Le matin du 27 septembre 2020 le peuple arménien s’est réveillé avec la poignante nouvelle du déclenchement de l’offensive de l’Azerbaïdjan en Artsakh (Haut-Karabagh). D’entrée KASA a décidé de s’impliquer: d’une part pour soutenir les soldats qui défendaient le droit à l’existence du peuple arménien sur sa terre historique ainsi que la population civile demeurant encore en Artsakh, d’autre part pour accueillir les femmes, enfants et personnes âgées qui fuyaient la zone de guerre.
Notre centre de jeunesse “EspaceS” à Erevan s’est donc transformé, quinze jours durant, en un abri temporaire pour les familles arrivant d’Artsakh, que nous avons ensuite dirigées vers des structures susceptibles de répondre à leurs besoins primordiaux: logement, nourriture, etc. Parallèlement, nous avons accueilli 40 personnes dans nos maisons d’hôtes à Erevan et à Gumri et tenté de subvenir à leurs besoins essentiels avec le soutien de nos partenaires.
Nous avons également commencé à travailler avec des enfants et adolescents: arrivés en Arménie, ils restaient cloîtrés dans leurs logements sans rien faire, situation aggravée avec la fermeture des écoles consécutive à la nouvelle vague de Covid-19. Dans le respect de toutes les mesures sanitaires liées à la pandémie, nous avons créé un « Coin d’enfants » à EspaceS: un espace sûr, qui propose à ce jour diverses activités socio-éducatives, culturelles, sportives et ludiques, afin de divertir un peu ces enfants privés de leur milieu habituel et traumatisés par la guerre. À Gumri, l’existence d’un projet socio-éducatif nous a permis de nous adapter plus rapidement aux besoins de nos nouveaux petits bénéficiaires. Actuellement, nous travaillons dans nos deux centres avec plus de 150 enfants originaires d’Artsakh et de locaux, en groupes mixtes. Toujours en faveur des enfants, nous menons également un travail psychosocial de terrain dans 5 abris temporaires à Erevan et dans les régions.
Pour aider les nouveaux-venus à s’orienter administrativement à Erevan, principal lieu d’accueil, nous avons mobilisé des volontaires que nous avions précédemment formés pour soutenir les Arméniens de Syrie. Ils accompagnent environ 300 personnes pour des questions telles que la recherche de loge- ment et d’aides sociales et humanitaires, l’éducation, la quête d’un emploi temporaire, etc. À relever, avec joie, que de jeunes volontaires eux-mêmes arrivés d’Artsakh nous ont rejoints dans ce projet pour répondre aux besoins de leurs compatriotes!
En parallèle, nous avons démarré des rencontres avec des experts de divers domaines – des psycho-logues aux politologues – à l’intention de nos collaborateurs, de nos volontaires et de représentants de structures partenaires, pour mieux comprendre une situation qui évolue rapidement, partant aider efficacement ces nouveaux groupes cibles.
Et ce sans compter l’aide humanitaire ponctuelle que nous avons pu apporter, en lien avec nos partenaires locaux et internationaux, en nous appuyant d’abord sur nos ressources propres, puis sur les campagnes de recherche de fonds lancées en Arménie, en Suisse et en France: envoi d’habits, de couvertures, de vivres, d’un camion avec 11 tonnes de farine…
Le 9 novembre 2020, une déclaration signée entre les chefs d’État arménien, azéri et russe a mis fin aux opérations militaires en Artsakh. Nous avons certes durement encaissé les décisions politiques, alors que nous nous étions fortement engagés pour soutenir nos soldats. Mais nous avons aussi réalisé qu’en Arménie comme en Artsakh, la société civile allait être amenée à faire face à des besoins nouveaux d’une ampleur sans précédent: en particulier, qu’allaient devenir les 90000 personnes ayant fui la guerre, à commencer par celles dont les terres étaient redonnées à l’Azerbaïdjan?
Compte tenu de nos expériences et de notre potentiel, nous avons participé dès le départ à divers groupes de travail aux côtés de partenaires étatiques et non-étatiques, locaux et internationaux, afin d’élaborer une approche globale et durable pour répondre à ces problèmes en constante évolution. Et, en attendant de concrétiser ces visions générales, nous continuons d’agir. Notre première réponse, comme celles de nos partenaires, fut certes spontanée et bénévole, mais elle ne peut pas le demeurer à long terme: l’économie du pays doit être remise sur les rails dans une perspective pérenne. Vu l’efficacité du modèle de travail mis en place avec nos partenaires en faveur des enfants et des familles artsakhiotes, nous songeons à l’étendre en dehors d’Erevan et de Gumri, en partageant notre expérience avec d’autres structures régionales qui accueillent le même groupe cible. Nous travaillons également à l’élargissement de certains de nos projets – notamment ceux de soutien psychosocial de familles et d’employabilité des jeunes.
Bref, en dépit de notre profonde déception, nous voulons croire qu’à plus ou moins long terme le courage paie toujours. Peuple éminemment résiliant, les Arméniens doivent prioritairement s’affirmer aux niveaux de la réflexion, de la recherche, de l’éducation, de l’économie, de la société. Porter haut son identité se joue d’abord sur le plan éthique, en défendant des valeurs de réflexion, de démocratie, de partage, de justice, en misant sur ce qui a toujours fait la grandeur du peuple arménien, sa capacité de création et de rebond.
Arus Khachatryan, pour KASA FHS, Erevan
Monique Bondolfi, présidente de KASA, Lausanne
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