En février de cette année, sur fond de polémique et de débat passionnés autour du référendum sur des amendements constitutionnels*, deux sujets majeurs ont dominé l’actualité et ont créé des remous au sein de la société arménienne. Ils ont mis en évidence des problèmes profondément ancrés dans le tissu social du pays, qui demandent une action efficace de la part des autorités.
A la mi-février, l’armée arménienne a rapporté la mort de 13 soldats hors des conditions de combat depuis le début de l’année. Huit de ces soldats ont perdu la vie dans des accidents ou d’autres circonstances sans rapport avec leur service militaire. Les cinq autres se seraient suicidés ou auraient été abattus par d’autres militaires lors des incidents. Ces morts ont provoqué l’indignation et la colère des citoyens face au problème chronique du bizutage et d’autres abus dans les rangs de l’armée.
Interpellé lors d’une séance au Parlement, le Premier ministre Pashinyan a attribué ces décès à la « sous-culture criminelle » apportée par les conscrits, en montrant du doigt l’éducation que ces derniers reçoivent dans leur famille. Rappelons que les mères des soldats tués hors combat durant les dernières décennies protestent régulièrement devant le bâtiment du gouvernement pour réclamer la vérité sur la mort de leurs fils et la condamnation des coupables. Les associations de défense des droits humains, à leur tour, dénoncent depuis des années le manque de transparence et les abus dans l’instruction de ces cas. La réaction de la société civile face à ces chiffres alarmants a poussé le gouvernement arménien à prendre des mesures pour renforcer la discipline dans les rangs de l’armée. Deux militaires de haut rang, le chef de la police militaire et le chef du département chargé de surveiller et de maintenir le moral des troupes, ont été limogés. Il a été également révélé qu’un certain nombre d’autres officiers ont été rétrogradés ou renvoyés des forces armées. Il est à espérer qu’en parallèle avec un travail pédagogique efficace, les procédures pénales ouvertes suite à ces décès aboutiront enfin à des condamnations équitables et mettront fin à l’impunité.
Le deuxième évènement qui a marqué les esprits s’est produit le 5 mars 2020 à Gyumri. Une femme et sa fille mineure ont été battues sauvagement par le compagnon de la première. La mère a succombé à ses blessures, alors que la fille a été transportée à l’hôpital dans un état critique. Il s’agissait du troisième cas de féminicide depuis le début de l’année. L’affaire a choqué la population, relançant le débat sur la nécessité de faire de la violence domestique un crime plus spécifique dans le Code pénal. Mais ce qui a choqué le plus c’était la réaction insoutenable d’une partie de la population, qui s’est mise à critiquer la moralité de la victime comme une justification de la violence faite à son encontre. Le 9 mars 2020, un groupe de militants civils a organisé une marche à Gyumri pour exprimer ses préoccupations concernant les cas de violence domestique et l’indifférence qui existe dans la société face à ce problème. Le gouvernement post-révolutionnaire semble être déterminé à combattre la violence domestique notamment par le renforcement du cadre législatif, l’autonomisation des femmes et l’allocation de fonds aux mécanismes d’aide et de protection destinés aux victimes ainsi que par des programmes de prévention et de sensibilisation pour briser les stéréotypes nuisibles.
Malgré les déclarations sans équivoque faites par Nikol Pashinyan à différentes reprises sur l’inadmissibilité de toute forme de violence, ces faits viennent démontrer qu’il existe un grand décalage entre le discours du Premier ministre et la réalité, qui reste fortement influencée par des idées d’un autre âge. L’évolution des mentalités et l’intégration par les citoyens des valeurs de la révolution demanderont davantage d’efforts de la part du gouvernement mais aussi de la part des ONG de défense des droits humains. Espérons que ce processus ne sera pas trop long!
Maral SIMSAR
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(*) Ce référendum a été reporté en raison de l’état d’urgence décrété pour faire face au coronavirus.
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