conduit les Etats-Unis et l’Union européenne à adopter le 29 mars, 4 jours avant les élections, une déclaration commune exprimant leur inquiétude suite aux accusations d’achat de voix en Arménie et face à  “l’utilisation systématique“ des ressources administratives lors de la campagne électorale en cours. Ce fut-là la confirmation au niveau officiel de ce qui est de notoriété publique en Arménie. Peut-être était-ce trop peu, trop tard, de la part de pays qui ont financé à grands frais des machines de vote, des caméras de surveillance des bureaux de vote, c’est-à-dire une infrastructure permettant normalement une élection propre et incontestable. Début mars, on l’a vu, la rumeur sur l’achat des voix courait déjà. Fin mars, dans la dernière semaine avant l’élection, l’achat massif de voix semblait être une réalité admise par tous, sauf par ceux qui en sont à l’origine. On a parlé de sommes allant jusqu’à 40000 drams arméniens (75 EUR), une somme importante en Arménie qui représente un quart du salaire moyen dans un pays où un tiers de la population vit par ailleurs en dessous du seuil de pauvreté.

Ensuite, l’abstention déclarée de nombreux Arméniens. Dès que l’on parle des élections avec des citoyennes et des citoyens, c’est l’élément qui revient le plus (avec celui de l’achat des voix): la volonté de s’abstenir le jour de l’élection afin de marquer sa défiance par rapport au système. Au final, la participation en Arménie est assez basse, s’affichant le jour des élections du 2 avril à 60,86 % seulement.

Enfin, si la participation, grâce à l’initiative « Citizenobserver » menée par trois ONG locales (Asbarez, Transparency international et Europe in Law), en tant qu’observateurs internationaux d’environ 300 citoyens de la diaspora est un mouvement positif, il n’en demeure pas moins que les organisateurs semblaient en attendre plus. Et dans un pays comptant 2000 bureaux de vote, il en aurait fallu plus, beaucoup plus! Heureusement, l’engagement de citoyens arméniens en tant qu’observateurs locaux a pu compenser dans la mesure où il y avait au total environ 3500 (vrais) observateurs pour ces élections. Ce qui donne un ratio de presque 2 observateurs indépendants par bureau de vote. En réalité, les responsables de « Citizenobserver » ont annoncé que 75% des bureaux de vote (1500 sur 2000) ont pu être couverts de la sorte par un binôme d’observateurs indépendants.

On peut aussi expliquer ce relativement faible chiffre de 300 par une tactique du gouvernement qui a consisté à ne confirmer la date de l’élection de manière définitive que le lundi 5 mars. Cela a pu décourager un certain nombre de participations. Car il n’est pas toujours évident pour des personnes actives, dans leur entreprise, de poser une semaine de vacances trois semaines avant le départ pour l’Arménie. Un peu à la dernière minute en somme!

Les résultats suivants ont émergé de ces élections: Parti Républicain 49,2%, Alliance Tsarukyan 27,32%, Yelk 7,77%, Fédération Révolutionnaire Arménienne 6,57%. Les autres partis / alliances ont eu moins de 5% des voix, leur bloquant ainsi l’entrée au Parlement.

Le parti républicain aurait 55 sièges sur 101. Il peut donc gouverner seul. Les derniers sondages le donnaient à 32%. Ce résultat est donc inespéré pour le parti au pouvoir. Un peu comme par magie! Les fraudes et les nombreuses irrégularités le jour du vote et peut-être dans la nuit qui a suivi, combinées à un achat massif de voix dans les semaines qui ont précédé le scrutin du 2 avril, expliquent en partie le résultat des élections législatives du 2 avril. La démocratie arménienne n’en ressort pas grandi.

A l’avenir, il faudra s’assurer d’un engagement citoyen encore plus massif aux plans local et international. La diaspora ne devrait pas envoyer 300 observateurs, mais 2000 afin de couvrir l’ensemble des bureaux de vote. En ce qui concerne l’achat des voix, les pistes sont moins évidentes en raison du contexte économique et du manque de confiance dans la justice du pays. Il faudra sans doute renforcer l’éducation civique et, peut-être, malgré tout, voir s’il ne faut pas renforcer l’arsenal juridique condamnant cette pratique et surtout appliquer la loi. Vaste sujet !

Malgré tout, il nous faut continuer à aller de l’avant!

2017-12-01T21:01:59+01:00 15.05.17|ARMÉNIE & ARTSAKH|

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