INTERVIEW EXCLUSIVE AVEC MME ANNA HAKOBYAN

LA VISITE DE MME ANNA HAKOBYAN EN SUISSE


Mme Anna Hakobyan, l’épouse du Premier ministre Nikol Pashinyan et présidente des fondations My Step et City of Smile, a effectué une visite de travail en Suisse du 12 au 17 décembre 2018.

Pendant cette visite, Mme Hakobyan, accompagnée du directeur exécutif de la fondation My Step M. Hovhannes Ghazaryan, a rencontré les responsables des organisations et fondations arméniennes en Suisse ainsi que des bienfaiteurs et hommes d’affaires, et leur a présenté les fondations qu’elle préside. Elle a également visité l’église St. Hagop, le Centre arménien et le monument « Les Réverbères de la Mémoire » au Parc Trembley à Genève.

Le 12 décembre, Mme Hakobyan a rencontré les membres de la communauté lors d’une soirée organisée au Centre arménien de Troinex (Genève) par l’Ambassade d’Arménie en Suisse, en collaboration avec l’Union arménienne de Suisse. Le 13 décembre, l’épouse du Premier ministre d’Arménie a assisté à un concert en commémoration du 30ème anniversaire du tremblement de terre de Spitak, organisé par l’Ambassade d’Arménie en Suisse. Le concert, dédié aux œuvres de compositeurs arméniens, interprétées par Astghik Siranosyan (violoncelle), Narek Kazazyan (canon) et Artavazd Khachatryan (piano) a débuté après les discours prononcés respectivement par la chargée d’affaire p.i. de l’Ambassade d’Arménie Mme Anahit Harutyunyan et Mme Anna Hakobyan. Le dernier jour de son séjour en Suisse, Mme Hakobyan a assisté à la fête de fin d’année de l’école Topalian.

Mme Anna Hakobyan et M. Dominique de Buman (photo armtimes.com)

Dans le cadre de sa visite, Mme Hakobyan, accompagnée de Mme Anahit Harutyunyan et de M. Hovhannes Ghazaryan, a rencontré, à Berne, les membres du groupe parlementaire Suisse-Arménie: les coprésidents M. Dominique de Buman (président du Conseil national) et Mme Marianne Streiff-Feller ainsi que Mmes Isabelle Moret (vice-présidente du Conseil national) et Sibel Arslan et le Secrétaire général M. Sarkis Shahinian. Mme Hakobyan a remercié les autorités et le peuple suisses pour le soutien qu’ils ont apporté au peuple arménien après le séisme de 1988. En parlant de la révolution de velours, elle a souligné le rôle des femmes dans la nouvelle Arménie en ajoutant qu’il leur restait encore beaucoup à faire. Elle a également présenté la mission de la campagne « Femmes pour la paix » (voir ci-dessous) qu’elle a lancée l’été passé.

Le 14 décembre, Mme Hakobyan a visité la clinique de Genolier et s’est familiarisée avec les services médicaux fournis par cet établissement. Un accord préliminaire a été conclu en vue de permettre aux médecins et au personnel administratif des établissements médicaux en Arménie de suivre des cours de perfectionnement dans cette clinique, ce qui contribuera à l’amélioration de la qualité de vie et de l’efficacité des soins médicaux en Arménie.

Visite de la Clinique de Genolier (photo armetimes.com)

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Journaliste de formation, Mme Hakobyan est depuis 2012 la rédactrice en chef du quotidien Haykakan Jamanak. Mère de quatre enfants, elle a participé activement au combat politique de son époux pendant de longues années ainsi qu’à la révolution de velours.

Depuis l’élection de Nikol Pashinyan au poste de Premier ministre le 8 mai 2018, elle mène une vie publique intense en accompagnant son époux lors de ses visites à l’étranger mais aussi par des activités visant l’amélioration des conditions socio-économiques de ses concitoyens. Il suffit de consulter sa page Facebook pour prendre connaissance de ses actions en faveur entre autres des personnes âgées dans des maisons de retraite, des orphelins de guerre et enfants malades, handicapés ou vivant dans des villages frontaliers ou encore pour soutenir les producteurs locaux. Le 12 juillet 2018, elle a créé la fondation My Step (https://mystep.foundation/) dont la mission est de trouver des solutions aux problèmes qui ne peuvent pas être traités par le gouvernement à ce stade. Dans le but de soutenir la création d’une société saine, privilégiant l’intégration, la Fondation agira sur trois axes: elle servira de pont entre les porteurs d’idées brillantes et les donateurs qui veulent les soutenir; parrainera des projets existants ou ceux qui répondent aux critères définis et développera et mettra en œuvre ses propres initiatives.

Mme Hakobyan est également la présidente du conseil de la fondation City of Smile (https://cityofsmile.org/) dont le but est d’aider les enfants atteints de cancer et de promouvoir le développement de l’oncologie et l’hématologie en Arménie.

Le 24 juillet 2018, lors d’une rencontre à la galerie Tretiakov à Moscou avec des femmes russes représentant différents secteurs, Mme Hakobyan a lancé la campagne « Women for peace » dans le but de contribuer au règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh et d’établir la paix afin de préserver la vie des jeunes soldats des deux côtés de la frontière. Elle a été rejointe par les mères des soldats arméniens tués pendant la guerre de quatre jours en avril 2016. Le 7 octobre 2018, Mme Hakobyan a visité Artsakh avec un groupe de femmes arméniennes et russes actives dans des domaines variés tels que la culture, les médias, la société civile, etc. Le groupe s’est rendu sur la ligne de front et a adressé un mes-sage de paix aux parties et médiateurs du conflit. Mme Hakobyan, qui a lu le message, a fait appel aux mères azerbaïdjanaises de rejoindre l’initiative et de transmettre le même message aux dirigeants.

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INTERVIEW EXCLUSIVE

« J’étais sure que le train était déjà parti et que les anciennes autorités ne pouvaient rien faire pour l’arrêter.« 

Communicative et facile d’approche, l’épouse du Premier ministre d’Arménie a gagné les cœurs des membres de notre communauté notamment par son humanisme et sa sensibilité. Le dernier jour de sa visite en Suisse, nous avons réalisé cette interview avec elle.

Mmes Hasmik Harutyunyan (attachée de presse de l’épouse du Premier ministre) et Maral Simsar avec Mme Anna Hakobyan

La révolution de velours, dirigée par votre époux Nikol Pashinyan, a marqué un tournant historique pour les Arméniens du monde entier. On dit que derrière chaque grand homme il y a une femme. Dans le cas de M. Pashinyan, nous pouvons dire qu’il y a une femme exceptionnelle à ses côtés. Le 28 février 2018, avant de commencer sa fameuse marche, le Premier-ministre a écrit sur sa page Facebook qu’il avait discuté avec sa famille et celle-ci « était d’accord de l’envoyer de nouveau à la place de la Liberté ». Comment avez-vous accepté la décision de votre époux de déplacer sa lutte politique depuis le Parlement vers la rue, sous la forme d’une marche, compte tenu notamment des épreuves que vous aviez traversées entre 2008 et 2011 en tant qu’épouse d’un prisonnier politique, mère de famille et journaliste d’opposition, ainsi que des dangers auxquels vous pourriez être exposés, vous, votre époux et vos enfants, si jamais la révolution ne réussissait pas?

Merci pour cette question pertinente. Elle exprime bien les pensées et émotions que j’ai éprouvées pendant cette période. Mais je tiens à faire quelques observations sur les différents éléments de votre question. J’ai entendu très souvent cet adage « derrière chaque grand homme il y a une femme » en nous prenant comme exemple, mais cela n’est pas vrai dans notre cas et je le dis sans aucune modestie. En réalité, mon rôle a été minime car mon mari aurait de toute façon fait ce qu’il a fait indépendamment de qui était sa femme. S’agissant de sa déclaration sur Facebook, elle a été mal comprise et a donné lieu à beaucoup de critiques car on a eu l’impression que mon mari avait consulté sa famille en premier. En fait, il ne nous a pas consultés mais nous a seulement présenté son projet à titre d’information. Ce n’était pas un débat pendant lequel nous pouvions approuver ou désapprouver le projet ou bien décider si cela valait le coup. Pour moi c’était une surprise, je n’étais pas prête, même si je savais que mon mari n’allait pas se résigner à accepter la situation (Ndlr: l’élection de Serge Sargsyan au poste de Premier-ministre à l’issue de deux mandats présidentiels) et je m’attendais toujours à ce qu’il entreprenne quelque chose. C’était dur, mais j’étais également consciente qu’il avait une mission importante à remplir pour notre pays, notre peuple, nous tous, nos enfants, mes enfants. C’était le genre de situation où l’on ne pense pas aux conséquences éventuelles, c’est-à-dire que l’on pense mais cela ne change rien, on est prêt à toutes les éventualités parce qu’on est conscient de l’importance de l’action. D’une part, j’étais angoissée en pensant que le scénario de 2008 pourrait se reproduire et que mon mari pourrait s’exposer à une longue peine d’emprisonnement. D’autre part, je savais que son action pourrait avoir une issue positive et cette confiance a facilité les choses. Indépendamment de ces pensées très variées, je tiens à ajouter qu’à aucun moment il ne m’est venu l’idée, même de loin, qu’il ne vaille peut-être pas la peine de faire quelque chose.

Pendant les jours de la révolution, on vous a vue à côté de votre époux. Comment avez-vous vécu cette période bouleversante tout en assumant vos responsabilités au sein de votre famille et à la rédaction du journal « Haykakan Jamanak »?

(photo Blognews.am)

C’était très dur pour les raisons que j’ai expliquées dans ma réponse précédente. Je me faisais constamment du soucis pour ce qui pourrait arriver. J’étais inquiète quant à l’issue de la révolution, j’avais peur qu’elle échoue surtout que les gens s’étaient soulevés et avaient des attentes. Je craignais qu’ils soient déçus et frustrés, je craignais le recours à la force … bref, nous avons vécu des jours difficiles. Le travail à la rédaction du journal n’a pas été interrompu grâce à des collaborateurs qui m’ont remplacée. Notre fils a participé activement à la marche et aux autres manifestations. Certains jours, mes filles cadettes m’ont accompagnée pendant la marche et je suis heureuse qu’elles gardent de beaux souvenirs, notamment des veillées autour d’un feu de camp et au son de la guitare. C’étaient des moments agréables. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’arrestation de mon époux n’a pas été le moment le plus dur pour moi. En effet, dans les reportages faits le même jour, on me voit répondre aux journalistes avec le sourire car j’étais sure que le train était déjà parti et que les anciennes autorités ne pouvaient rien faire pour l’arrêter. Je savais que mon époux allait vite retrouver la liberté. Par contre, l’épisode le plus dur pour moi a été l’escalade des barbelés de la rue Baghramyan (Ndlr: le 16 avril M. Pachinyan et quelques manifestants ont essayé d’escalader les barbelés devant le Parlement pour empêcher l’élection de Serge Sargsyan. Ils ont été repoussés par les forces de l’ordre et ont été blessés). A ce jour, je n’arrive pas à regarder les images de ces évènements où l’on voit du sang et je pense que je ne les regarderai jamais.

A partir du 8 mai 2018, en tant qu’épouse du Premier ministre d’Arménie, vous vous êtes retrouvée sous les projecteurs des médias. Vos activités font l’objet de toutes sortes de commentaires. Qu’est ce qui a changé dans votre vie et dans la vie de vos enfants? Comment vous êtes-vous adaptée à votre nouveau rôle et à vos nouvelles activités?

En réalité, il n’y a pas eu de grands changements dans notre vie. Mais notre environnement a changé – je parle de notre logement et des contraintes techniques liées à nos déplacements qui peuvent être gênantes pour nous et pour nos enfants. Nous essayons de nous y habituer et notre appartement nous manque beaucoup. Pour le moment, nous ne nous sentons pas chez nous dans cette maison mais je pense qu’il est de mon devoir, en tant que mère de famille, de déployer des efforts pour créer une ambiance de « chez nous » et j’espère que cela viendra. Quant aux commentaires, j’essaye de ne pas trop y prêter attention car je veux être en harmonie avec moi-même et me sentir responsable. Je suis la plus grande critique de tout ce que je fais. C’est-à-dire, j’essaie de faire en sorte que mes actes ne soient pas critiquables. Bien entendu, il n’est pas possible de plaire à tout le monde. Je pense qu’en tant qu’épouse du chef de l’État, il est de mon devoir d’effectuer les activités dont je me suis chargée et je les fais avec plaisir pour soutenir mon mari et, dans une certaine mesure, me rendre utile à notre pays.

Votre image est incomparable avec celle des épouses des anciens présidents d’Arménie. Vous représentez la femme moderne qui allie avec succès vie de famille, vie professionnelle et dernièrement vie publique. La révolution de velours était également une révolution culturelle, une révolution de valeurs qui semble donner davantage de place aux femmes dans la vie publique. Comment pensez-vous contribuer à la promotion du rôle de la femme dans la société arménienne?

La révolution de velours a marqué un pas en avant dans cette direction. Dans le passé, le nombre des femmes dans les manifestations de protestation ne dépassait pas les 10%. Or, la présence des femmes a été beaucoup plus importante pendant la révolution de velours. Les jeunes femmes représentaient probablement 50% ou plus des personnes qui ont participé aux différentes opérations de désobéissance civile. Je tiens à signaler que, lors de ses interventions tant en Arménie que dans les tribunes internationales, mon époux souligne constamment l’importance du rôle des femmes dans la révolution. C’est un pas important à mon avis. Pour ma part, j’essaie d’apporter ma petite contribution pour faire évoluer l’attitude envers les femmes notamment à travers les activités que je mène en ma nouvelle qualité. Je pense que cela contient un message adressé aux femmes. J’aurais pu rester à la maison et me contenter de quelques actions symboliques, comme il était de coutume, mais je pense que je n’ai pas le droit de rester inactive si je peux me rendre utile par ces activités. Il me semble que toutes les femmes, chacune selon ses moyens et compétences, peuvent prendre des initiatives pour se rendre utile à leurs familles, à leurs enfants, à leur communauté et au pays. La passivité dans ce sens n’a aucune excuse, aucune justification. Nous menons nos activités pour le bien-être de nos enfants, qui se sentiront fiers davantage de leur mère si celle-ci avait des activités publiques et créait des valeurs en sus de ses tâches ménagères. Nous devons donner l’occasion à nos enfants et nos maris de se sentir fiers de nous et de respecter notre travail. 

Nous vous remercions pour cet entretien et vous souhaitons beaucoup de succès dans vos activités en faveur de la nouvelle Arménie.
 

(Interview réalisée et traduite de l’arménien par Maral SIMSAR)


2019-01-28T18:51:25+01:00 21.01.19|ARMÉNIE & ARTSAKH, INTERVIEWS, SUISSE-ARMÉNIE|

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